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Fin de cet événement Novembre 2016 - Date du 3 novembre 2016 au 30 novembre 2016

Le client, d’Asghar Farhadi

Entre deux films réalisés en Europe – « Le Passé » tourné en France et son prochain long-métrage situé en Espagne – le cinéaste iranien Asghar Farhadi est retourné dans son pays pour réaliser « Le Client » qui a obtenu, au dernier Festival de Cannes, le Prix du meilleur scénario et le Prix d’interprétation masculine pour son comédien Shahad Hosseini qui jouait déjà dans plusieurs de ses films précédents. On retrouve d’ailleurs nombre d’acteurs qui étaient au générique de ses longs-métrages, dont « A propos d’Elly » et « Une séparation ».

Obligés de quitter d’urgence leur domicile pour cause de fissures menaçantes causées par des travaux à proximité, un jeune couple de la classe moyenne s’installe en vitesse dans un appartement procuré par un camarade de théâtre. Les deux sont comédiens amateurs dans une troupe qui répète « Mort d’un commis voyageur » d’Arthur Miller. Leurs comportements seront d’ailleurs à rapprocher de ceux des personnages qu’ils incarnent sur scène, manipulant même leurs textes pour parvenir à se dire ce qu’ils n’arrivent pas à exprimer dans leur quotidien.

L’appartement où ils s’installent conserve une pièce fermée où se trouvent des affaires de l’ancienne locataire qualifiée de « femme qui avait beaucoup de compagnons », disons une prostituée.

Et c’est un de ses « clients » qui s’introduit un soir, alors que la jeune femme du couple - seule et prête à prendre une douche - a ouvert la porte sans demander qui sonnait, certaine qu’il s’agissait de son mari. Quand, plus tard, celui-ci rentre dans l’appartement, il trouve des traces de sang sur le plancher et sa femme paniquée. Comme lui, c’est tout ce que le spectateur voit, car le scénario aménage une ellipse de la scène. A chacun de s’interroger....

Savoir ce qui s’est passé devient une question obsessionnelle pour le mari décidé à se venger et à obtenir réparation de la part de l’agresseur. Dès lors, le tendre train-train de la relation du couple se fissure. Si au début les murs de l’immeuble menacent de s’écrouler, à la fin c’est le couple qui se retrouve en ruines. De nombreux parallèles chargés de symboles peuvent ainsi être faits.

Le film de vengeance se révélera une tragédie familiale.

Toutes les implications affectives s’associent dans ce tableau complexe et stupéfiant de la société iranienne : une société corsetée, ce qui est signifié tout au long du film à travers d’anodins détails ici ou là, donnant chair à la vie quotidienne des Iraniens. Ainsi, on peut voir que la jeune femme est non seulement victime d’une malheureuse confusion, mais aussi du regard porté par les hommes sur les événements qu’elle a subis. Alors qu’elle ne veut pas rendre l’affaire publique, son mari, dans sa quête de justice et de vengeance, devient lui-même juge et bourreau. Pour lui, tout ne peut redevenir comme avant l’agression, que par une confrontation avec le coupable.
La mécanique implacable du scénario avec suspense tient le spectateur en haleine du début à la fin. Et pourtant, malgré de nombreux rebondissements, le film est sans surprise, car Asghar Farhadi y utilise sa recette habituelle avec les mêmes ingrédients : une ellipse importante, un fort sentiment de culpabilité, un engrenage face à un choix moral ... En quelque sorte, « Le Client » ressemble trop à ses précédents films et d’aucuns ont pu lui reprocher de tisser dans le cerveau du spectateur, sinon un filet pour le prendre au piège, du moins un réseau toujours extensible d’idées et d’interrogations.
Pourtant, c’est impeccablement qu’Asghar Farhadi tire les ficelles du scénario qu’il a inventé : il organise la circulation où surgissent les personnages et les situations entrelaçant celles de la vie du couple à celles de « Mort d’un commis voyageur » où une femme ne peut stopper la chute de son mari. L’échafaudage scénaristique ne cesse de passer de l’un à l’autre, d’une perception à l’autre, de complexifier les personnages, de multiplier les échos, de doubler les représentations d’un fond complexe et pervers.

Tous les acteurs sont exceptionnels, tous porteurs d’une ambivalence : Sahab Hosseini au rôle extrêmement ambigu, la merveilleuse Taraneh Alidoosti, touchante au possible et Farid Sajjadihosseini, le « client », coupable mais qui parvient cependant à nous émouvoir.

Déstabilisante, la fin reste ouverte, laissant le spectateur interloqué !

Photo de Une : (détail) Shahab Hosseini |Copyright Habib Majidi

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