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FEUILLETON : Et si l’Ecole de Nice nous était contée ? - CHAPITRE 7 : QUESTIONS DE L’ORIGINE - Par France Delville pour Art Côte d’Azur

Peu de temps après l’exposition « Ecole de Nice ? » à la Galerie Alexandre de la Salle place Godeau à Vence, comme l’écrit Raphaël Monticelli dans « L’Ecole de Nice » de Marcel Alocco (Editions Demaistre ) le Groupe 70 fut fondé à la suite de l’exposition INterVENTION du 13 avril 1970 dans la galerie en question.

Cette exposition fut organisée par Monticelli. Ce fut une rencontre importante pour la formation du Groupe 70.
" Nous étions déjà ensemble aux Arts décos en 1964 et nous nous sommes retrouvés six ans plus tard" . (Charvolen).

utilisant la sérigraphie de Marcel Alocco tirée à 200 exemplaires en 1969, collec104
invitation au nom de Charvolen
Catalogue Pompidou 77) d’« INterVENTION » Galerie Alexandre de la Salle, de gauche à droite : Dolla, Alocco, Tita, Maccaferri et Miguel Exposition ainsi mentionnée dans le catalogue de l’exposition « A propos de Nice » (Pompidou 1977, Ben commissaire

Formation du Groupe 70 avec Chacallis, Charvolen, Miguel, Isnard et Maccaferri. Cela se passe dans l’appartement de Chacallis, dans le Vieux Nice. A cette occasion, le groupe réalise sa première exposition dans l’appartement. On a fondé le groupe parce qu’on avait les mêmes préoccupations picturales et aussi pour se serrer les coudes par rapport à l’extérieur (Isnard). Jusqu’à présent, la peinture a été envisagée sur un plan de toile et de châssis. Certaines recherches actuelles sont au contraire caractérisées par le besoin de sortir de ce plan remettant en cause l’image. A partir de ce moment, il n’y a plus de limites, toutes les possibilités sont envisageables (espace). Je pense que cette richesse de possibilités mérite que l’on s’y intéresse. (Charvolen).

De 1964 à 1968, aux Arts Décos de Nice, rue de l’Escarène, s’étaient retrouvés Charvolen, Miguel, Maccaferri, Valensi, Isnard et Dolla, avec Viallat comme professeur. Ont été vidés et mis à la porte des Arts Décoratifs, parmi les élèves : Dolla, Charvolen, Maccaferri, Miguel, et parmi les professeurs : Viallat. Le grand videur, pour tous, c’était Pedro Oliver. Je me souviens, j’ai été vidé trois jours, parce que j’avais collé des reproductions de Cézanne sur le mur de la classe (Maccaferri).

« Les portulans de l’immédiat »

Dans « Les portulans de l’immédiat », monographie de Max Charvolen (« 1979/1996, Travaux sur bâtis », ed. Al Dante/A.Vivas, 1997) par Raphaël Monticelli, celui-ci écrira : « Né en 1946, à Cannes, Max Charvolen se forme dans une région niçoise qui, dans les années soixante, connaît un intense bouillonnement créatif, lié aussi bien à la présence à Nice d’éminents représentants des avant-gardes de l’époque - Nouveau Réalisme et Fluxus - qu’au développement de lieux originaux d’expositions, comme la Fondation Maeght.

C’est dans ce contexte qu’il prend part, à la fin des années soixante, à l’une des dernières aventures historiquement repérées comme d’avant-garde dans notre pays : le retour analytique et critique de toute une génération d’artistes aux moyens et objets de la peinture après les détours par l’objet de consommation (Nouveau réalisme) ou l’attitude (Fluxus).

Il participe ainsi au mouvement qui devait donner des groupes comme INterVENTION, ABC, Support-Surface ou Textruction. Lui-même fonde, avec Chacallis, Isnard, Maccaferri et Miguel, le Groupe 70 ».

Mais Max Charvolen s’expliquant toujours si bien sur son travail, sa vie, écoutons ce qu’il en dit dans les mêmes « Portulans… » sous le titre « Quelques cm2 de repères » : Je suis né à Cannes en 1946. Le premier moment important est mon entrée à l’école des Arts Décoratifs de Nice en 1964. J’y fais la connaissance de Maccaferri, Miguel, Dolla. Viallat y enseigne. Je poursuis mes études à partir de 1966 à l’École des Beaux Arts et d’Architecture de Marseille, que dirige, avec une grande ouverture d’esprit, François Bret. Une date importante et facilement repérable pour moi est 1967. C’est l’année où la galerie des Ponchettes, à Nice, présente l’œuvre de Klein que je vois donc pour la première fois. Cette exposition a une grande importance car à partir de ce moment là, j’ai commencé à percevoir le monochrome comme un objet contenant toutes les formes possibles. La période 1968 m’amène à nouer ou renouer des relations de travail ou d’exposition avec Alocco, Dolla, Maccaferri, Miguel, Monticelli, Viallat... notamment à travers le groupe INterVENTION Je participe au « Dossier 68 » avec Alocco, Ben, Biga, Cane, Dezeuze, Dolla, Monticelli, Pagès, Saytour, Viallat...

Ce qui est très important pour moi, à l’époque, c’est d’une part la lecture de « Fonctions de la peinture » de Fernand Léger, et d’autre part, les événements de mai 68. Les réflexions qui se développent autour de cet ensemble me conduisent alors à penser que la peinture est trop souvent située en dehors des enjeux sociaux alors que l’architecture permettrait de mieux y participer. Je travaille à cette époque là aussi bien sur tissu que sur vinyle transparent libre ; je me pose des questions de rapport entre fond et forme, espace réel, superposition, envers/endroit... L’accent est mis sur les étapes de la création, le principe étant de ne rien masquer.

En 1969, je participe au Salon de Mai au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris ; la salle des niçois, invités par César, comprend : Alocco, Ben, Charvolen, Chubac, Farhi, Gilli, Pagès, Saytour, Viallat. C’est de cette époque que date ma relation d’amitié avec Marcel Alocco. Je participe en 1970, à Nice, en février, à l’exposition « De l’unité à la détérioration », à la galerie « Ben Doute de Tout » avec Alocco, Buren, Cane, Dezeuze, Dolla, Mosset, Osti, Parmentier, Pincemin, Saytour, Toroni et Viallat. En mars, c’est l’exposition INterVENTION, organisée par Raphaël Monticelli à la galerie Alexandre de la Salle à Vence avec Alocco, Dolla, Maccaferri, Miguel, Osti...

Expo-information n°1

C’est à la suite de cette exposition qu’est envisagée la création du groupe 70. Importante aussi pour moi à l’époque l’exposition avec Noël Dolla, à la salle San Roch de Céret, ainsi que, bien évidemment, celle de janvier 1971 avec Chacallis, Isnard, Maccaferri et Miguel et qui fut la première manifestation officielle du Groupe 70.

Elle préfigurera toute une série d’expositions qui eurent lieu tant en France qu’à l’étranger. Les pièces que je réalise dans ces années là jouent sur des effets de perspective réelle entre des pièces découpées présentées dans l’espace et les découpes placées au mur, ainsi que du rapport au regardeur. Je suis parti ensuite plusieurs mois au Brésil en 1971 72 où j’ai travaillé dans l’agence d’Oscar Niemeyer comme dessinateur. Pendant cette période j’ai réalisé une intervention extérieure dans les jardins du Musée d’Art Moderne de Rio. En 1973 le poète et critique d’art Raphaël Monticelli revient à Nice. C’est lors de mon exposition personnelle chez Ben « À la fenêtre » que débute une importante relation d’amitié et de travail qui sera vitale pour moi : ses nombreux textes ponctuent encore mes recherches. Je commence alors avec lui une série de travaux où se confrontent écriture et peinture. Cette année là le Groupe 70 est invité à la Biennale de Paris. À la suite de cette exposition, démissions dans le groupe, qui ne se compose plus que de Charvolen, Maccaferri et Miguel. Cette même année j’obtiens mon diplôme d’architecte. À partir de 1974 j’utilise de plus en plus la toile comme outil de sa transformation. C’est là, à travers le pliage et les découpes, qu’elle commence à s’éparpiller, à se disperser et à s’émietter dans le rapport au lieu d’expo¬sition.
C’est de ce travail que rendent compte des expositions comme celle de Turin, chez Claudio Botello, en 1974, ou chez Alexandre de la Salle à Saint Paul de Vence en 1975. Je rentre en 1976 comme professeur à l’école d’art de Marseille où je rencontre régulièrement Michaud, Jaccard, Grand, Kermarrec et Viallat. C’est à cette époque aussi que je fais la connaissance de Jean Mangion, alors attaché de direction à l’école d’architecture de Marseille. En outre c’est une période d’intenses discussions avec Miguel et Monticelli, la plupart du temps chez Miguel.

photo du « Paradoxe d’Alexandre » qui accompagne l’invitation de l’exposition du Groupe 70 à la Galerie de la Salle en mai 1976

Tout cela s’est cristallisé dans un moment important dans ma vie, l’exposition que m’organise Michèle Lechaux en 1978 : première exposition personnelle à Paris, dans une galerie marchande, avec un catalogue personnel à la clef. En 1979, je cesse de me servir des limites de la toile comme marques de la limite de la peinture et je les remplace par ce à quoi le corps peut se heurter dans l’espace bâti (angles de mur, sol, plafond). C’est le début de la période actuelle : le lieu donne le modèle, le corps donne la limite. Nos discussions, avec Miguel et Monticelli, portent alors sur les modèles de la peinture, sur les problèmes de représentation, dont nous nous apercevons soudain que nous ne les avions jamais oubliés ! Travail, discussions, volonté de multiplier les rapports avec d’autres pratiques de la peinture nous amènent, Miguel, Monticelli et moi, aidés de quelques autres dont Alocco, à créer une galerie associative : le Lieu 5. C’est alors que je fais la connaissance de Renato Barilli et Francesca Alinovi qui nous invitent à une exposition collective au Palazzo Reale de Milan : « Pittura e ambiente », « Peinture et environnement ». À cette même époque je rencontre Claude Fournet. Nous faisons ensemble la route de Marseille où il a été invité à donner un cours d’histoire de l’art. Larges discussions d’où naîtra une relation d’amitié et de travail qui permettra notamment l’un des chantiers importants pour moi. A partir de ces années là je travaille les murs, le sol, la fenêtre de ma cuisine, les murs de mon séjour, le seuil de ma porte... Je vis dans la peinture, c’est important ; il n’y a plus de séparation pour moi, je règle ce problème de n’avoir jamais eu d’atelier propre ; j’ai l’impression en effet d’avoir toujours campé...
À partir de 79 mon travail va se déplacer sur les lieux modèles, il va s’ensuivre une relation au temps qui n’est pas négligeable... Je suis mes chantiers de peinture en descendant à la cave, en allant au Cannet... C’est en 81 que je commence à réaliser de très grands formats en intérieur ou extérieur, pratiquement pas exposables : escalier extérieur mur sol, 9 x 8m ; atelier de la rampe (chez mon père), 13 x 7m. La première exposition de ce type de travail d’un format important a lieu à la Galerie d’Art Contemporain des Musées de Nice en 1981. Une ponctuation importante de cette période est l’exposition au Musée Cantini. C’est pour moi une expérience nouvelle : pendant presque une année, entre 81 et 82, je me rends une à deux fois par semaine chez Claude Fournet qui me prête une pièce entière d’habitation pour que j’y réalise une œuvre. Ces déplacements réguliers se chargent de sens et me feront accepter par la suite de tout autres rapports au temps et aux lieux qui me servent de modèle. Les discussions avec Monticelli pendant le travail, et surtout au moment de la présentation de la pièce au musée ont été extrêmement importantes pour me permettre d’assumer la totalité de la dispersion. Il y a, dans ma vie de peintre, un constant va et vient entre ce qui m’est personnel et ce que je dois aux rencontres, aux relations de groupe. Ainsi c’est pour tout notre petit collectif qu’a été importante l’ouverture du Centre National d’Art Contemporain à la Villa Arson à Nice en 1984 sous la direction d’Henri Maccheroni et Michel Butor.

Autour du thème « Des écritures dans la peinture » - exposition inaugurale au CNAC- Miguel, Maccaferri, Monticelli et moi Organisons au Lieu 5 un travail collectif sous le titre « Les murs palimpsestes ». La galerie du Faisan, à Strasbourg, nous donne, en 1988 l’occasion de faire une sorte de rappel de ce qu’avait été le Groupe 70. Exposition avec Miguel et Maccaferri. Nous ouvrons, avec Miguel et Monticelli, un nouveau lieu d’exposition de l’association Lieu 5 : L’Hermerie Le Cairn. À partir de nos discussions diverses sur les problèmes de représentation, de réalité et virtualité des mises à plat, j’engage une collaboration inédite, passionnante et un peu inattendue, avec un mathématicien, Loïc Pottier, qui va élaborer de très savants algorithmes pour les études de mises à plat informatiques. C’est à L’Hermerie Le Cairn que je présente pour la première fois ces mises à plat informatiques en 1990 tandis que la Galerie Itinéraires, dirigée par Scholtès, montre la mise à plat de la pièce réalisée sur sa façade. Autre moment important, l’année suivante, la confrontation, première du genre, entre Support Surface et le Groupe 70, organisée par Bernard Gavoty et Jean Pierre Alis pour la ville de Marseille. Elle permet de donner une idée de l’importance du mouvement plastique dans le Sud de la France dans les années 60/70, sans le réduire à un groupe particulier. La relation que j’ai depuis 1992 avec la galerie Alessandro Vivas, à Paris, est aussi très importante. Je lui dois un suivi, une conférence, une exposition personnelle, et l’occasion offerte à Gérard Duchêne de me faire parvenir une intervention, pour moi d’autant plus intéressante et émouvante que ma relation avec lui remonte au début des années 70 et que j’ai beaucoup d’admiration pour son travail. Quoi d’autre ces dernières années ? De tous les chantiers en cours, le plus important est pour moi celui que je réalise au Cannet et qui monte sur deux étages... Des études ont été présentées par Al Dante à la galerie Porte Avion à Marseille en 1994. Il ne me reste plus qu’à trouver un lieu où présenter la totalité... 45 M2 » (Cette pièce a été déployée pour être photographiée à Fréjus, dans ce qui allait devenir la Fondation Templon).

exposition CIAC

L’interview que Max Charvolen donne à Catherine Macchi de Vilhena, reproduite dans le catalogue de l’exposition « De fond en comble » (CIAC, jusqu’au 31 décembre 2010) est aussi très sensible et parlante.

Extrait : « Le rapport corporel que j’entretiens avec mon travail est très important. Il détermine beaucoup de choses. C’est un dialogue spatial entre cet espace modèle qui est le lieu bâti et moi même. Mon corps y cherche sa place, dedans, devant... tout est question de limites, où cela commence, où cela s’arrête... Comme pour la couleur, j’ai quelques principes d’approche : soit l’espace modèle est devant, déterminé par une emprise gestuelle, soit je suis à l’intérieur. Je veux dire par là que la pièce m’entoure totalement, et c’est peut être là que l’on peut faire allusion à Pollock, qui se tenait sur le périmètre de la toile rectangulaire au sol en s’y penchant pour inscrire ses mouvements. Là, il ne s’agit pas seulement d’inscrire le corps sur l’espace symbolique, mais d’inscrire aussi l’espace symbolique sur ce qu’il est censé représenter. J’aime le concept de territoire, de géographie aussi. Ces concepts qui induisent un rapport au déplacement, au parcours. L’idée même que le regardeur soit amené à se déplacer devant et dedans m’intéresse ».

Mais sa participation à l’événement « 50 ans de l’Ecole de Nice » mis en acte par Alexandre de la Salle au Musée Rétif est dans une continuité du rapport de Max à l’Ecole de Nice, dont il dit dans le catalogue de l’exposition : « Au début, dans la période de mise en place de mon travail, je ne pensais pas ce terme d’École de Nice. Il y avait les Nouveaux Réalistes, les accumulations d’Arman et la démarche de Klein sur le « vide » le « corps » et l’unicité de la couleur. C’est aux Ponchettes en 67 que j’ai vu pour la première fois de visu un monochrome de Klein... tout cela à forcément eu des répercussions dans la mise en place de mon travail, consciemment ou non. Les mots n’étaient pas toujours au rendez-vous face aux chocs visuels.... Il y avait d’autres aussi, comme Hantaï, à la fondation en 68 ... mais c’est une autre géographie. Aujourd’hui on constate encore que Nice a été un lieu marquant où aussi des esthétiques tels que Fluxus, la peinture analytique et critique, voire d’autres, se sont fortement positionnées.

Et donc, après « INterVENTION » en 1970, Max Charvolen fut présent en 1977 dans « Ecole de Nice ! » , dans le catalogue de l’exposition, en plus des textes de Pierre Restany, Jacques Lepage et Alexandre de la Salle, Raphaël Monticelli écrit un magnifique historique de toute leur aventure, sous le titre : « Soixante huit moins un (ou deux) (ou…), Jacques Lepage qui avait écrit dans Opus International de mai 1971 un article sur « un groupe vivant, jeune, cohérent, cinq garçons, Chacallis, Charvolen, Isnard, Maccaferri, Miguel, préoccupation commune : rapport espace-support.

titre de l’œuvre : « Travail 1976 »

Si l’influence de Viallat, de son groupe (Exposition Support-Surface, ARC, Musée d’Art Moderne, octobre 1970) persiste vis-à-vis de ce dernier avatar de l’Ecole de Nice, celui-ci prend ses distances… », et qui récidivera un certain nombre de fois. Max Charvolen sera encore présent dans l’exposition « Ecole de Nice. » en 1997 à la Galerie Alexandre de la Salle, il écrira dans le catalogue : « Pour moi, l’Ecole de Nice, c’est un ensemble de pratiques, de mouvements, de groupes très en prise avec leurs époques, qui se sont côtoyés dans un espace géographique d environ 50 k7ns de rayon, et dans lequel ils ont réalisé ou mis en place l’essentiel de leur questionnement ». Et Raphaël Monticelli « ... On pourrait ainsi définir le travail de Charvolen comme un effort pour donner à la peinture les formes, les formats, les modes de travail que nécessite cette nouvelle façon d’être au monde. Cet effort passe par une sorte d’adhésion au sens le plus littéral du terme aux objets et aux lieux de notre monde immédiat, etc.

Des œuvres de Max Charvolen seront visibles au Musée Rétif jusqu’au 18 décembre 2010 dans l’exposition « 50 ans de l’Ecole de Nice)

RAPHAËL MONTICELLI

Les Editions L’Amourier le présentent ainsi : « Raphaël Monticelli est né en 1948 à Nice, au sein de la langue italienne et dans le milieu des immigrés d’où il a gardé la saveur des exils et comme un goût de déchirure. Après avoir été formé à la fois par les maîtres de l’Ecole publique et les Pères salésiens, il a suivi les cours du Conservatoire d’art dramatique et ceux de l’Université. Agrégé de lettres, il termina sa carrière chargé de mission culturelle par l’Education nationale. Depuis la fin des années soixante, il participe aux mouvements artistiques et littéraires et a animé revues et galeries alternatives. Il mène régulièrement une activité de critique d’art, et collabore avec de nombreux artistes dans des œuvres croisées qui sont l’un des volets importants à ses yeux de son activité d’écriture.

L’ensemble de sa recherche s’organise autour des bribes

(balbutiements, espaces d’apprentissage de la langue et du texte) auxquelles il cherche à donner forme, contenance ou cohérence... ». Suit la longue liste de ses écrits, entre autres « Conversation dans une chambre obscure, avec Michel Butor, hommage à André Villers », Editions Sicart Iperti, « Les rossignols du crocheteur », Z’éditions, et toute la série des « bribes » aux Editions l’Amourier : « Intrusions, Bribes 1 à 33, illustrées par Edmond Baudoin (monticelli5 et monticelli6), « Réversions, Bribes 34 à 66 », avec J.J. Laurent, « Effractions, Bribes 67 à 66 », idem, « Expansions, Bribes 67 à 66 », idem. Puis les écrits sur Martin Miguel, (monticelli2 : Raphaël Monticelli avec Martin Miguel, Max Charvolen et Léonardo Rosa devant le travail de Miguel)Henri Maccheroni, Léonardo Rosa, Max Charvolen, Gérard Serée, et « Supports Surfaces / Groupe 70, Ateliers Municipaux d’Artistes, Marseille », etc. etc. Vaste programme, mais reprenons l’histoire, que, par exemple au dos du livre de Raphaël « Alocco, peinture en patchwork » (Editions Charles le Bouil), (monticelli photo : Raphaël Monticelli avec Marcel Alocco et Michel Butor, 1988) ces quelques lignes synthétisent au mieux : « Raphaël Monticelli, agrégé de l’Université, enseigne à Nice. A travers les rapports privilégiés qu’il entretient avec quelques peintres dont il suit et présente le travail depuis 1967, il participe aux démarches de la peinture, très vivante durant cette période dans la région niçoise ».

Raphaël Monticelli chez Léonardo Rosa, La Garoupe, 1996

Mais étant écrivain, poète, critique d’art, penseur de l’art (on pourrait dire « épistémologue de l’art », tant il a fait de liens entre les mots et les choses), c’est bien lui qui sait le mieux parler de sa vie et de sa démarche, écoutons donc l’analyse qu’il en fit en 1997 dans le catalogue de l’exposition « Ecole de Nice. » de la Galerie Alexandre de la Salle.

Raphaël Monticelli dans le catalogue « Ecole de Nice . », sous le titre : « Un mot encore… Ne mettons de point final à rien »

« Je suis, depuis longtemps, partagé entre deux sentiments très contradictoires concernant l’Ecole de Nice. Il y a d’abord ce sentiment très complexe qui me conduit à rejeter la notion même d’« Ecole de Nice », dont je dis depuis toujours qu’elle n’est aucunement pertinente parce qu’à cette unité géographique ne correspond aucune unité esthétique. Ce sentiment est fait ensuite d’un rejet, de plus en plus profond chez moi, de ce que la référence à l’Ecole de Nice produit comme fermeture souvent, et peut être comme prétention, parfois. C’est mon rejet du label Ecole de Nice, du modernisme facile et de l’oubli des problèmes et des enjeux de l’art que cette facilité induit. En même temps, il reste en moi ce sentiment que j’ai vécu, dans les années 60 70, ce que d’autres comme moi ont vécu, et dont, 30 ans plus tard, je continue à penser que ça a été l’une des plus grandes chances de ma vie : je suis persuadé que je dois à cette réalité très matérielle et humaine, que la notion d’Ecole de Nice rend si mal, la façon particulière dont je m’inscris dans les domaines de l’art. Non pas ma passion pour l’art qui me vient d’ailleurs, mais vraiment cela, une manière de s’inscrire. Je dois à l’Ecole de Nice de toujours chercher à inscrire mon rapport à l’art (je devrais dire « notre rap¬port à l’art ») dans une volonté de quotidienneté, de proximité, dans la continuité tranquille de la vie. Je lui dois la qualité particulière de mon regard sur l’art, fait d’abord d’interrogation et d’inquiétude, et non d’immédiate jouissance ; je lui dois la jubilation des confrontations, des discussions, des découvertes, des étonnements. Je lui dois enfin de m’avoir immédiatement confronté à toutes les questions et à tous les mouvements qui agitent l’art de ce siècle. Quand je dis que je dois tout cela à l’Ecole de Nice, je veux dire que je le dois aux artistes que j’ai eu la chance de connaître et de rencontrer, et qui m’ont, sans retenue et sans réticence, inscrit dans leurs réseaux. Je le dois à Ben et à Alocco d’abord ; je le dois ensuite à tous ceux dont je ne cesse depuis des années de répéter la litanie : Dolla, Miguel, Charvolen, Maccaferri, Isnard, Chacallis, Pagès, Viallat et tant d’autres de cette fin des années soixante. Comme je le dois aux Nouveaux Réalistes et encore plus à Fluxus, et à tous ceux qui se sont inscrits dans ce mouvement niçois fait d’invention et de santé. Mais à vrai dire, Alex, je le dois aussi à tous ceux qui, sans être considérés comme « Ecole de Nice », avant les Nouveaux Réalistes, et après la peinture analytique, ont assuré ici la présence de l’art ».

La preuve en est magistralement de cette rencontre avec Carmelo Arden Quin, fondateur du Mouvement MADI, qui mena à « Intervention A », manifeste co-signé, mais dans le style des manifestes argentins des années 40 de celui-ci, avec pour mot-clé : « invención ». Un jour Carmelo expliquera que ça ne pouvait pas marcher, que les niçois ne deviendraient pas MADI. Evidemment. Cependant, en 1979, année où Alexandre de la Salle présenta Arden Quin à la FIAC, pour l’exposition des « Coplanals » d’Arden Quin Galerie 30, Rue Rambuteau, Paris, Raphaël Monticelli écrivit le texte de la plaquette intitulé : « Coplanals, Entre désir du mouvement et plaisir de la permanence » : « A quelques exceptions près l’œuvre de Carmelo Arden Quin s’élabore hors de la pratique de la toile. Rejeté parmi les évidences ce fait n’a guère été retenu alors qu’il permet d’éclairer le rapport d’Arden Quin à la peinture et à ses outils, non pas parce que serait inévitablement inscrite, dans le choix des matériaux, une mécanique de leurs transformations possibles mais parce que l’utilisation de matériaux rigides consciemment prise en compte dans le cas qui nous occupe suppose un investissement individuel particulier dans le traitement plastique : volonté de maîtriser la forme et de prévoir les effets colorés n’acceptant aucune bavure (au moins dans l’intention), rapport à la surface à peindre comme à un support, à un lieu à masquer, rapport étroit, au moment même de la conception, entre l’intérieur et les limites ; la mise en cause de l’orthogonalité de la surface peinte et ses effets sur le rapport de l’ œuvre au lieu d’exposition dont on fait l’essentiel de sa recherche sera ainsi à comprendre dans sa liaison avec la problématique de la composition interne du tableau » etc.
Malgré tout les questions se rejoignaient, questions que bien sûr, Arden Quin avaient lancées en 1944 avec la revue « Arturo » et surtout en 1935 lorsque, rentrant chez lui après une conférence de Torrès-Garcia, il avait concocté le premier tableau à forme irrégulière de l’Histoire de la Peinture « Diagonale et carrés ». Le chercheur qu’est Raphaël Monticelli ne pouvait qu’avoir des choses à partager avec l’artiste urugayen si profondément obsédé par des questions plastiques tout autant que marxistes.
Et donc, c’est bien du côté du groupe INterVENTION (Alocco, Ben, Biga, Cane, Dezeuze, Dolla, Monticelli, Pagès, Saytour, Viallat, co-signataires du Manifeste d’Arden Quin) de 1968, (charv12, Manifeste 1968) puis du groupe INterVENTION de mars-avril 1970 à la galerie Alexandre de la Salle (Alocco, Charvolen, Dolla, Miguel, Osti, Maccaferri), que Raphaël choisira principalement son champ d’investigation, le Groupe 70 issu de cette exposition se composant de Chacallis, Charvolen, Miguel, Isnard et Maccaferri, puis, dorénavant, à partir de l’exposition 1976 à la galerie de la Salle, de Charvolen, Maccaferri, Miguel, à l’intérieur de laquelle sont imprimées des « Notes à propos de mes rapports avec le Groupe 70, Avril 1976, R. Monticelli. A l’intérieur du feuillet-invitation sont imprimées des « Notes à propos de mes rapports avec le Groupe 70, Avril 1976, R. Monticelli : « … ce qui me paraît bon, dans le groupe, c’est que sur ce point comme sur pas mal d’autres, il met en cause (en doute) – dans la pratique de la peinture – le rapport immédiat – évident. En d’autres termes, la peinture de Max, Serge et Martin pose leur rapport aux couleurs (notre rapport aux couleurs) comme problème. On pourrait en dire autant de l’espace, du format, de l’outil… ».

Encore une belle synthèse, celle que Raphaël Monticelli m’adressa en 1999 pour la confection du « Paradoxe d’Alexandre », et j’en demeure aujourd’hui touchée : « Pour France Delville : Quand Alexandre de la Salle m’a demandé une participation à ce catalogue, les souvenirs me sont revenus en meute, depuis cette première visite dans la galerie qu’il tenait encore à Vence et qui donnait sur la place Godeau... Expositions, vernissages, rencontres, œuvres, visages, discussions, quelques moments cocasses aussi... Mais un souvenir a vite dominé tous les autres... C’était lors de l’exposition du groupe 70, en 1975 (*). Depuis deux ou trois ans Chacallis et Isnard étaient séparés du groupe : restaient Charvolen, Maccaferri et Miguel. Ils présentaient ces œuvres de leur grande période analytique et critique... Ah ! il ne fallait pas nous parler d’émotion et de création alors. Nous étions accrochés aux questions des constituants de la peinture, à sa spécificité, à ses limites, à la place qu’elle occupe dans les pratiques humaines, et au rôle qu’elle joue dans les formations sociales... Nous nous posions les mêmes problèmes pour les autres pratiques artistiques, bien entendu. Ne nous imagine surtout pas réunis en discussions savantes et théoriques... Non. Nous partions toujours d’un « faire » : les problèmes se posaient d’abord pratiquement, plastiquement. Et nous discutions avec fougue et passion, pièces à l’appui. Ici, c’était telle question que nous avions trouvée chez Matisse et à quoi nous cherchions à donner écho, là c’était un problème entrevu chez Léger, ou chez Klein, ou chez Giotto...

Deux choses seulement étaient à peu près sûres : d’abord que la peinture, l’art, sont sans cesse à (re) construire, et que peindre dans le présent apprenait à regarder autrement la peinture du passé. Ensuite qu’on ne pouvait pas poser la question des constituants de la peinture comme les linguistes le faisaient pour la langue, et qu’on ne pouvait limiter la liste de ces constituants aux seuls éléments matériels, qu’il fallait y intégrer d’autres éléments sans lesquels la peinture ne pouvait être, au premier desquels la figure ou l’image... Ce petit exposé n’a d’autre but que de te donner le cadre dans lequel j’évoluais alors... J’avais appris à poser ainsi les questions de l’art avec mes amis, ceux du groupe 70, justement, ceux de Support Surface, Noël Dolla notamment, avec Marcel Alocco et quelques autres... Pour dire vrai toutes ces questions me paraissent toujours pertinentes. Mais ceci nous éloignerait de notre propos...Revenons-y donc. 1975. Exposition du groupe 70. Fin du vernissage. Nous partons tous manger un morceau chez Antoine, je crois. Par extraordinaire je me retrouve dans la voiture d’Alex... Nous traversions Vence et allions prendre la route de Saint-Jeannet. Arrêtés à un feu rouge, voilà qu’Alex me pose, dit-il, une question de confiance. Un problème qui le préoccupe, précise-t-il. Il se demande du reste s’il peut me poser la question. Qu’il la pose, bien sûr, qu’il la pose. Il ne me gênera pas le moins du monde. « Et bien voilà, lance-t-il, je me demande... est-ce que tu peux dire vraiment que tu aimes ce trava
il-là ?...
Comment te dire ce qui s’est passé alors ? J’ai eu coup sur coup l’impression de deux incongruités. L’incongruité de la question d’Alex d’abord. Enfin... Était-il en quoi que ce soit question d’amour ? L’incongruité de ma position ensuite : je m’apercevais, d’un coup, que depuis ma première rencontre avec ces peintres de ma génération, je ne m’étais jamais posé cette question-là. Centrale, pourtant, pour toute vie. Tu sais, c’est comme dans ce passage de la lettre du « voyant ». Rimbaud y parle de ce « (...) coup d’archer. La symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d’un bond sur la scène...". Ce jour-là, c’est Alex qui a donné là un fameux coup d’archer. J’avais hâte que le repas finisse. Pour rentrer chez moi. Pour enlever des murs toutes ces œuvres. Et pour répondre à la question d’Alex, me poser une autre question : et si elles n’étaient plus là, qu’est-ce qui (me) manquerait. Et depuis... Mais c’est une autre histoire » (Raphaël Monticelli).
J’avais longuement répondu à cette « lettre », en voici quelques bribes : « L’attention de Raphaël aux artistes n’occulte plus sa propre œuvre, d’une grande valeur, c’est clair : ce qu’il appelle sa pauvreté l’a fait si ouvert aux perceptions, et à la Lettre, qu’il est devenu l’un des incontournables panneaux indicateurs de ce temps culturel, dans l’acte de démêler les écheveaux du monde phénoménal. La jouissance à le lire vient sans doute de son acceptation d’un discontinu propre au vivant lui-même ». Merci, Raphaël, de toute cette sensibilité.
Voir la vidéo des lectures de Bribes lues par Raphaél en cliquant ici
(*) 1976 ? Max Charvolen aussi parle de 1975. Mystère.

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