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Hungry hearts

Cette semaine Caroline vous présente le film "Hungry Hearts", drame sentimental délicat qui glisse à pas feutrés vers l’horreur. Un film saisissant, à la fois beau et macabre, qui peut heurter les âmes sensibles.

HUNGRY HEARTS - De Saverio Costanzo

Il est Américain, elle Italienne. Leur rencontre est des plus incongrues : ils se trouvent tous deux enfermés dans les toilettes d’un grand restaurant de New York, sans pouvoir en sortir.

Cette scène, anxiogène mais fort drôle, annonce déjà la claustrophobie qui hantera tout le film : leur histoire d’amour va, en grande partie, se dérouler en huis clos dans l’appartement où ils vivent en harmonie depuis leur mariage.

Cependant, tout bascule à la naissance de leur enfant.

Alba Rohrwacher - DR

Sûre de son instinct maternel, la jeune mère, persuadée que son bébé est unique et qu’il faut le protéger du monde extérieur, le prive des aliments essentiels et refuse tout conseil avisé. Perdant tout contact avec la réalité, elle déguise son instinct en sentiment. Le couple se déchire suite au lien fusionnel entre la jeune femme et son nouveau-né. Une fêlure d’abord à peine visible s’installe dans le foyer avant de devenir brèche et d’occuper tout l’espace du film avec le dérèglement d’une normalité suspecte qui peu à peu introduit le chaos.

Cela vire à la paranoïa : la mère impose à l’enfant un régime alimentaire qui le met en danger. Dans sa folie, elle nous épargne les spectaculaires crises de nerfs, tout se passe en douceur, elle parle d’ailleurs en murmurant. Mais son état de déperdition psychique a de quoi perturber le fragile et troublant équilibre familial.

Les films sur la folie sont rares.

Saverio Costanzo jette un regard clinique impitoyable sur la folie ordinaire et capte cette folie qui guette en déréalisant une désolante banalité : le rituel des repas devenant un affrontement ou encore l’univers pesant et étouffant d’une femme qui ne quitte guère l’appartement et reste scotchée à son enfant avec lequel elle maintient une relation mortifère.

Tendre et attentionné, le mari a beau essayer de faire division entre eux, il est sans cesse écarté. Le conflit larvé évolue en méfiance grandissante et la révolte finale prend la forme d’une charge furieuse contre une situation insoutenable. Ou est-ce un procédé pour boucler le récit sous forme de fait-divers ?

Bien qu’Italien, le réalisateur a voulu tourner pour la première fois son film à New York, mégapole introuvable en Italie où toutes les grandes villes sont plus ou moins de même importance. On y retrouve pourtant l’ambiance oppressante de son premier film « La Solitude des nombres premiers ».

« Hungry hearts » procure un certain malaise qui grandit à mesure que l’attitude de la mère devient destructrice pour le bébé qui maigrit et dépérit de plus en plus. La mise en scène, avec des cadrages resserrés sur les visages et les corps, colle impeccablement au propos de ce monde clos.

Grâce au jeu à fleur de peau des acteurs, l’émotion s’insinue dans le film.

Le regard évasif de la diaphane Alba Rohrwacher s’inscrit dans son visage fermé, énigmatique et cependant déterminé. Avec sa sensibilité d’écorchée, l’actrice est absolument saisissante. Elle a largement mérité son prix d’interprétation féminine à la dernière Mostra de Venise. De plus, dans le rôle du mari démuni face à cette tragédie qui se joue entre la vie et la mort, Adam Driver a obtenu le prix d’interprétation masculine.

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