Fasciné par le vaste horizon bleu de la mer et la luminosité du ciel de Nice, Henri Matisse y séjourne dès la fin de l’année 1917 pour reconquérir son inspiration et s’installe de manière plus définitive en 1921, 1 place Charles Félix, dans l’immeuble qui domine le cours Saleya, la courbe de la baie des Anges et la Promenade des Anglais.
A la suite de la guerre et du succès du cubisme, Matisse trouve à Nice un ermitage propice à sa réflexion et travaille dans l’univers feutré des chambres de l’hôtel Beau Rivage, puis de la Méditerranée. Il entoure ses modèles de vases de fleurs, de tissus, de tentures, de mobiliers, d’objets de toutes origines et utilise la lumière filtrée par les persiennes.
La conscience de la permanence des forces vitales de la nature, de l’intensité de la lumière et des couleurs des bords de la Méditerranée donne au peintre la possibilité de se replier dans des intérieurs qui deviennent des jardins de motifs.
Le musée Matisse propose de mettre en relation l’univers intime de l’atelier de l’artiste avec l’étendue de la baie des Anges, le bleu profond du ciel, la végétation perceptible au-delà des fenêtres ouvertes et qui longe le quai des Etats-Unis. L’exposition décline ainsi l’importance de la représentation des intérieurs niçois, jusqu’à la création de compositions imaginaires mêlant les horizons dans des espaces de couleurs.
A la rencontre des rivages
- Henri Matisse en 1929 sur le balcon de son appartement du 4ème étage, 1 place Charles-Félix, surplombant le cours Saleya et la promenade des Anglais. En arrière-plan, la baie des Anges et le casino de la jetée-promenade. - Archives Henri Matisse © Succession H. Matisse Photo : Archives Henri Matisse
Matisse recherche l’expression la plus juste pour traduire son regard sur le monde : « Je prends dans la nature ce qui m’est nécessaire, une expression
suffisamment éloquente pour suggérer ce que je pense. […] ». Cette approche du paysage, reposant sur l’observation et la réflexion, éclaire les raisons pour lesquelles il décide de s’installer à Nice fin 1917, face à la baie des Anges, et de choisir l’intimité des intérieurs.
Ce n’est pas la première fois que le ciel et les rivages retiennent son attention.
Pour des raisons diverses, les paysages de bords de mer lui offrent une opportunité d’expériences picturales nouvelles. Lors de son séjour en Bretagne, en 1896, à Belle-Ile, Matisse peint des paysages côtiers. « Je revins de mon voyage avec la passion des couleurs de l’arc en ciel ». En 1904, l’été à Saint-Tropez auprès de Signac constitue avec l’utilisation du pointillisme une étape transitoire vers le fauvisme : « Travaillant devant un paysage exaltant, je ne songeais plus qu’à faire chanter mes couleurs ». En 1905 à Collioure avec Derain, à la recherche d’une expression au plus proche de son émotion, il explore les sensations provoquées par les forces de la nature, qu’il traduit par les couleurs pures du fauvisme. A chaque étape de découverte, Matisse s’éloigne de la représentation directe du paysage. Le peintre retrouvera dans le dialogue qu’il instaure à Nice entre intérieur et extérieur l’inspiration d’un hédonisme qu’il développera dans son oeuvre.
Face à la baie des Anges
Fin 1917, Matisse souhaite se rendre à Marseille, puis à Nice, pour bénéficier d’un climat favorable à sa peinture et s’arrête à l’hôtel Beau Rivage. Le temps maussade est décevant, mais le vent se lève et fait apparaitre le bleu intense de la baie des Anges. Ainsi, dès ce premier séjour, Matisse trouve à Nice l’environnement qui lui convient : « pour peindre mes tableaux, j’ai besoin de demeurer sous les mêmes impressions plusieurs jours de suite et je ne puis le faire que dans l’atmosphère de la Côte d’Azur ». Plus qu’en extérieur, il travaille essentiellement dans les chambres où il réside, à l’hôtel Beau Rivage et à l’hôtel de la Méditerranée à partir de 1918, puis plus tard, en 1921, dans son appartement-atelier du cours Saleya.
L’atmosphère de ces « intérieurs niçois » rappelle au peintre celle de l’atelier qui est en lui-même source de création. Ainsi, peu à peu, Matisse se prend à parer ses modèles de costumes et à les entourer de décors.
Il utilise la lumière filtrée par les persiennes pour éclairer ces décors d’intérieur. « Un vieil et bon hôtel, bien sûr ! Et quels jolis plafonds à l’italienne ! Quels carrelages ! [...]. Je suis resté quatre ans pour le plaisir de peindre des nus et des figures dans un vieux salon rococo. Vous souvenez-vous de la lumière qu’on avait à travers les persiennes ? Elle venait d’en dessous comme d’une rampe de théâtre. Tout était faux, absurde, épatant, délicieux. »
De ces lieux qui semblent clos, Matisse s’évade au-delà de lui-même et de sa propre inspiration.
« Si j’ai pu réunir dans mon tableau ce qui est à l’extérieur, par exemple la mer, et à l’intérieur, c’est que l’atmosphère du paysage et celle de la chambre ne font qu’un… Je n’ai pas à rapprocher l’intérieur et l’extérieur, les deux sont réunis dans ma sensation. »
À certaines occasions, la Promenade des Anglais en tant que telle retient son attention, comme pour les peintures Tempête à Nice qui rappelle l’arrivée du peintre dans la ville par mauvais temps et Fête des fleurs où il représente ses modèles installées sur le balcon, absorbées par le spectacle du défilé.
Cependant c’est la lumière de Nice, filtrée par les persiennes qui dévoilent le bleu de la mer, qui procure au peintre, en une sorte d’introspection, l’atmosphère favorable à sa constante recherche d’une expression la plus proche de son émotion.
Le cours Saleya
« Depuis l’horizon jusqu’à moi-même… »
En 1921, lorsqu’Henri Matisse décide de s’établir de manière plus définitive à Nice, il loue un appartement sur le cours Saleya, 1 place Charles-Félix, qui domine le quai des Etats-Unis et la Promenade des Anglais.
Comme dans les hôtels, Matisse, face à l’infini de l’horizon, peint des intérieurs de manière à maintenir une continuité dans sa création. « J’ai travaillé à Nice comme j’ai travaillé n’importe où ailleurs. » Le ciel de Nice, par l’intermédiaire de la fenêtre, entre dans les compositions d’intérieurs.
Cette union de l’extérieur et de l’univers intime, au décor agencé, donne le caractère émotionnel propre à l’art de Matisse : « Mon but est de rendre mon émotion. Cet état d’âme est créé par les objets qui m’entourent et qui réagissent en moi : depuis l’horizon jusqu’à moi-même, y compris moi-même. […] J’exprime aussi naturellement l’espace et les objets qui y sont situés que si j’avais devant moi la mer et le ciel seulement, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus simple au monde. »
Au-delà des fenêtres : un nouvel espace
Au-delà de Nice, ses intérieurs et ses horizons, Matisse est à la recherche d’un nouvel espace et de cette curiosité naît son désir de se rendre, en 1930, à Tahiti : « En travaillant depuis quarante ans dans la lumière et l’espace européens, je rêvais toujours à d’autres proportions qui pouvaient se trouver peut-être dans l’autre hémisphère. […]. Je cherchais autre chose que l’espace réel. »
Même si le séjour à Tahiti ne lui apporte pas de réponse immédiate, en rentrant à Nice, Matisse reprend son oeuvre avec un nouvel esprit. Apparaissent alors de grandes compositions mêlant les impressions d’espace recueillies à Tahiti et celles ressenties face à la baie des Anges.Après avoir ressenti l’étendue du ciel et de la mer pouvant se confondre, le peintre amplifie son espace pictural. Il repousse ainsi les limites du tableau : « La peinture en devient aérée, même aérienne. » Il crée de grandes compositions en papiers gouachés découpés qui seront ensuite réalisées en tapisserie (Polynésie, le ciel ; Polynésie, la mer) ou en panneaux de céramique (Apollon ; La Piscine). L’oeuvre de Matisse prend une place particulière dans la modernité de la représentation picturale du monde. Il établit une continuité entre son observation du réel et le mystère du ressenti.
Il hisse l’expression d’une vision sensible à la simplification des formes vers un langage universel qui constituera ce qu’il appelle « le signe ».
L’inspiration du peintre va au-delà du sujet lui-même : « Ce n’est qu’après avoir joui longtemps de la lumière du soleil, que j’ai essayé de m’exprimer
par la lumière de l’esprit. »