Pas question d’encombrer la Croisette avec des foules de spectateurs serrés dans de longues files d’attentes pour tenter de pénétrer en jouant des coudes dans une salle de projection surpeuplée, alors que ne devrait être occupé qu’un siège sur deux. Trop de risques !
Il a fallu innover, trouver une autre formule sans compétition et donc sans palmarès.
Tenant compte de l’importance de soutenir avant tout le cinéma impacté par la crise sanitaire qui a fermé ses salles, le choix est donné à une sélection de films qui sortiraient sur les écrans avec le label « Cannes 2020 ».
Aussi, après avoir visionné 2067 films - un record , la barre des 2000 étant franchie (l’an dernier ils étaient 1945) - , les « sélectionneurs » en ont retenu 56 non répartis selon les catégories habituelles, Compétition, Un Certain Regard, Séances Spéciales et autres, mais divisés différemment entre « Premiers films », « Nouveaux venus », « Les Fidèles » appelés couramment « les habitués », ce que Thierry Frémaux ressent comme un léger reproche dont il se justifie en disant que « les bons réalisateurs font de bons films ».
Dans ce festival « sans glamour ni paillettes, et sans palmarès », les films français représentent plus du tiers de la sélection, « une récompense à la qualité » paraît-il.
Certains films étaient très attendus : « Arthur Rambo » de Laurent Cantet inspiré de l’affaire Mehdi Meklat et ses tweets polémiques, « Trois étages » de Nanni Moretti, « Memoria » d’Apichatpong Weerasethakul, « Annette » la comédie musicale de Leos Carax, « On the Rocks » de Sofia Coppola... Iront-ils à Venise dont la Mostra est toujours maintenue en septembre ? Certains réalisateurs ont décidé par fidélité d’attendre Cannes 2021, tel Paul Verhoeven, ce qui lui permettra de peaufiner « Benedetta » avec Virginie Efira en nonne lesbienne dans un couvent Toscan cerné par la peste au XVIIe siècle.
Ainsi en préparant 2020, se prépare déjà 2021, dont Spike Lee restera le Président du jury !
Inutile d’énumérer les titres des films que Thierry Frémaux a égrenés dans sa présentation, précisant qu’outre le prestigieux label « Cannes 2020 », ils seront accompagnés lors de leur sortie en salle. Une multitude de noms, connus ou inconnus, représentent l’ensemble de la planète, passant du Japon au Guatemala, du Liban à la Suède...
Parmi « les fidèles », citons pour le Royaume-Uni deux films de Steve McQueen « Lovers Rock » et « Mangrove » sur « des hommes de la cinquantaine qui décident de se saouler la gueule pour parler du temps qui passe » (sic Thierry Frémaux). Pour le Japon, « l’habituée » Naomi Kawase présente « True Mothers », un film très émouvant sur l’adoption. Autre « fidèle » japonais, Kôji Fukada (« Harmonium ») a adapté un manga pour « The Real Thing » (durée 5 heures ) : un jeune homme qui pense ne jamais tomber amoureux fait une rencontre et « Suis-moi, je te fuis. Suis-moi, je te suis ».
Tournée par l’Américain Wes Anderson, une tragi-comédie historique, influencée par la BD dans sa mise en scène, « The French Dispatch » réunit une vingtaine de vedettes internationales, dont Bill Murray, Tilda Swinton et Frances Mc Dormand. Venu aussi des Etats-Unis, Jonathan Nossiter raconte dans « Last Words » une étonnante histoire de fin du monde d’après un roman de Santiago Amigorena.
Révélé en1998 par « Festen », le Danois Thomas Vinterberg présente « Another Round » avec Mads Mikkelsen et l’alcool qui semble y jouer un rôle important. « In the Dusk », du Lituanien Sharunas Bartas, est un drame historique sur la lutte désespérée contre le régime soviétique pendant la période de guérilla commencée en 1944. Il y a aussi un film espagnol de Fernando Trueba, et des Coréens du Sud, dont l’éternel habitué, Im Sang-soo.
Parmi les « fidèles » français, François Ozon présente « L’été 85 », une magnifique histoire personnelle sur deux ados (Félix Lefebvre et Benjamin Voisin) entourés de Valeria Bruni-Tedeschi et Melvil Poupaud.
Dans « ADN », Maïwen revient de façon intime sur sa double nationalité française et algérienne, avec Louis Garrel, Fanny Ardant et Marine Vacth. Réunissant Gérard Depardieu, Jean-Pierre Darroussin et Catherine Frot, le Belge Lucas Belvaux a adapté le roman de Laurent Mauvignier « Des hommes », qui sont ceux revenus « changés » de la guerre d’Algérie.
Dans la catégorie « Nouveaux venus », Emmanuel Mouret raconte dans « Les choses qu’on dit et les choses qu’on fait » des confidences de vacances entre Camélia Jordana, Niels Schneider et Vincent Macaigne. Ce dernier est également à l’affiche de « Médecin de nuit » (de Elie Wajeman) où il traverse un Paris inconnu et y croise Sara Giraudeau et Pio Marmaï. De Ludovic et Zoran Boukherma, « Teddy » un film décalé et fantastique sur une France rurale avec loup-garou. « Passion simple », est l’adaptation du livre autobiographique d’Annie Ernaux qu’interpréte Laetitia Dosch. Le Britanique Ben Sharrock s’attache dans « Limbo » à des sans-papiers bloqués dans un petit port où ils s’ennuient.
Son compatriote, Francis Lee, offre « Ammonite », la romance historique d’une intense relation intime avec un formidable duo d’actrices, Kate Winslet et Saoirse Ronan.
Le Canadien Pascal Plante propose « Nadia Butterfly » où une championne s’interroge sur son avenir. De l’allemand Oskar Roehler, « Enfant terrible », un biopic sur Rainer Werner Fassbinder, jeune rebelle avant de devenir un grand cinéaste. Il y a encore un film bulgare, un israélien, un suédois, un égyptien....
Dans la sélection « premiers films », le grand comédien américain Viggo Mortensen devient réalisateur avec « Falling », un drame familial entre un père et son fils.
« Pleasure » de la suédoise Ninja Thyberg sur une jeune fille qui veut devenir star à Hollywood. De la Géorgienne Déa Kulumbegashvili, « Au commencement », qualifié de film très puissant par Thierry Frémaux. D’une Arménienne vivant à Paris, Nora Martirosyan, « Si le vent tombe » avec Grégoire Colin dans une terre isolée du Caucase. « Fausse note » du Libanais Jimmy Keyrouz sur un pianiste au Moyen-Orient. On peut ajouter des films d’Israël, de Chine, des USA...
Mais la part belle est faite aux jeunes talents français sélectionnés en grand nombre.
De Fanny Liatard et Jérémy Trouilh, « Gagarine » a pour toile de fond l’immense cité Youri-Gagarine d’Ivry devenue un vaisseau spatial dans l’imaginaire d’un jeune habitant. « Slalom » de Charlène Favier avec Jérémie Rénier en entraîneur de ski. Le poignant « Ibrahim » du comédien et désormais réalisateur Samir Guesmi. « Vaurien » de Peter Dourountzis, avec Pierre Deladonchamps en vagabond qui erre entre des centres de sans-abri et d’invraisemblables squats. « 16 Printemps », réalisé et interprété par la jeune Suzanne Lindon (née au 21e siècle !), raconte l’ennui d’une jeune Suzanne et son attirance pour un homme plus âgé. Passant derrière la caméra, le comédien Nicolas Maury propose « Garçon Chiffon » où un jeune homme retourne chez sa mère envahissante dans son Limousin natal.
A tous ces films s’ajoute une sélection de cinq « comédies », toutes françaises.
C’est rare que le Festival propose aux spectateurs de s’esclaffer ! En les citant, les sélectionneurs riaient encore au souvenir de « Antoinette dans les Cévennes » de Caroline Vignal avec Laure Calamy, « Les Deux Alfred » de Bruno Podalydès, avec Sandrine Kiberlain, et Denis Podalydès, « Un triomphe » d’Emmanuel Courcol avec Kad Merad et Marina Hands, « L’origine du monde » un premier film de Laurent Lafitte et « Le discours » de Laurent Tirard.
Ajoutons encore un film à sketches de Hong Kong, 3 documentaires et 4 films d’animation dont la dernière création des Studios Pixar-Walt Disney.
Sans film faisant le buzz sur la Croisette cette année, espérons que la sélection 2020 attirera le public dans les salles dès leur réouverture le 22 juin !
En attendant la reprise des manifestations culturelles dans la Palais des Festivals, le Maire de Cannes, David Lisnard, y héberge des sans-abri
De toute son existence, le Festival a déjà été annulé quatre fois. En 1939, à cause de la déclaration de la Seconde Guerre Mondiale, en 1948 et en 1950 pour des problèmes budgétaires, et, enfin, en 1968 où il a été interrompu par Godard, Truffaut, Malle et les autres, en soutien aux étudiants et aux ouvriers en grève. Mais, depuis sa découverte en 1895, c’est la première fois que le cinéma disparaît des salles durant trois mois !