| Retour

Ce sentiment de l’été

Soudainement, en marchant dans un parc, une jeune femme meurt, laissant désemparés et hagards sa famille et son compagnon. Ils se retrouvent dans la maison des parents au bord du lac d’Annecy. Leur rencontre ne les aide pas à effacer la douleur, la brisure, le brusque anéantissement. Ils se font face, ni solidaires, ni étrangers. Impossible de réagir. Abasourdis. Leurs voix, leurs intonations, et même leurs silences créent une atmosphère ouatée, calme, chacun semblant hurler en silence.

Tous leurs souvenirs sont là, soigneusement gardés et remontants à la surface au moindre déclic. Par leur évocation, un lien se noue entre l’amoureux anéanti et la jeune soeur de la morte, de cinq ans sa cadette (Judith Chemla). Ainsi, se rejoindront-ils tous les deux au cours de trois étés successifs dans trois villes différentes : Berlin, Paris, New York. On marche beaucoup dans ce film dans les diverses villes où ils déambulent. Faut-il donc continuer d’avancer quoi qu’il arrive ?
S’ils cherchent à fuir les lieux empreints de la présence de la jeune disparue, son absence provoque pour chacun d’eux une crise existentielle qu’ils ont du mal à mettre en mots. Ils ne supportent pas sa mort soudaine. Rien n’y fait, et toute nouvelle compagne ne serait que doublure de la défunte. Il semble impossible que la vie reprenne son cours. Ils vont voir des amis, se rejoignent à des « fêtes », n’arrivent pas vraiment à s’y intégrer. Ils ne trouvent rien pour effacer la douleur. La musique peut-être, par instants.
Le film, sur la difficulté de faire le deuil d’un être cher, s’étire sur un rythme ralenti avec un charme ténu, indéfinissable, mais, s’il semble fragile, il chemine cependant en nous longtemps après l’avoir vu, sans pouvoir définir ce qui nous retient, sinon que c’est un film qui donne envie d’aimer autour de soi. Rien n’est appuyé et il y a de la douceur dans le regard que le réalisateur pose sur ses personnages. Il les contemple comme s’ils étaient au seuil d’une quête ou dans l’attente d’un avenir dont tout autre pourrait détenir le secret. Pourrait-on dire que « Ce sentiment de l’été » serait aussi « ce sentiment de l’était ». ? L’être aimé n’est plus là, on ne peut en parler qu’au passé. Mais comment oublier ?
Bien sûr, on aime les comédiens trop rares sur les écrans. Marie Rivière, vue surtout dans le cinéma d’Eric Rohmer, interprète la mère, tandis que Féodor Atkine (également souvent chez Rohmer) joue son mari. Anders Danielsen Lie, l’acteur principal inoubliable de « Oslo, 31 août », exprime avec beaucoup de sensibilité la détresse et le désarroi de l’amoureux inconsolable. Mickhaël Hers les filme, dans leur détresse, avec la même attention intime que ceux de « Memory Lane », son oeuvre précédente.
Quoique se déroulant au cours de trois étés, le film est nostalgique, bien que jamais désespéré, ni aride. Comme s’il y avait un lien entre la nature et la mort, outre les monceaux de fleurs qui garnissent jardins et tombes. Ou bien encore, un lien entre l’été et la présence d’un être cher. Le drame chemine en sourdine et le cinéaste, tout en délicatesse, cerne entre les personnages un vide peu à peu dissipé. Imperceptiblement.
Caroline Boudet-Lefort

Photo de une : DR.

Artiste(s)