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Ouverture de CANNES CLASSICS : « La Maman et la putain » de Jean Eustache

« La Maman et la putain » de Jean Eustache a fait l’ouverture de la sélection « Cannes-Classics », particulièrement chère à Thierry Frémaux. Ce film mythique, datant de 1973, ne pouvait être vu que dans des conditions lamentables d’image et de son et il était invisible depuis le suicide du réalisateur en 1981. Une restauration faite par « L’immagine Ritrovata », laboratoire spécialisé de Bologne, va permettre de revoir correctement ce film de 3 heures 40 (la durée est essentielle).

La projection à Cannes devant une salle archi comble était un véritable événement.

Françoise Lebrun et Jean-Pierre Léaud étaient présents et ce fut un grand moment d’émotion ! Une nouvelle sortie du film en salles est prévue le 8 juin.
Résumer « La Maman et la putain » ne donnerait aucune idée de ce film en longs plans fixes à regarder vivre trois personnages : un jeune oisif mal dans sa peau (Jean-Pierre Léaud) passe le temps à lire et discourir, en partageant sa vie avec une femme (Bernadette Lafont). Et lorsqu’il rencontre une jeune paumée (Françoise Lebrun), il la ramène chez eux pour une vie à trois. C’est alors une mosaïque de faits d’apparence anodine dont il est impossible de rendre compte pour une histoire d’amour qui se termine mal.

Une oeuvre résolument atypique qui fit scandale au Festival de Cannes de 1973 : une grande partie de la société d’alors était encore coincée dans des valeurs familiales traditionnelles et toute femme devait observer une vie conjugale sur les rails stricts.

Aussi le long monologue dit par Françoise Lebrun scandalisa-t-il de multiples spectateurs.
Plusieurs critiques furent très sévères en rejetant toutes les innovations du fond et de la forme. Mais d’une grande sensibilité et proche des idées soixante-huitardes, le film obtint un grand succès d’estime auprès d’un public sensible à l’analyse des sentiments et à la liberté des moeurs.
Auteur complet, Jean Eustache a réalisé ce film en le contrôlant totalement. Il est à tous les postes afin que l’oeuvre corresponde à son désir (image, son et même il y figure). Véritable artiste, contre tous les compromis, il réalise un film désespéré, mais parsemé de pointes d’humour et tellement ancré dans son époque que cette oeuvre reste universelle et éternelle. C’est donc un film très moderne et il est facile d’imaginer qu’il l’était encore plus lors de sa réalisation en 1973.

La distanciation dans la direction d’acteurs qui rompait avec les habitudes de mise en scène et qui s’ajoutait au naturel des comédiens en fit un chef d’oeuvre maudit.

Le revoir aujourd’hui est une expérience cinématographique unique !

Caroline Boudet-Lefort

Photo de Une (DÉTAIL) DR FESTIVAL DE CANNES

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