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D. QUIXOTE, d’Andrès Marin à Anthéa

Andrès Marin a offert avec « D. Quixote » un spectacle total de flamenco qui associe non seulement la vidéo, mais la traduction projetée sur écran des paroles de chants, véritables poèmes teintés de philosophie. La voix déchirée et plaintive de Rosario « La Tremendita » devient un vibrant instrument qui se fond aux pas accélérés des danseurs et fait frissonner le public.

Au début, hormis « No Soy » (je ne suis pas) en lettres illuminées sur un grand écran, tout reste sombre et le public distingue à peine une silhouette glissant sur un monocycle.

Inutile de s’accrocher au roman de Cervantès dont il est impossible de suivre la trame et de chercher la truculence picaresque de ce premier roman débridé de la littérature européenne. Si le vieil hidalgo est en scène, il ne sert qu’à faire avancer l’action à grand renfort de rebondissements, de coups d’épée ou de gants de boxe, parce que « la vie nous fait prendre des coups ». Et c’est par le truchement de la vidéo que Dulcinée hante les rêves de Quichotte. Barbe en pointe, casque rutilant ou casaque de footballeur n°10 (le plus performant, paraît-il), bras tendus comme des moulins à vent, corps moulé de noir ou torse nu, Andrès Marin veut représenter le « chevalier à la triste figure » en héros du monde actuel. Cette saisissante figure d’aventurier mène, dans son univers d’utopies, tous ses danseurs et musiciens qui pulsent le spectacle de leur énergie vitale et sensuelle et d’une joie communicative de la danse pour la danse.
Tous confortent leurs gestes et leurs cadences du rythme de sonores claquements de mains. Pas une minute de répit dans une enfilade de tableaux incroyablement sophistiqués qui s’enchaînent pendant près de deux heures dans un monde rempli de fantasmes. Toutes les références à l’Espagne sont là, du « Guernica » de Picasso projeté en vidéo sur un immense écran au chef d’oeuvre de Cervantès dont le spectacle s’éloigne carrément.

Andrès Marin plonge dans les racines du flamenco traditionnel en inventant un nouveau langage afin d’en dégager une esthétique contemporaine dans une atmosphère envoûtante.

Il investit sa danse en provoquant un des mythes fondateurs de la culture espagnole. Avec la complicité de Laurent Berger pour la dramaturgie, il en fait une comédie où le burlesque s’appuie sur une technique imparable et prouve avec cette oeuvre absolue, urgente, foudroyante, que le flamenco n’a pas épuisé ses secrets.
Andrès Marin cultive une force d’évocation. Il croit en ce qu’il danse et nous engage à le suivre. Comme Don Quichotte affrontant les moulins à vent, la publicité serait-elle ce contre quoi il faut se battre aujourd’hui, elle qui n’est qu’illusions et faux-semblants ? D’absurdes panneaux publicitaires des années 1960 défilent : à « Monsieur, vous qui aimez la bonne cuisine, offrez lui une cocotte », s’enchaînent les tissus Boussac, Coca-cola, une « cigarette vraiment distinguée »... Inutile de dire qu’il y a beaucoup d’ironie et d’humour pour refuser toute conformité. Comment retenir ses éclats de rire devant la projection en accéléré de débonnaires chats, chiens, et divers animaux plus ou moins sauvages ?

Les danseurs se lancent parfois en solo, d’autres fois, rassemblés par un élan exalté, ils s’emparent de leur liberté avec un bonheur flagrant.

La verticalité domine même dans leurs regards fiers et orgueilleux. On se réjouit de cette fougue populaire, métissée comme la terre andalouse où s’origine le flamenco - qui aujourd’hui s’acoquine parfois avec le rock.
Le flamenco a connu des hauts et des bas selon les difficultés économiques de l’Espagne. Sans aide de l’Etat, les chorégraphes dépendent beaucoup des tournées à l’étranger. Dans l’effervescence d’un milieu qui brasse des genres différents, Andrès Marin est devenu un maître qui n’en fait qu’à sa tête pour hisser le flamenco à un sommet de virtuosité. Après avoir abattu les barrières, il a créé un monde poétique aux contours étranges, en croyant en ce qu’il danse et nous engageant à le suivre. Il nous émerveille !
Caroline Boudet-Lefort

Photo de Une DR ANTHEA

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