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Palais des Festivals de Cannes : "Don Juan", un ballet vif et théâtral de Johan Inger

Il y a eu des adaptations très variées de Don Juan, mais celle du chorégraphe suédois Johan Inger est on ne peut plus insolite et surprenante. Elle a laissé totalement ébahi le public du Palais des Festivals de Cannes le 5 février, quoique cependant enthousiaste à en juger par les interminables applaudissements à la fin.

En compagnie du dramaturge Gregor Acuna-Pohl, le chorégraphe a respecté à sa manière une grande fidélité narrative à l’oeuvre originale de Tirso de Molina (datant de 1625) et il signe une création, avec les danseurs de la Fondazione nazionale della Danza – Aterballetto – compagnie italienne d’Emilie-Romagne, où se mêlent danse contemporaine et folklore.
Huit danseurs et huit danseuses incarnent cette version moderne du mythe du célèbre séducteur, déjà décliné sur scène de manières fort différentes (de Molière à Mozart).

Pas de décor. Seules quelques dalles, noires d’un côté pour évoquer le mal, blanches de l’autre pour le bien.

Elles seront manipulées par les danseurs eux-mêmes selon les actions de Don Juan. Ce qui importe dans cette lecture du mythe : l’enchaînement constant de femmes séduites et abandonnées et le jugement moral de la statue du Commandeur, ici représenté par la mère.
Dès sa naissance, il est évident que s’installe, entre Don Juan et sa mère, un lien oedipien indénouable. La mère a été poursuivie par un homme vêtu de noir et masqué. Cette véritable créature du mal semble la violer : s’ensuit la naissance de Don Juan et son abandon dans l’enfance. Adulte, il refusera les injonctions de la société : famille, maison, enfants...
Ainsi, de conquête en conquête, Don Juan cherche une femme qui pourrait égaler (ou remplacer ?) sa mère. C’est hors réalité ! D’ailleurs, à l’époque de #MeToo, les femmes ne sont pas dupes et leur propre désir semble très présent et à prendre en compte. Que ce soit l’innocente jeune fille ou la femme rompue par une vie terne, elles semblent penser à leur propre désir « Ma foi ! Pourquoi ne pas s’offrir ce beau mec » ! En fait, Don Juan ne serait-il pas victime de ses conquêtes ?
Tandis qu’il fait l’amour avec une jeune fille, sa mère se substitue à elle, il la reconnaît et cependant continue l’acte sexuel, comme si enfin il possédait ce qu’il avait toujours cherché...
C’est lui-même qui pourra reconnaître sa culpabilité et ressentir toute punition, s’il y a lieu.
Habité d’une grande légèreté, Don Juan est toujours trépidant, avec des gestes convulsifs. Son valet Leporello, sans cesse présent, le suit comme son ombre dans toutes ses aventures, amoureuses ou pas.

Certains passages nous ont paru d’une beauté toute particulière.

Ainsi, lorsqu’ils sont tous à danser nus sous la neige qui tombe, alors que seul Don Juan est vêtu : moment magique, très onirique. Ou encore la grande fête carnavalesque où, tous costumés et masqués, ils dansent joyeusement et merveilleusement (les costumes sont signé Bregje Van Balen) .
Avec « Carmen », « Peer Gynt, » et « Petrouchka », Johan Inger a déjà adapté en danse des ballets narratifs. Pour « Don Juan », il propose une fort audacieuse lecture très psychanalytique et laisse une interrogation à chaque spectateur.
Très inventif, ce talentueux chorégraphe nous offre donc un ballet vif et théâtral, pimenté par Freud. La musique de Marc Alvarez souligne la diversité des ambiances en accompagnant les personnages dans leurs s situations variées. Un magnifique spectacle, intense et riche où ce sont les corps qui parlent !
Caroline Boudet-Lefort

Visuel de Une (Détail ©Viola Berland)

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