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Like Someone In Love

De Abbas Kiarostami
Avec Rin Takanashi, Tadashi Okuno, Ryo Kase

Like Someone in Love est le titre d’un standard de jazz qui se traduit par « comme quelqu’un d’amoureux ». Le « comme » a ici son importance : dans le cinéma de Kiarostami, le « faire comme » est la base des rapports entre la vie et l’imitation de la vie, avec ses faux-semblants et ses mensonges. Maître du décalage, de la copie (voir Copie conforme, son film précédent), guetteur de la vérité, il est avec ce film loin de son pays et de ses habitudes.

En exil forcé, étranger en déplacement au Japon, Kiarostami n’a plus l’urgence des messages métaphoriques de sa période iranienne. Cependant son talent est intact et c’est d’un oeil toujours aussi ironique et incisif qu’il observe cette culture si différente de la sienne. Il n’aurait jamais pu en Iran filmer une étudiante se prostituant occasionnellement, d’où sa rencontre avec un client vieux professeur d’université, transformant, peu à peu, la passe en une touchante relation grand-père/petite fille. Ajoutons un petit ami, agressif et jaloux, à qui la jeune fille n’a d’autre choix que de mentir, et sa grand-mère venue de province qui lui laisse inlassablement des messages sans réussir à la voir. Humour et émotion sont dans toutes les péripéties ramassées en vingt-quatre heures : jeux de dupes, imprévus, quiproquos, hasards, ... Le film est une fable et - pour la première fois chez Kiarostami - une comédie. Une comédie de jeu sur les apparences qui provoquent un malentendu suffisamment troublant pour installer un doute dont le réalisateur a fait sa marque en usant de la confusion entre le vrai et le faux. Kiarostami poursuit ses recherches formelles sur la puissance du leurre, la force du simulacre, le rôle du mensonge pour atteindre la vérité. Tout semble se superposer et les espaces se confondre : le dehors et le dedans jouent avec des reflets dans un miroir, sur une vitre, des photos, un portrait sur un tableau...

Le déplacement est important dans les films de ce cinéaste mystérieux, de nombreuses scènes sont tournées dans des voitures. Ici, il peut rendre émouvante la traversée nocturne de Tokyo en taxi par l’héroïne, ou fixer la caméra sur le vieil écrivain dans sa voiture au mépris de l’environnement. Kiarostami indique ainsi la césure entre ce qui est dans le champ du regard des personnages et son propre point de vue d’illusionniste qui ne cache pas ses tours de passe-passe pour approcher le réel. Comme toujours, il jongle entre le son et l’image en accordant une grande importance au hors champ. L’intensité et la poésie sont chères au réalisateur dont la mise en scène est une véritable prouesse, avec ses longs plans-séquences, ses travellings en voiture, ses ellipses, ses longs silences, ses répétitions. Quoique la fin, volontairement abrupte et désinvolte, frustre quelque peu le spectateur laissant un goût de « non-histoire ».

Sans esbroufe ni vedette connue pour monter le tapis rouge, Like Someone in Love n’a guère retenu l’attention dans la compétition cannoise. Mais un film mineur dans l’oeuvre d’un très grand cinéaste (Palme d’or à Cannes en 1997 pour Le Goût de la cerise), est quand même un film majeur parmi l’ensemble des sorties en salle et le cinéma de Kiarostami est la preuve de l’infinie fécondité du 7ème art.

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