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FEUILLETON : Et si l’Ecole de Nice nous était contée ? - CHAPITRE I : QUESTIONS GÉOGRAPHIQUES - Par France Delville pour Art Côte d’azur

A l’occasion de l’exposition "50 ans de l’Ecole de Nice" au Musée Rétif à Vence, France Delville vous propose de partager à l’aide d’archives documentaires son histoire de l’Ecole de Nice en plusieurs chapitres et ce, jusqu’au terme de l’exposition en décembre 2010.

Un regard qui viendra vous présenter une découverte complémentaire de ce mouvement artistique unique, en alternance avec la Chronique d’André Giordan et Alain Biancheri. Pour mieux l’appréhender et en découvrir la richesse, les talents multiples, les anecdotes....!

En cette année 2010, Nice célèbre le 150e anniversaire de son rattachement à la France, le 14 juin 1860 elle quitta le royaume du Piémont-Sardaigne pour rejoindre la France de Napoléon III.

Et le 7 juin de cette année 2010, Philippe et Mireille Rétif ont offert à Alexandre de la Salle - par l’entremise de Frédéric Altmann – de fêter, dans leur magnifique musée de Vence (900 mètres carrés d’exposition), les « Cinquante ans de l’Ecole de Nice » comptés à partir de 1960.

Pourquoi 1960 ?

Manifeste du nouveau réalisme
Photo MCM Group

Parce que le 27 octobre 1960, chez Yves Klein, à Paris, rue Campagne-Première, Pierre Restany faisait signer le Manifeste du Nouveau Réalismeà un certain nombre d’artistes révolutionnaires, dont deux Niçois, Arman, Klein, et un natif de Golfe-Juan, Martial Raysse. Les autres étant Tinguely, Hains, Dufrêne, Villeglé, Spoerri. Absents ce jour-là, César et Rotella faisaient quand même partie du groupe. Deschamps, Christo, Niki de Saint-Phalle les rejoindraient.

Raison conjointe :

- 1960 est l’année où Alexandre de la Salle installa une galerie à Vence, place Godeau, celle-là même qui, en mars 1967 allait organiser, selon la déclaration d’Arman en 2002 dans un film de Pierre Marchou, la « première exposition fédératrice de l’Ecole de Nice », avec un catalogue préfacé par Pierre Restany.

- Neuf mois après cette exposition fédératrice, du 20 décembre 1967 au 5 février 1968, Arman, Klein, Raysse exposent à la Galerie Municipale des Ponchettes, non pas sous la bannière du Nouveau Réalisme, mais sous l’intitulé « Ecole de Nice : Arman, Yves Klein, Martial Raysse ».

affiche réalisée par Martial Raysse et Page titre du Catalogue, archives Frédéric Altmann

Martial Raysse compose l’affiche, avec « Ecole de Nice » écrit à l’envers.
Par ces trois du Nouveau Réalisme qui vont devenir les « pères » de l’Ecole de Nice, Nice entre définitivement dans l’Histoire de l’Art Contemporain, Ben enfoncera le clou avec la venue à Nice du Pape de Fluxus, Maciunas.

Du point « géographique » (c’est le terme qu’emploie Arman dans le film de Marchou), la légitimité du terme « Ecole de Nice », est multiple :

- Armand Pierre Fernandez, dit Arman, est né à Nice le 17 novembre 1928

- Yves Klein, fils de Marie Raymond et Fred Klein, tous deux peintres, est né à Nice le 28 avril 1928.

- Martial Raysse est né en 1936 à Golfe-Juan, mais c’est à Nice (à Paris et Milan) qu’il rencontre ceux du Nouveau réalisme qui l’intègrent au Mouvement.. Il exposera à Nice en 1957, à la Galerie Longchamp de Jacques Matarasso, en présence de Jean Cocteau. Et en novembre 1961 il est interrogé sur une Ecole de Nice éventuelle par Sosno, dans « Sud Communications », n°113 bis, où l’introduction fouillée de Sacha expose les linéaments de ce qui est en train de se jouer.

Extrait du dialogue Sosno-Raysse en 1961

« Sacha Sosnovski : Si l’on excepte le groupe restreint de l’Ecole de Nice, existe t il, sur la Côte d’Azur, un milieu pictural ?

-  Martial RAYSSE :
Mis à part trois ou quatre peintres d’avant garde dont l’activité est directement tournée vers l’extérieur, Nice est une ville qui dérive à 50 ans au large de l’actualité. Évidemment, on y discerne l’inévitable cloaque de peintres d’anges, qui malheureusement trouvent encore le moyen de démarquer les plus mauvais figuratifs parisiens... Vous savez toutes ces lignes qui se rejoignent... le puzzle... à l’époque de la physique nucléaire, il faut bien se rattraper à quelque chose... J’ai d’ailleurs pour ces cosmonautes beaucoup d’attendrissement, car avec un bel optimisme ils rejettent toutes les perspectives de l’actualité internationale et retournent délibérément au folklore, ce qui est très attachant car je voudrais que Nice demeure une de ces villes privilégiées où la peinture à papa, mijotée et appréciée, se fixera en tradition comme celle des pipes du Jura ou de la dentelle du Puy.

- Sacha Sosnovski : Mais, quand même, il existe une critique d’art ?

-  Martial RAYSSE
Oui, oui... Il y a deux ou trois humoristes qui ont raté Corot mais, croyez moi, ne laisseront jamais échapper Renoir.

- Sacha Sosnovski - Que signifie cet étalage que vous pré¬sentez à la Biennale de Paris ?

- Martial RAYSSE :
Curieusement, aucun étalage ne ressemble à cette sculpture, le réel travaille pour moi, c’est bien connu, mais je m’additionne, c’est le super étalage... Il va de soi que c’est un totem, une fusée, un titre de propriété, vaccin, une sorte de visa. Il sert de catalyseur pour une osmose du spectateur avec le monde merveilleux de notre vie actuelle. Rituel pour une hygiène de la vision.

- Sacha Sosnovski - Pourquoi utilisez vous des objets manufacturés en plastique et obligatoirement neufs ?

- Martial RAYSSE :

Photo de Martial Raysse par Sosno en 1961, parue dans Sud-Communications

J’utilise des produits manufacturés parce que je suis doc¬teur ès matières et que tout l’art actuel spécule sur l’instinct de conservation, l’attendrissement au pourrissement cel¬lulaire. Seul le neuf est aseptisé ; l’hygiénique, l’inoxydable. L’immatériel est intéressant, et puis la sculpture actuelle est en deuil... Le plastique, c’est la couleur dans la masse, la chair, le Congo, le Cap Canaveral ».

- Sacha raconte que l’article « La Charge Solaire de l’Artiste », que Claude Rivière écrivit dans le Journal Combat du lundi 22 août 1960, ce fut après un déjeuner au Haut-de-Cagnes avec Sosno et Raysse.

Extrait de cet article
Y-a-t-il une Ecole de Nice ? Nous pourrions le croire, car très nombreux sont les peintres demeurant à Nice. Arman, Yves Klein, Martial Raysse, Laubiès, Jean-Pierre Mirouze, Sacha Sosnovsky et tant d’autres encore. Ils sont pleins d’ardeur et d’audace. (…) Raysse, poète et artiste, présente des élytres transparentes et veinées. Libellules de nos rêves, transmutations ou métamorphoses, nous assistons à l’éclosion d’une vie végétale non seulement pleine de poésie, mais encore entachée de l‘intensité expressive de nos rêves et ici nous comprenons mieux encore les pertinentes explications de Bachelard.

- En 1965, interrogé par « Identités », une Revue trimestrielle fondée à Aix-en Provence en juin 1962 par l’historienne Régine Aizertin-Robien et Marcel Alocco, directeur, assisté de Jean-Pierre Charles, Raysse déclarera :

Identités - On parle d’une Ecole de Nice, existe-t-elle ? Avez-vous conscience d’en faire partie, et quelles sont, selon vous, ses caractéristiques ?

- Martial Raysse - En effet, travaille à Nice un groupe fortement individualisé par rapport à Paris et New York.
Nous étions trois, nous voici dix, nous serons trois cents dans dix ans...

- Marcel Alocco est aussi né à Nice en 1937.

Défoliation », 1971, Photo François Fernandez

En 2010, Marcel Alocco écrit : « Je suis Ecole de Nice comme je suis bachelier… à l’imparfait. J’étais. Ce n’est pas naguère, c’est jadis. Avec l’entrée dans le « post-moderne », une personne des années 80 (et suite) qui se dirait artiste de l’Ecole de Nice serait comme une momie qui prétendrait courir le cent mètres olympique. Trop tard, fini. Il était une fois… L’art vivant c’est : il sera demain. Et l’Ecole de Nice est une histoire de Musées ».

- Ben est né à Naples en 1935 mais en 1958 il crée « Scorbut, Laboratoire 32 » à Nice.

Ben - photo André Villers

Et en 2008, dans sa rubrique « Nice Culture », c’est ainsi qu’il voit l’Ecole de Nice : « Le moteur de la création étant la jalousie c’est tout à fait naturel que nous soyons les plus créatifs de France à Nice. Seul problème comment expliquer cette jalousie qui manque à Bourges, à Tours, à Marseille etc. Moi Ben je soutiens que c’est l’eau de la Vésubie qui alimente Nice en eau potable et dans laquelle je vais pisser une fois par mois ».

- Et Noël Dolla est né à Nice en 1945, Robert Erébo est né à Nice en 1945, Jean-Claude Farhi est né à Nice en 1940, Claude Gilli est né à Nice en 1938, Robert Malaval est né à Nice en 1937, André Verdet est né à Nice en 1913, Martin Miguel est né à Nice en 1947, Jean Mas est né à Nice en 1946, Edmond Vernassa est né à Nice en 1926…

Et tous les autres, apparus tous les dix ans dans les expositions « Ecole de Nice » d’Alexandre de la Salle, puisqu’elles sont le fil que j’ai choisi de tirer, même s’ils sont nés ailleurs, se sont intégrés à ce qui régulièrement s’est appelé « Ecole de Nice ».
Et c’est Bernar Venet, né à Nice, et inscrit dans l’Ecole de Nice dès 1967 par Alexandre de la Salle qui a créé pour la Fête de Commémoration, ce gigantesque « faisceau » de lignes indéterminées, sorte de gerbe installée quai des Etats-Unis, lui qui se reconnaît plutôt dans une « Ecole de Nice buissonnière ». Œuvre qui fait assez écho au Volcan de Claude Gilli dont les bulles abritent les noms des divers membres d’une Ecole de Nice réactualisée.

D’autres événements sous ce label impliquèrent d’autres artistes, et cela est bien, l’Ecole de Nice fut, et reste un ferment, même si le 18 décembre, cette équipe-là, menée par Alexandre de la Salle, et Mireille et Philippe Rétif, souhaitent dissoudre l’Ecole de Nice, comme le Nouveau réalisme fut dissous à Milan en 1970.

Si l’idée est de poursuivre, au fil des quinzaines, sur ce site, Art Côte d’Azur, un « feuilleton de l’Ecole de Nice », eu égard à l’abondance des archives disponibles dans cet « après-coup » de l’Histoire, finissons ce premier chapitre sur l’émouvant happening que Pierre Pinoncelli produisit, en deux actes, le 7 juin au Musée rétif, pour lequel il récupéra l’habit de lumière utilisé en 1967 à la Galerie de la salle Place Godeau pour exécuter « Dédoublement, Copulations, Bûcher »., et qui fut reproduit en estampe.

Bref extrait de réponses à un questionnaire sur la relation de Pierre Pinoncelli à l’Ecole de Nice hier et aujourd’hui, Saint-Rémy-de-Provence, Janvier 2010

- France Delville : Pierre, que représentait l’Ecole de Nice pour toi en 1967 ?

J’ai trouvé à Nice une patrie artistique pour pratiquer mes actions de rue… car en vérité je vous le dis c’est moi qui ai amené le happening sur la Côte d’Azur, en fait…
Dès mon arrivée, d’ailleurs, j’ai fait cette exposition-happening du « double » à Vence, en 1967, chez Alexandre de la Salle : « Les copulations d’un Chinois en Chine » !... et ce dernier a failli mourir brûlé vif, lors de la performance Place Godeau, ah ! ah !
Cher Alex, tout au début, tout au long, et tout à la fin ( !?) de l’école de Nice, hourra !

- France Delville : Que représente-t-elle aujourd’hui ?

C’est plutôt par reconnaissance envers cette école de Nice qui m’a hébergé à mes débuts dans la performance, lors de mes premiers actes de rue (l’attentat Malraux pour la première pierre du Musée Chagall, la marche pour le Biafra – en momie sanguinolente – avenue Jean Médecin, le Théâtre Sauvage, à Coaraze – avec la troupe des Vaguants – pour le meurtre d’un cochon, le Père Noël qui casse les jouets de sa hotte, un 24 décembre devant les Galeries Lafayette, l’hommage à Monte-Christo dans le port de Nice, le hold-up de la Société Générale – avec un canon scié – pour protester contre le jumelage Nice -Le Cap, décidé par Jacques Médecin, au temps de l’Apartheid, et le procès, au Palais de Justice de Nice… pieds nus, crâne rasé, pyjama rayé des camps de la mort, étoile jaune à la poitrine en mémoire aussi, des quelques bravos qui m’ont soutenu, alors, dès le départ : Alexandre de la Salle, Jacques Lepage, Jean Ferrero, Guy Rottier, Claude Gilli, Jean Mas…

Je suis toujours resté fidèle à Nice, d’ailleurs… il n’y a qu’à voir le mythique bandeau « NICE » que j’ai sans cesse arboré dans les manifestations publiques et sur tous mes catalogues ou plaquettes (la fameuse photo en « Sudiste » de Jean Ferrero)… espèce disparue de « pirate niçois » destiné à finir au bout d’un mât, ah ! ah !
Ma grand-mère Clémentine m’a toujours répété, d’ailleurs – dans le parc de sa grande villa blanche de l’avenue Saint-Maurice – avec un mélange de tendresse et de consternation :
« Toi, mon chéri, tu finiras certainement sur l’échafaud !! ».
Elle ne pouvait imaginer, la chère grand-mère (aussi rapide et aussi coriace que Ma Dalton, pourtant) que j’aurais une fin encore plus tragique et plus grotesque : membre à vie du gang de l’école de Nice, vous imaginez un peu ? pauvre de moi !

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