« Tire-boulettes »

Le lance-pierre – que l’on appelait aussi « tire-boulettes » – a semble-t-il disparu de la panoplie des jouets d’aujourd’hui. Pourtant, il fut omniprésent entre les années 1960 et 1980. On en trouvait dans les magasins de jouets, mais le plus beau restait toujours celui que l’on fabriquait soi-même : une branche en forme de Y, qu’il fallait solide, sans fissures, mais aussi esthétique, car l’apparence comptait autant que l’efficacité. Poncer le bois faisait déjà partie du plaisir. Le reste tenait à peu de choses : deux morceaux d’élastique résistants (souvent découpés dans une chambre à air de vélo), un petit rectangle de cuir pour la poche qui contenait le projectile (un caillou le plus souvent), et un peu de ficelle pour lier l’ensemble.
Le lance-pierres n’aurait pas pu exister avant la diffusion du caoutchouc, au début du XXe siècle, vers les années 1920-1930, moment où les enfants y eurent véritablement accès, mais ce n’est que dans les années 1950-1960, avec la généralisation des bicyclettes que les chambres à air usées se retrouvèrent partout : le lance-pierre devint alors un objet banal de l’enfance et un jeu courant dans les campagnes et dans les villes du monde, particulièrement en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. Il fut à la fois jouet et outil de chasse pour attraper quelques petits oiseaux, lézards ou rongeurs, mais nullement une arme. Même lorsqu’un oiseau était touché, il repartait le plus souvent indemne, tant sa puissance restait limitée.
Une vie à collectionner
C’est ainsi que André Rouayroux reçut comme cadeau de son père, grand collectionneur d’art africain, son premier lance-pierres. Il raconte : « Je me souviens très bien de cette première rencontre. Ce fut presque une déception : ce n’était pas un véritable jouet, mais une sculpture. L’objet n’avait rien à voir avec celui que j’attendais. Que pouvais-je en faire ? Très vite pourtant, un dialogue s’installa entre lui et moi. J’apprenais à l’observer, à le manipuler, à l’interroger, et lui me répondait. C’était une conversation bien plus adaptée à mon âge que celle, plus grave, qui entourait les masques et les statues. »
De cette rencontre naquit une collection, qui ne cessa de s’enrichir au fil du temps, entraînant de nombreuses découvertes et échanges.
La recherche commencée en Afrique se prolongea à Paris, où galeries et collectionneurs commençaient à s’intéresser à ces objets singuliers qui peu à peu, sont passés du statut d’objets de curiosité à celui d’objets d’art.

C’est au sein d’un territoire restreint : Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Ghana, Mali, que ce petit objet transportable, entre outil et arme, a donné lieu à une étonnante créativité. Des représentations anthropomorphes, animales, symboliques, parfois humoristiques, d’une grande finesse, virent le jour. Sa forme en Y, en la retournant, évoqua naturellement les jambes écartées d’une parturiente : dans l’un des lance-pierres présentés à l’exposition, on assiste à une scène d’accouchement. On retrouve dans ce petit objet non sacré l’influence de la statuaire classique africaine. On y voit aussi apparaître l’homme blanc, reconnaissable à sa casquette et à ses bottes.
Cet objet pose de nombreuses questions que le collectionneur partage avec ses pairs et les spécialistes. Sa rencontre avec le Professeur Yacouba Konate de la faculté d’Abidjan, fut riche d’échanges qui ont été à l’origine du livre consacré à cette collection et à cette exposition où on peut admirer la grande diversité de styles et la très grande richesse d’expressions qu’offre ce simple et fascinant objet.
Ne pas manquer de visiter ce Musée qui propose un très intéressant voyage à travers l’art primitif, l’Antiquité égyptienne et grecque et l’orientalisme.
Alain AMIEL