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Fin de cet événement Juillet 2015 - Date du 24 juin 2015 au 31 juillet 2015

Les mille et une nuits de Miguel Gomes

Contrairement à ce que laisse supposer le titre il ne s’agit pas d’une adaptation des contes orientaux ! Cependant, par son enchevêtrement narratif, Miguel Gomes a emprunté aux « Mille et une nuits » d’antan le principe de récits dans le récit. Son sujet est le Portugal d’aujourd’hui et la triste réalité de l’Europe en crise, alors même que le déroulement des histoires qu’il raconte propulse la misère sociale dans le champ du conte et de ses délires oniriques.

Durant six heures divisées en trois films intitulés « L’inquiet », « Le désolé », « L’enchanté » dont la sortie en salles est prévue avec un mois d’attente entre chaque film afin de « maintenir le désir chez le spectateur » (1).

Cette synthèse entre le documentaire et l’hyperfiction a représenté une des sensations fortes du dernier Festival de Cannes où les films étaient sélectionnés à la Quinzaine des Réalisateurs avec trois projections étalées sur six jours.

Au début, le réalisateur raconte, avec divers narrateurs mélangeant réel et fiction, le problème de la fermeture de chantiers navals portugais mêlés à celui de guêpes éliminant des abeilles ce qui menace l’apiculture, auquel s’ajoute un procès intenté à un coq qui chante plus fort que les autres. L’enchevêtrement des sujets aboutit à un certain effet surréaliste qui ne quittera guère le film. Mais, Miguel Gomes est bien décidé à aborder les problèmes sociaux qu’entraîne la crise à la manière de Shéhérazade, en les associant tel un patchwork ou en les emboîtant les uns aux autres, afin de distancier la triste situation économique actuelle à l’aide d’humour et de burlesque, si possible !

Dans cette fresque monstre présentée en trois volets qui ne font qu’un film, quoique chacun, d’environ deux heures, soit différent avec sa propre tonalité et son esthétique.

Pour cette oeuvre, la plus aboutie de l’auteur de « Tabou » (2012), le réalisateur s’est lancé dans un projet hors normes, démesuré, extravagant, sans véritable scénario, pour parvenir à un long et prodigieux voyage, une balade poignante et pathétique. En utilisant la structure gigogne du livre, il casse les codes avec des animaux qui pensent, pleurent et parlent sans qu’on les écoute, des génies, des sorciers, des chameaux, des baleines, des satyres, des voleurs, des banquiers, des amants, des oiseaux qui chantent tant et plus, un peuple éreinté par la crise, une princesse amoureuse et mélancolique, des jeunes et des vieux... et j’en oublie ! Tout ça narré sur un fond militant engagé à tendance rêveuse et sensuelle, avec du fantastique dans le réel.

De ces registres en strates mêlées, surgissent toutes sortes de cocasses histoires humaines, brèves ou longues, intimes ou collectives, drôles ou tristes... qui sont présentées dans une liberté sans pareil, du rêve à la folie.
Avec une multitude de faits-divers et de témoignages recueillis en un an par une équipe de journalistes, Miguel Gomes sonde le territoire du présent le plus ardent du Portugal en crise et soumis aux politiques d’austérité. C’est mille et une anecdotes inventives qu’il nous conte. Il se met lui-même en scène, étant contesté par ses techniciens, mais sauvé par une belle Schéhérazade d’aujourd’hui à qui il cède la place. De sa voix veloutée à l’accent chantant, il narre une succession de récits d’où d’autres découlent tout aussi désespérés et, s’accrochant les uns aux autres, ils ne forment qu’une seule souffrance.

C’est un prototype génial qui prouve l’entrain du réalisateur portugais à réveiller le cinéma par des expériences formelles.

Bien sûr, pour ses trouvailles, on pense à Godard, à Pasolini, dont Gomes pourrait être le successeur, mais avec son style propre à lui pour réenchanter la grisaille ambiante et mettre du merveilleux dans une réalité tristounette. Et de la magie dans la crise économique ! On vous le dit, un film fou auquel on adhère !

NDLR (1) le premier volet, intitulé « L’inquiet », sort le 24 juin, le second « Le désolé » le 29 juillet et le dernier « L’enchanté » le 26 août. .

Photo de Une : © Droits réservés

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