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FEUILLETON - : Et si l’Ecole de Nice nous était contée ? - CHAPITRE 4 : QUESTIONS DE L’ORIGINE - Par France Delville pour Art Côte d’Azur

Pour ce qui nous occupe, les innovations et théories de Dada et particulièrement celles de Duchamp ont irrigué les problématiques de tant de leurs successeurs que cela les désigne définitivement comme auteurs de la dernière rupture historique en date.

Invitation de Les Oiselleries métaphysiques à Tokyo"
Galerie A. de la Salle 1995

Claude Fournet emploie même le terme de déchirure dans son introduction à « Chroniques niçoises, Genèse d’un Musée », texte de lui qu’il a répertorié sous le titre d’essai dans sa bibliographie, car en plus d’avoir été Directeur des Musées de Nice et du Patrimoine, Commissaire d’exposition et préfacier de l’exposition « L’Ecole de Nice et ses mouvements » au MAMAC en 1989, préfacier de l’exposition « L’Ecole de Nice » en 1995 au « Meguro Museum of Art de Tokyo », etc. etc. il est un poète, un écrivain, un photographe, et ses textes critiques sur l’art sont de première importance. Qui donc mieux que lui aurait compris le charme, au sens fort, du Mouvement intitulé « Ecole de Nice » ? Il écrit : « Chroniques niçoises ? L’intitulé peut paraître audacieux lorsqu’il s’agit de rendre compte, au niveau d’une nouvelle institution (…) de mouvements dont on décide que l’épicentre sera niçois.

Paradoxes également que ces petits séismes, plus ou moins voyants et qui en ont fait trembler quelques-uns ces trente-dernières années, avant de devenir, à une échelle internationale, mieux qu’un tremblement de terre : une véritable déchirure qui marque l’aventure des formes, dans cette seconde moitié du XXe siècle, et qui n’aurait pas été la même sans ce bouillon d’onze heures qui s’est concocté à Nice dans les années cinquante, et qui devait aboutir, Yves Klein, Arman, Raysse aidant, à une véritable révolution de l’objet et des emprunts culturels qui marquant cette fin de siècle ».

Couverture du roman de C. Fournet 1985 Ed. Galilée

Il se trouve que Claude Fournet en tant qu’artiste est tout aussi subversif que ceux qu’il évoque, ceux du bouillon d’onze heures. Co-commissaire de l’exposition du « Megaro » de Tokyo, il avait eu droit peu avant, au Sogetsu Art Museum de Tokyo, à une présentation de ses photographies jumelée avec l’exposition Pierre-Louis Lacombe/Frédéric Altmann intitulée « Deux regards sur le milieu niçois » (portraits d’Arman, Ben, César, Gilli, Nivèse, Sosno, Venet, Verdet, Villeglé), préface de Pierre Restany. Sans compter le dessin original - des « Cachets » - qu’Arman lui concocta pour l’édition de son livre « Periplum » (Galilée 1985).

En dehors de sa production de poésies, romans et essais très érudits, Claude Fournet exposa ses photographies dans divers pays dont l’Italie, et en France, entre autres au Musée de la Photographie de Mougins, et à la Galerie de la Salle. Sur l’origine de son art photographique il s’explique dans « New-York Tokio (sic)) : « Comme tout le monde j’avais un appareil de photographie sans m’en servir (…) Un soir mon père mourut, un verre de champagne à la main, face à Lausanne, sur les bords du Léman. (…) De lui ne restait rien, pas un objet (sinon des pendules qu’il accumulait, de style francomtois, avec d’énormes balanciers enfermés dans des cercueils) – sauf ce rolleiflex et quelques photos que ma mère recueillait dans des albums qu’elle commentait d’une grande écriture très déliée (moi qui ai toujours écrit petit comme si le papier était rare…).
Pour l’aventure niçoise Claude Fournet emploie les termes de tremblement de terre, déchirure, bouillon d’onze heures, il a raison car ce rassemblement informel s’est lui-même rallié aux ruptures plastiques, linguistiques, philosophiques, sociologiques du début du XXe siècle. Poison violent jusqu’à aujourd’hui cette « Ecole de Nice ? Oui, le mot et la chose ont coutume de soulever soit de la passion (pour les mithridatisés), soit de la méfiance jusqu’à l’aversion. C’est bon signe, cela rappelle la sorte d’inaccessibilité que pointa le critique londonien John Richardson à propos de Dada : « Comment peut-on espérer définir, et a fortiori circonscrire, un mouvement qui ne peut se réduire ni à un personnage déterminé, ni à un lieu, ni à une doctrine, ni à un thème particulier ; qui touche à tous les arts ; dont le centre d’intérêt se déplace sans cesse ; et qui, de surcroît, se proclame négateur, éphémère, illogique et sans objet ».

Manifeste Des Nouveaux Réalistes Lettres éclatées de Raymond Hains -Ed. Dilecta 2007

L’Ecole de Nice s’est construite contre l’Ecole de Paris par de multiples rencontres entre des esprits très différents, des logiques aussi éclatées que les lettres de Raymond Hains dans le Manifeste des Nouveaux Réalistes, et qui put, avec l’un de ses constituants, Fluxus, décliner l’éphémère dans des proportions fabuleuses grâce à Ben Vautier et Serge III.

N’oublions pas que Dada fut avant tout une « grande entreprise de déblaiement et de dénigrement des gloires officielles » (Julie Béret, in catalogue Dada du Centre Pompidou, 2005), qui lui fit même renier, parce qu’il était belliciste, quelqu’un qui avait si bien décrypté la révolution artistique de son époque : Apollinaire. Que Picabia décrit « comme quelqu’un qui aimait la vie, et toutes les formes nouvelles d’activité… son esprit était riche, somptueux même, souple, sensible, orgueilleux et enfantin. Son œuvre est pleine de variété, d’esprit et d’invention ».

Définition applicable aux créateurs de l’Ecole de Nice, surtout lorsqu’en chacun on peut déceler comme alambic (souvent ils l’avouent) les premières impressions, premiers chocs, premières représentations du monde, ensuite retravaillés en éléments de vocabulaire.

Urinoir de M ; Duchamp catalogue Dada de Pompidou 2005

L’audace d’y recourir leur fut historiquement offerte par ce Marcel Duchamp qui très jeune s’intéressa à la géométrie non-euclidienne, chercha des représentations mécaniques de ce qui apparaît le moins comme tel, les rapports sexuels, et inventa le ready made, objet de fabrication industrielle devenant œuvre d’art par le choix ou l’intervention de l’artiste. « Fountain », l’urinoir acheté par Marcel Duchamp dans un magasin de sanitaires de Manhattan, « chez J.L. Mott Iron Works » (signature qu’il détournera en « R. Mutt, 1917 ») sera vanté pour ses « lignes saisissantes » et ses « formes splendides » par le diplomate Walter C. Arensberg (sa forme libérée de sa destination fonctionnelle est une expression de la beauté par un artiste).

ecco homo 2008

Quatre ans après avoir abandonné la peinture, pour Katherine Dreir, riche mécène américaine, Duchamp accepte de composer une dernière huile sur toile, intitulée « Tu m’ », dont en 1966, il dira : « Vous pouvez mettre le verbe que vous voulez, à condition que ça commence par une voyelle ».

Séverine Gossart (cat. Dada/Pompidou) écrit que « Tu m’ » assaille le regardeur, par son jeu sur le langage l’interpelle etc. En faisant des boîtes (Faire un ready made avec une boîte enfermant quelque chose irreconnaissable au son et souder la boîte) Marcel Duchamp va lancer la production infinie des boîtes Fluxus, en cherchant la méprise, dixit Marc Décimo (in cat. Dada/Pompidou) : « rechercher parmi les formes la forme qui peut passer pour autre qu’elle n’est (…) l’attention et le temps nécessaire pour débrouiller les leurres paraissent par Duchamp requis pour faire du spectateur un regardeur. On connaît la célèbre phrase de celui-ci : « c’est le regardeur qui fait le tableau ».
Belle logique chez un artiste qui, se voulant ingénieur, cherche à substituer un style épuré et impersonnel à la peinture rétinienne. La « Broyeuse de chocolat » étant la première peinture dite de précision. Ecart intéressant entre l’autorisation à la subjectivité de donner ses lettres de noblesse à toute recherche de tout individu, et la tentative d’objectivation extrême, jusqu’à un art sec.
On peut lire ainsi le paradoxe mis en scène par « Support-surface » : désubjectivation apparente s’élevant jusqu’aux limites contre un art rétinien, les objets devenant pure signature – et du même coup mais a contrario le Sujet réapparaissant en force.
Qui pourra voir un torchon de cuisine sans penser à Noël Dolla ? Après cela l’art contemporain est devenu le champ par excellence où chacun peut clamer « j’existe ». En général son enfance n’est pas loin. Ainsi comment exclure le fait qu’enfant Duchamp observait la broyeuse de chocolat derrière la vitrine de la chocolaterie Gamelin ? Le mot écart, il l’emploie lui-même dans l’une de ses notes écrites à la plume : La mariée mise à nue par ses célibataires même. (sic) pour écarter le tout fait, en série du tout trouvé.
L’écart est une opération.

couverture des Textes Théoriques et Tracts de Ben 1975

Le Théâtre Total pratiqué par Ben sera dans l’optique de cette signature absolue, de cette marque de fabrique : tout ce que JE fais, est art. Ainsi le scénario de l’art total du 27 mars 1964 à l’Artistique demande simplement, entre autres : Hurlez « Descends si tu es un homme »/Levez la main droite et sautez quatre fois/Enlevez et posez votre chemise par terre, etc.

Cela a l’air simple, et ne l’est pas du tout. L’éditeur du livre (1975) de « Textes théoriques et Tracts » de Ben entre 1960 et 1974, Giancarlo Politi Editore, écrit : « Certains des premiers textes théoriques de Ben peuvent apparaître parfois naïfs. Ils ont quand même été publiés au complet parce qu’ils nous éclairent sur le processus de sa pensée. On peut voir au travers d’eux la progression auto-didactique de ses idées (le nouveau, la vérité, le tout). Ils sont importants parce que de tout temps la pratique de Ben, toiles, objets, sculptures, gestes, est la conséquence de ses positions théoriques. En fait, l’œuvre physique de Ben n’est là que pour démontrer, appuyer, sa théorie. Ben dit : Mon travail c’est ce que je pense de l’art, même si parfois sa peinture déborde sa pensée ».

Dans le clip ci-dessous- bref extrait de l’interview de Ben en 1997 - il parle de son enfance d’une façon tellement vraie et poétique, disant les choses comme il leur permet de venir – d’une manière qu’il veut libre - et cela donne une poésie de vérité, de sa vérité. Ben est poète à chaque instant, et pas seulement dans « Poésie, Prose et Ruminations » (Z’Editions, 1997), dont ce passage est particulièrement beckettien : « Je ne peux pas m’arrêter/je ne dois pas m’arrêter/impossible de s’arrêter/ils me rattraperont ».

Ben, Photo Frédéric Altmann

Ben fut un esprit précoce. Ayant séjourné dans divers pays depuis sa naissance, polyglotte il arrive à Nice à l’âge de 14 ans, fréquente le Club des Jeunes du Ballon d’Alsace créé en 1952 par Paul Mari et Robert Rovini pour parler d’innovations en tous genres, en 1956 avec Robert Malaval il crée une boîte de nuit. Malaval peint des toiles, Ben y joint des écritures comme il le fera dans son magasin « Laboratoire 32 » à partir d’octobre 58.

Dans son « Diagramme du développement historique de Fluxus », Maciunas inscrit Ben en 1959, bien avant la création officielle de Fluxus en 1961. Ben fera venir Maciunas à Nice en 1963 pour le « Festival Mondial Fluxus Art Total ». Dans « Tout cela est difficile », Ben écrit : « Sans John Cage, Marcel Duchamp et Dada, Fluxus n’existerait pas. Surtout sans Cage de qui j’aime à dire qu’il a opéré deux lavages de cerveau. Le premier au niveau de la musique contemporaine, avec la notion d’indétermination, l’autre au travers de son enseignement avec l’esprit Zen et cette volonté de dépersonnalisation de l’art. Fluxus va donc exister et créer à partir de la connaissance de cette situation post-Duchamp (le ready-made) et post-Cage (la dépersonnalisation de l’artiste). Cette connaissance crée un point de non-retour car, en acceptant d’avance toutes les formes, elle les périme du même coup (…) Ainsi Fluxus va s’intéresser au contenu de l’art pour le combattre, et, au niveau de l’artiste, créer une nouvelle subjectivité. Tout cela est difficile, presque impossible, car la dépersonnalisation est une nouvelle forme de personnalité et le non-art un nouvel art. Pourtant l’intention y est et l’honnêteté de l’intention est l’un des éléments essentiels de Fluxus. Même si le problème est impossible, le poser est important ».

Dans le catalogue de l’exposition de l’été 1985 à la Galerie d’Art Contemporain des Musées de Nice, Ben a écrit une « histoire de Ben vue par Ben » qui est un vrai poème. Sa vie est déjà un roman : né à Naples en 1935, sa mère appartient à la famille Giraud partie d’Antibes en 1787 pour Smyrne, son père est d’une famille de peintres suisses, sa mère est athée mais les nourrices le font baptiser à tour de rôle, le curé s’émeut.
A Naples Benjamin s’appelle aussi Paolo et Lucio. En 1939 sa mère l’emmène dans l’Orient-Express dont ce sera le dernier voyage. Arrivés à Izmir, ils s’installent dans la maison des Giraud, négociants en tapis et raisins secs.
Au Collège Saint-Joseph, Ben apprend le turc.

Après la guerre lui et sa mère partent pour l’Egypte, reviennent à Naples où le beau-frère Benno Vautier a une fabrique de lamparos. Un jour un homme vient tapoter la joue de Ben, c’est Lucky Luciano… etc. etc. C’est magnifique. Une vie entre Kyra Kyralina (Panaït Istrati) et Alphonse Allais, aventures et humour. Et ce n’est certainement pas pour rien que « Textes théoriques et Tracts » aient comme couverture pratiquement le monochrome blanc sur blanc intitulé « Première communion de jeunes filles chlorotiques par un temps de neige » d’Alphonse Allais. Rappelons le choc de celui-ci aux Arts Incohérents de 1882 lorsqu’il tombe sur une toile de Paul Bilhaud intitulée « Combats de nègres dans une cave, pendant la nuit ».

En 1883 il va donc réaliser sa première monochroïdale : « Première communion etc. » En 1897 il fera paraître son « Album primo-avrilesque », sept aplats monochromes de couleur. Yves Klein connaissait-il « L’album primo-avrilesque » ? L’essai de Marc Partouche sur ce livre révèle que Ben, ayant un jour fait remarquer à Klein la profonde ressemblance entre son album « Yves Peintures » (1954) et celui d’Allais, Klein aurait rétorqué que la différence entre eux était qu’Allais « n’avait pas assumé ». Sur la couverture blanc sur blanc de Ben, un mot : « Quoi ? ».
A l’intérieur, le Manifeste de 1960 (page 11) commence ainsi : « Par curiosité et par affectation (désir de paraître), on cherche à savoir ce qu’est le beau. Dans ma recherche j’ai procédé par questions (une question amène un vide qu’il faut combler), auxquelles j’ai très mal répondu. Je tiens donc à poursuivre, à corriger, à recommencer cet essai et ses conclusions. Je reste inquiet et dans le doute. ». Page 26 : 1965, chapitre « Esthétique » : « Incontestablement, la plus grande révolution artistique occidentale fut Dada. Il est très important que l’on comprenne la portée de cette révolution. Dada a, en fait, tout détruit et tout reconstruit ». Cette rubrique « Esthétique » est un cours d’Histoire de l’Art où Ben traite du « nouveau », de Dada et Duchamp, John Cage, Allen Kaprow et les Happenings, La Monte Young, Yves Klein, Nouveau Réalisme, Pop Art, Groupe Zéro, Isidore Isou, Maurice Lemaître et le lettrisme, non-art, Fluxus, Maciunas, Henry Flint, Ray Johnson, George Brecht, Art Total : Ben.

Tous ces écrits sont vivants, d’un savoir incroyable, d’une digestion culturelle impressionnante. Dans le catalogue de l’expo Ben à la GAC, Claude Fournet finit son texte par : « Ben irrite, agace, meurtrit même parfois. Il fut cependant le premier à appuyer l’art contemporain dans les Musées et il l’est toujours. On ne doit pas oublier qu’il a été et qu’il reste encore à l’origine de nombreuses vocations – même si cela s’est parfois passé au détriment de ce qu’il pouvait attendre des autres. Il y a peut-être une certaine forme de timidité et même d’humilité à découvrir dans l’œuvre de Ben ». Le catalogue d’« A propos de Nice » (Pompidou, 1977) montre à quel point le commissariat de Ben a été une vraie pédagogie, et dans la lignée de « L’Art total est l’art des autres » (in rubrique « Esthétique ») Dans le catalogue Fluxus du Musée d’Art Moderne de New-York (1988), c’est Ben qui commente chaque page de son écriture mythique : « Keep this page to use it if necessary one day in W.C », etc. Et le numéro spécial Duchamp de « L’Arc » en 1990 se termine par des « Notes sur Duchamp » de Ben : « D’après-moi, que son créateur l’ait voulu ou non, que les peintres le veuillent ou pas, l’arrivée du porte-bouteilles sur la scène de l’art en 1917 réalise la coupure : tout est art. Cette coupure transporte la peinture dans la non-peinture ».

Alors si Ben n’était pas seul - c’est Daniel Spoerri qui le met en contact avec Maciunas - et que Robert Filliou, George Brecht, Marcel Alocco, Robert Bozzi, Robert Erébo et un certain nombre d’autres ont fait partie de cette mouvance dans les Alpes-Maritimes, rejointe très tôt par Jean Mas, nous en parlerons plus tard, ainsi que par Frédéric Altmann, acteur dans le Théâtre Total, un autre grand Fluxus est Serge III Oldenbourg…

Fluxus à Nice, Z’éditions

Dans la plaquette Z’Editions intitulée « Fluxus à Nice », Denis Chollet écrit : « Et dans le cas de Fluxus on sait à présent le rôle majeur que les niçois ont joué dans son développement européen. Parmi eux Serge III Oldenbourg a enrichi la geste Fluxus d’apports et de provocations personnelles, a contribué à préciser la notion de « subversion » dans le cadre de l’art contemporain comme dans celui de la vie de tous les jours : il donne son passeport à un soldat tchèque pour que celui-ci passe à l’ouest et gagne plus d’un an d’emprisonnement, il présente le tombeau de l’imbécile inconnu, il recouvre la peinture (au besoin la sienne) de vinyl blanc en faisant disparaître le « moi » artistique » etc…

Egidio Alvaro (in Cat. de l’exposition Serge III à la GAC en 1988) résume son parcours en pratiques de Happenings, Fluxus et Performances, mais dans un style définitif : roulette russe avec balle réelle, vol d’un soldat tchèque à l’Etat, détournement d’un autobus, appel au peuple pour payer l’amende, accrochage public d’une croix (Le Christ revient de suite), lavage et repassage de drapeaux tricolores… »

La Joconde - Agressions d’identité, Galerie Frédéric Altmann 1978 Nice (c) Z’éditions

Mais aussi production plastique : travail sur contenu/contenant, barbelés, miroirs, puzzle, commémorations à l’acide. Une panoplie de la dérision. A propos de lui encore, dans le même ouvrage Marcel Alocco écrit : « On a parfois un peu vite assimilé Fluxus à quelque avatar de Dada et du Surréalisme, auxquels se seraient peut-être ajoutés la Modernité et le Zen. C’était négliger, pour le moins, ce que ces rapprochements avaient d’insolite. Précisons : si pour le bruit d’une main applaudissant, le rationaliste divise par deux, Fluxus préfère se poser, pour la communication au moins, la question de l’être ».

Ceci n’est pas un Marcel Duchamp, circa 1985 Catalogue Ottavi
Violon Urinoir de Serge III accroché à l’exposition Musée Rétif

D’octobre 1966 à décembre 1967 (il ne peut donc participer à l’exposition « Ecole de Nice » de mars 1967 place Godeau chez Alexandre de la Salle) Serge III est dans une prison tchèque. Quand il rentre il publie son « Journal de prison », fait de l’auto-stop avec un piano, édite un bulletin polémique « Le Guép’art ». Le 4 juillet 1986, à la Galerie de la Salle, Saint-Paul (où il participera aux expositions Ecole de Nice 1987 et 1997), il accomplit une « Agression d’identité » (dont un extrait est visible dans le clip à voir en cliquant ici) consistant à marcher avec les pieds pris dans du ciment. En 1984, dans la revue « Kanal » il avait déclaré à Michel Giroud : « J’ai commencé avec la préhistoire (hommage au feu du Sinanthrope) pour sauter dans l’avenir avec Supercolor... j’ai produit quelques pièces historiques : le véritable égouttoir de Marcel Duchamp (non pas le porte-bouteille fameux car en réalité c’était un égouttoir à bouteilles), le porte-verre de Marcel Ducon (un sac en plastique avec des verres en carton) et « Tiratape » (tire-bouchon en nissart) de Marcel Alocco (...)

Serge III - "le véritable égouttoir à bouteilles de Marcel Duchamp"

C’est ça Fluxus, du gag subtil qui transforme notre vision stéréotypée. La culture du gag devrait se généraliser ». Et dans « Ecole de Nice/Serge III » (Z’Editions 1988), Claude Fournet écrit : « Serge III Oldenbourg ose depuis près de trente ans des images très fortes où l’on ne sait qui l’emporte de la dérision ou de la gravité du propos. Images qui sont autant de signes ambivalents autour de concepts - ou de pseudo-concepts, à la manière de Fluxus - dont l’ultime paradoxe serait de les revendiquer au niveau de la peinture. Serge III Oldenbourg semble nous dire qu’il suffit que la peinture se fasse signe, quitte à se poisser les doigts dans des couleurs qui collent étrangement (au concept) ou qui se jouent sur des supports rétifs au sérieux pictural encore admis aujourd’hui ». Son sens de l’amitié, ainsi que de la « chaîne signifiante », lui ont fait rendre hommage au porte-bouteille de Duchamp, et au geste de Pierre Pinoncelli sur l’urinoir du même (lorsqu’il l’a cassé !) par la contribution « violon-urinoir ».

On ne s’ennuie pas, sous les préaux de l’Ecole de Nice !

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