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"Bergman Island" de Mia Hansen-Love

La cinéaste française Mia Hansen-Love a tourné « Bergman Island » sur l’île de Farö, identifiée à Ingmar Bergman qui y a passé une grande partie de sa vie et y a réalisé plusieurs de ses films. Marquée par son empreinte, l’île attire des fidèles aficionados en montrant chaque emplacement de ses tournages, si bien que les touristes y vont pour marcher dans les traces du grand réalisateur. C’est raconté avec humour et respect, et même un brin d’ironie qui s’ajoute encore au charme de l’île dont les paysages sont splendides surtout dans sa lumière estivale.

Un couple de cinéastes débarque sur « l’île de Bergman », afin d’écrire chacun le scénario de son prochain film. Ils espèrent que le « fantôme » du grand réalisateur les aidera dans leur travail, car ils se sentent en panne d’inspiration. C’est sur cette île que Bergman a tourné « Scènes de la vie conjugale » ce qui devient d’ailleurs source de plaisanterie entre eux, car, leur dit-on, c’est le film qui a fait divorcer des millions de gens.

Disparu de longue date, Bergman est cependant présent, montré comme un monstre d’égoïsme en laissant, à ses différentes femmes, le soin d’élever ses neuf enfants sans s’y intéresser afin d’être totalement disponible à la réalisation de ses films.

Dans le couple de cinéastes, quelques légères tensions se manifestent. Elle se montre envieuse de la facilité de travail que lui semble avoir. Un rien de rivalité s’instaure même entre eux, jusqu’à ce que, à son tour, sa propre imagination se mette en mouvement pour nous raconter et nous montrer, le scénario qu’elle développe, ce qui donne « un film dans le film ». Les deux histoires s’emboîtent et s’enchevêtrent très naturellement, touchant en profondeur le spectateur. Voilà que se déroule une autre relation amoureuse, une relation terminée depuis quelques années et impossible à renouer sinon fugitivement lors d’une rencontre sur l’île à l’occasion d’un mariage. Tout est raconté avec subtilité quant aux sentiments de chacun des couples en faisant alternativement les récits de problèmes dans leur liaison.

C’est très émouvant, les couples sont attachants et leurs histoires sont racontées tout en douceur avec une grande subtilité pour faire écho l’une à l’autre. Pourtant, la fiction ne serait-elle pas mieux que la vie ?

Les deux scénarios dialoguent entre eux avec des tensions plus ou moins exprimées et des échanges de regards qui en disent long sur des sentiments qui n’osent s’exprimer. Le couple du film dans le film semble plus libre, plus charnel que celui de la vie réelle. Mais les deux couples sont magistralement incarnés l’un par Tim Roth et Vicky Krieps et l’autre – celui du scénario raconté - par Mia Wasikowska et Anders Danielsen Lie qui se retrouvent sur une musique disco.

Comme son maître le grand Bergman, Mia Hansen-Love signe un film bouleversant, cruel et beau, où le passé et le présent s’emboîtent autant que la fiction et la réalité.

Ce film, attachant et subtil, aurait mérité de figurer au palmarès du Festival de Cannes, mais, branché sur un renouveau du cinéma, le Jury de cette 74e édition ne semble pas s’être intéressé à ce genre de films leur paraissant des oeuvres d’une époque révolue.

Caroline Boudet-Lefort

Photo de Une : Copyright Les Films du Losange

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