| Retour

L’événement "Elephant Man" à Anthéa

Devant un rideau rouge, un forain exhorte à visiter dans sa baraque l’homme- éléphant exhibé à la foule, de foire en foire, contre quelque menue monnaie. Quoiqu’il le batte et le malmène, ce saltimbanque a fait de ce « monstre » son gagne-pain. Il le vend cependant à un chirurgien, Frederick Treves, qui veut en faire un « sujet d’études » et l’installe dans un sous-sol de l’hôpital, en le traitant d’égal à égal.

Les difformités de John Merrick sont apparues dans sa petite enfance et le médecin désire étudier ce phénomène, mais sa monstruosité effraie et c’est avec difficulté qu’il parvient à trouver la moindre aide dans son travail. Jusqu’à ce qu’une star du théâtre londonien, Mrs Kendall, s’engage à le visiter dans une relation authentique qui va dépasser la promesse initiale. Une forte complicité s’engage entre la comédienne et le « monstre ».

Merrick lui dit que tous deux sont identiques puisqu’ils s’exposent au regard de l’autre, mais l’actrice précise « ce n’est pas moi que j’expose, c’est une illusion ». Ce à quoi réplique judicieusement l’homme- éléphant : «  On vous expose pour gagner de l’argent, comme moi !  » Il prouve également son intelligence lorsqu’il déclame avec Mrs Kendall l’extrait de « Roméo et Juliette » où il est question de l’alouette et du rossignol.

Bernard Pomerance a laissé libre cours à son imagination concernant la proximité entre l’homme éléphant et Mrs Kendall.

Dans la réalité, elle lui avait juste donné une photo d’elle qui le fit amplement rêver, et elle l’invita au théâtre, dans la loge royale afin qu’il soit abrité de tout regard. Autre liberté de Pomerance : l’étonnante présence de Jack l’éventreur, réel contemporain londonien de l’Elephant Man. Par contre, comme Merrick le fit à la fin de sa vie, il fabrique, sur scène, une maquette d’église à l’intention de Mrs Kendall. Cette maquette est encore conservée à l’hôpital londonien.

Refusant sa maladie apparue dès sa petite enfance, Merrick imaginait que sa difformité venait de sa mère, belle et aimante, renversée par un éléphant dans un cirque. Mais, en fait, c’est une maladie rare dont il s’agit et qui a tant déformé son visage qu’on n’y lit aucune de ses émotions.
Dans la société d’aujourd’hui, les normes sont imposées sans même qu’il y ait nécessité de prescription. L’apparence et l’image donnée à l’autre dominent la valeur profonde de chacun, qu’elle soit morale ou intellectuelle. C’est un des sujets qui tiennent à coeur à David Bobée, sans cesse préoccupé de questions engagées et militantes.

L’interprétation ajoute à l’émotion que provoque cet énergique plaidoyer en faveur de la dignité des « monstres » qui cherchent à conquérir leur part d’humanité.

Personne ne se demande si l’Homme- éléphant pense, aime, ou même s’il sait lire. Il va mourir. « C’était un homme comme nous. Déformé pour nous renvoyer à notre propre image... Il était très intelligent, avait une vive sensibilité. Romantique même ... » Il aura eu une vie de cauchemars dont la mort le délivre. « Sa tête trop lourde a écrasé sa trachée ».

Tout à fait fascinante, une jeune et excellente danseuse, Xiao Yi Liu, représente un fantôme. On voit son corps s’extraire d’un cadavre en cours d’étude sur un lit de l’hôpital. Elle revient à plusieurs reprises au cours du spectacle, durant des intermèdes musicaux accompagnés d’étranges et belles projections vidéo qui suggèrent le réel visage déformé de l’homme- éléphant. Joey Starr l’interprète sans masque. Maquillage et coiffure suffisant à donner au spectateur l’illusion de ses difformités au vu de la répulsion exprimée par ceux qui le regardent. Sophie Caritté, parfaite, remplace au pied levé Béatrice Dalle, dont on regrette pourtant la présence charismatique et trouble. Tous les comédiens sont remarquables, chacun dans son rôle.

L’Homme-Eléphant a vraiment existé. La pièce de Bernard Pomerance, antérieure à l’inoubliable film de David Lynch, est basée sur les notes de Frederick Treves d’après les faits réels. La mise en scène de David Bobée lui donne un aspect très onirique, notamment grâce aux extraits de danse contemporaine représentant peut-être les fantasmes de John Merrick.

Un superbe et passionnant spectacle qui donne à réfléchir !

Caroline Boudet-Lefort

Visuel de Une : Après Bowie et Bradley Cooper, JoeyStarr reprend le rôle-titre de la pièce adaptée au cinéma par David Lynch. (DR Arnaud Bertereau)
Une pièce De Bernard Pomerance – Adaptation et mise en scène de David Bobée

Artiste(s)