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Mr. Turner

Pour sa cinquième participation au festival de Cannes, Mike Leigh – déjà palmé d’or en 1996 avec « Secrets et mensonges » - a présenté cette année « Mr. Turner ». Le film assez long (2 h 29 !) retrace les 25 dernières années de la vie empreinte de solitude du célèbre peintre romantique anglais J.M.W. Turner (1775-1851).

Mr. TURNER - De Mike Leigh

Artiste reconnu, membre apprécié quoique dissipé de la Royal Academy of Arts, Turner a vécu entouré de son père, qui fut aussi son assistant, et de sa dévouée gouvernante. Il fréquenta l’aristocratie, visita les bordels et a nourri son inspiration de ses nombreux voyages. La renommée dont il a joui ne lui a pourtant pas épargné des railleries du public ou des sarcasmes de l’establishment. Profondément affecté à la mort de son père, Turner s’est alors isolé jusqu’à sa rencontre avec la propriétaire d’une pension de famille qui devint sa compagne secrète.

Le Londres de l’époque est parfaitement restitué : décors, costumes, couleurs, dialecte, et presque les odeurs qu’on croit sentir ! Présenté à hauteur d’homme, l’artiste, incarné par Thimoty Spall, acteur cockney à tête de chien, se montre un ours grognon. Malgré son art de faire claquer l’idiome et son extrême attention aux intonations, le « peintre de la lumière » s’exprime surtout par des borborygmes et des grognements. Sa rugosité contraste avec la délicatesse, la fragilité de sa peinture.

L’intention de Mike Leigh est de montrer le rapport entre la vie ordinaire, sinon médiocre, du peintre et la splendeur de son oeuvre, sans chercher à expliquer comment ce fils de barbier, que rien ne destinait aux arts, est devenu un géant créatif, toujours en lutte contre les poids du quotidien et de la société qui s’opposaient à son inspiration artistique.

Connu pour ses paysages maritimes, ses jeux de lumière et sa maîtrise de l’aquarelle, Turner, peintre révolutionnaire en son temps, fut l’un des précurseurs de l’impressionnisme et reste l’un des grands maîtres britanniques.

Timothy Spall © Prokino Filmverleih

Sa peinture fait partie de la matière même du film. Dans cette reconstitution très réussie, la mise en scène est sublimée par une lumière digne d’un tableau de l’artiste. Les ciels anglais, les brumes londoniennes, les couchers de soleil sur l’estuaire de la Tamise gardent une réalité palpable, tout en effleurant le mystère de la peinture de Turner. En montrant de magnifiques paysages, irradiés de la lumière diffuse propre à la campagne anglaise, Mike Leigh prouve que Turner a peint le monde tel qu’il est, mais enjolivé d’onirisme grâce à son regard. Pour lui, contempler les paysages, c’est en révéler la richesse, l’étrangeté. Turner serait donc un grand réaliste.

Comment ne pas être ému par des paysages qui deviendront de grands tableaux ?

Ours taciturne, rude et dépressif, avec un besoin sexuel en décalage avec son physique bourru et le puritanisme victorien, Turner travaillait comme un fou en méprisant chacun, admiratif ou pas. Il fut pris pour un excentrique dans un conflit entre modernité et classicisme. Ainsi, à l’application de Constable, son rival hostile, il opposait l’incertitude de la figure ouverte à ce qui l’entoure. Un siècle et demi après sa mort, la peinture de Turner a acquis une place de choix et fascine toujours autant.

Dans le rôle du célèbre peintre, Timothy Spall, un habitué du cinéma de Mike Leigh, a obtenu, à Cannes, le prix d’interprétation masculine.

C’était couru d’avance ! Il habite son personnage de façon très incarnée, et souvent charnelle, et les biopics sont toujours de bonnes affaires pour les acteurs !

Photo de Une : Timothy Spall © PROKINO Filmverleih GmbH

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