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Fin de cet événement Mars 2015 - Date du 18 février 2015 au 31 mars 2015

Vincent superhéros

Auteur d’excellents courts-métrages primés, Thomas Salvador a franchi le cap du long en réalisant « Vincent n’a pas d’écailles ». Le tournage n’a duré que sept semaines, mais le projet a mûri durant plus de huit ans avant de se jeter à l’eau. Se jeter à l’eau dans tous les sens du terme puisque son personnage, Vincent, a une force décuplée dès qu’il est en contact avec l’eau, son élément favori. De plus, Vincent c’est Thomas Salvador lui-même : il est à tous les postes puisque scénariste, réalisateur et même interprète de ce film original au style très insolite.

Plutôt silencieux, Vincent est un jeune homme opaque dont on pressent rapidement qu’il traîne un secret, un mystère.

S’il aime nager dans un lac et une rivière où il fait des prouesses, c’est parce que mouillé il est différent  : le contact de l’eau lui donne une force titanesque et des moyens surnaturels. La provenance de la force fantastique de ce super héros reste sans explication. Lui-même ne considère pas ses aptitudes extraordinaires comme un pouvoir, il conserve une dimension humaine et donc une proximité avec le spectateur. D’ailleurs, la vie au quotidien le harcèle comme chacun. Suite à des reproches de ne pas avoir de boulot, il se retrouve manutentionnaire dans une entreprise de bâtiment. Voir son pote humilié et tabassé par leur patron, l’incite à massacrer une voiture. La bagnole étant aujourd’hui l’objet sacré, s’ensuit une poursuite jusqu’à un point d’eau pour retrouver son incroyable vélocité.

Quoique la mise en scène soit ancrée dans la réalité, l’histoire saute dans un fantastique avec les codes d’un conte.

La mise en parallèle de la réalité et de l’imaginaire procure une variation fantaisiste d’un genre profondément inscrit dans l’inconscient collectif : avoir un pouvoir surnaturel qui donne la liberté et la capacité de fuir quelle que soit la situation. La réalité du passage à l’acte de Vincent est représentée, ce n’est pas un fantasme, mais le merveilleux est au service de la réalité pour ce personnage marquant, inédit, hors norme, chez qui se perçoit une grande douceur.

Comme le Petit Prince, il croise un renard planqué dans les herbes d’une berge.

Son désir de nager va avec son goût de la solitude procurant une sensation de mélancolie douce. Quand il rencontre une fille dont il tombe amoureux, il lui confie son secret dans une piscine devenue espace mental de désir sublimé, lieu d’amour et d’acte sexuel accompli.

Vincent mène sa vie d’homme en composant entre le quotidien et sa différence, sans complexe, mais sans suprématie non plus. Serait-il un être immémorial, un être du temps lointain où l’homme serait né du poisson ? S’il recherche l’eau, c’est pour la jouissance qu’il ressent à s’y mouvoir et le spectateur peut s’en amuser. La poésie du film est truffée de clins d’oeil comiques de l’ordre de l’univers de Chaplin ou celui de Buster Keaton, tel le burlesque de la course-poursuite avec la police jusqu’à une ondée bienvenue.

Pourquoi ce titre ?

Quoique sans écailles, Vincent n’est pas un monstre malgré ses pouvoirs extraordinaires, et il n’a nulle protection. Sa marginalité relève de son propre chef, et c’est à lui de faire le choix quant à l’utilisation de ses pouvoirs vécus comme une forme enfantine de liberté et une fascination pour l’indépendance que lui donne l’eau, par ailleurs source de purification. Il ne peut même pas parler de ce don qu’il utilise à bon escient et uniquement comme moyen de défense.

Dans ce film couvert de sentiments doux et de fantastique modeste et insolite, le réalisateur évoque, par petites touches, des sujets plus graves qu’il n’y paraît : la précarité sociale, la marginalité, les rapports de pouvoir dans le travail, l’ultramoderne incommunicabilité... Il montre comment le fantastique peut s’immiscer dans la réalité la plus banale.

Thomas Salvador considère chaque film comme une occasion d’apprentissage et d’expérimentation.

Avec Vincent n’ a pas d’écailles, il parvient à renouveler notre regard sur le monde. Le fait d’être inconnu sur les écrans renforce le caractère énigmatique de son personnage avec l’opacité diffuse de son visage où parfois se lit une infinie tristesse. Choisie pour sa spontanéité et sa vivacité, Vimala Pons est encore rare au cinéma, ainsi que tous les autres acteurs.
Ce qui ajoute à la nouveauté et à l’insolite de ce film ouvert à tous les vents. Le récit passe par des sensations fraîches de nature – tout est tourné en décors naturels - avec un fantastique sans recours au numérique ni aux effets spéciaux, mais à l’audace de la bidouille et d’astuces bricolées.
Thomas Salvador aime le sport et les acrobaties, il en donne des preuves tout au long du film. Malgré quelques notes dynamiques jouées par une flûte, la bande-son privilégie les bruits de la nature, surtout les clapotis de l’eau.

Il a du ressort, Vincent ! Prêt à tous les possibles, il se lance à la nage jusqu’au Nouveau Monde...

Partir. Rompre. Larguer les amarres. Respirer. Tout lâcher. Se casser.

Fluide comme l’eau, Thomas Salvador révèle un talent prometteur, avec une pointe de malice.

Photo de Une et de l’article : © Le Pacte
Sortie en salles le 18 février 2015

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