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TONI ERDMANN De Maren Ade

En compétition au dernier Festival de Cannes, ce film allemand de près de 3 heures a créé la surprise. La bonne surprise ! Si bien qu’il était étonnant que cette comédie au ton décalé ne soit pas au palmarès. Rires et applaudissements spontanés ont fusé au cours de la séance de presse, tant pour le film que pour les acteurs, Peter Simonischek et Sandra Hüller - inconnus chez nous, mais rodés au théâtre - qui n’auraient pas démérité des prix d’interprétation.

« Toni Erdmann » raconte les retrouvailles difficiles entre un père à l’humour facétieux (perruque foutraque, dents potiches et coussin péteur) et sa fille cadre sup accomplie, partie travailler à Bucarest. Tailleur et chignon impeccables, elle ne s’appesantit pas sur les dégâts humains que font ses plans de restructuration de boîtes capitalistes allemandes implantées en Roumanie. Le film pose des questions sans donner des réponses toutes faites. En laissant voguer notre pensée, il tisse un réseau extensible d’idées et d’interrogations qui donnent une image claire et cruelle de l’Europe d’aujourd’hui, et se moque ironiquement d’une Allemagne gavée de certitudes idéologiques qui voit l’Europe de l’Est et du Sud comme une possibilité de profit plutôt que comme associées à égalité. Le capitalisme est ridiculisé avec une verve douce mais féroce dans cette comédie des faux-semblants où le père tente de régénérer la relation avec sa fille en lui inoculant humour et appétit de vivre.

Maren Ade, cinéaste allemande guère connue et jamais sélectionnée à Cannes, a déjà réalisé deux films dont l’un n’est jamais sorti en France et l’autre « Everyone else » n’a pas été projeté dans la région (sinon brièvement à la Cinémathèque de Nice pendant le Festival). Elle a le sens du cadre, mais aussi du montage en donnant à « Toni Erdmann » un rythme jubilatoire. De surprise en surprise, le film retient l’attention du public sans aucun moment de lassitude, le summum étant bien sûr une « naked party » dont il faut laisser au spectateur le plaisir de la découverte de son irrésistible mécanique burlesque.

Dans sa vie triste à mourir, cette work addict ne sait plus rire. Tandis que son père, boute-en-train et mythomane, s’incruste chez elle sous une autre identité, celle de « Toni Erdmann » qui donne son titre au film. « Es-tu heureuse ? » lui demande-t-il. Tandis qu’elle répond défensivement que le bonheur est une idée relative, la question va bouleverser sa vie et ébrécher sa carapace. Elle se déverrouille progressivement avec une subtilité étonnante et émouvante. Pince-sans-rire, l’actrice est d’une redoutable précision pour exprimer sans mots les sentiments les plus ténus.

Dans ce film intelligent et drôle, tout se dit sans en avoir l’air. D’une audace malicieuse et d’une grande originalité, le récit, ramassé en quelques jours, déroule une ample et complexe matière humaine sur l’aliénation salariale et le devenir de l’Union Européenne.

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