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SORTIE - "Tois visages" de Jafar Panahi

Entre documentaire et fiction, « Trois visages » relate l’enquête menée par Jafar Panahi lui-même et une amie, la célèbre comédienne iranienne Behnaz Jafari, dans un village régi par des coutumes ancestrales. Ils ont reçu, de ce village paumé, proche de la frontière turque, la vidéo d’une jeune aspirante actrice qui se pend en direct parce que sa famille refuse qu’elle se lance dans ce métier. Véritable vidéo ou une mise en scène manipulatrice ?

Le réalisateur et la comédienne décident de partir en 4+4 le vérifier dans le village lointain de la jeune fille, où ils découvrent que la vidéo est fausse, mais basée sur du vrai : il n’y a pas de suicide, mais le désir de la jeune fille de devenir actrice est bien réel et obstrué par le refus de sa famille, ainsi que par toute la population locale.

Bien sûr, ce point de départ n’est qu’un prétexte à montrer l’archaïsme de l’Iran profond, les traditions, le poids de la religion, la méfiance vis-à-vis des gens venus de la ville. Une société patriarcale où la virilité a ses lois, condamnant chacun à son rôle sans la liberté de choisir sa vie. Cependant, on découvre, par ailleurs, un accueil bienveillant, une hospitalité attentive, et même une certaine ouverture d’esprit parmi les villageois. De plus, la puissance de la fiction remplace parfois l’importance de la religion.
La jeune actrice est prisonnière de la culture patriarcale du village, tandis qu’à proximité vit misérablement une ancienne grande star du cinéma d’avant la révolution iranienne de 1979.

Ce sont elles deux et Behnaz Jafari qui donnent le titre au film inspiré d’une histoire vraie : « Trois visages », incarnant trois générations d’actrices, trois époques différentes en Iran.

Jafar Panahi s’est fait remarquer dès son premier long-métrage, « Le Ballon blanc », Caméra d’Or à Cannes en 1995. Actuellement, assigné à résidence dans son pays, il viole l’interdit de filmer durant vingt ans auquel il est condamné. Son désir de réaliser des films malgré tout est plus fort que cette mort artistique et suscite l’empathie. Est-ce la raison pour laquelle le Jury du Festival de Cannes a accordé à « Trois visages » le prix du scénario (ex-aequo avec « Heureux comme Lazzaro » d’Alice Rohrwacher). Le prix a été remis à sa fille, car il n’a pu venir à Cannes soutenir son film.

Comme son maître Abbas Kiarostami (mort en 2016) dont il fut l’assistant sur « Au travers des oliviers » en 1994, il filme souvent dans l’obscurité et souvent en voiture, en s’attachant au champ et au hors champ, au visible et à l’invisible, au vrai et au faux, entre fiction et réalité. Dans ce nouveau film, il visite fortement le cinéma de Kiarostami, l’imitant, le « pompant »... Les paysages semblent les mêmes que dans « Le Goût de la cerise » et les ruelles du village tirées de « Où est la maison de mon ami ? » Bien sûr c’est le même pays, mais à ce point... C’est plus qu’un hommage ou même qu’une référence « à la manière de », c’est de l’imitation !

Caroline Boudet-Lefort

Photo de Une : Copyright Memento Films Distribution
Date de sortie 6 juin 2018 (1h 40min)
De Jafar Panahi
Avec Behnaz Jafari, Jafar Panahi, Marziyeh Rezaei plus
Genre Drame
Nationalité Iranien

Artiste(s)