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Fin de cet événement Septembre 2015 - Date du 2 septembre 2015 au 30 septembre 2015

Ciné : Cemetery of splendour, d’Apichatpong Weerasethakul

Difficile de résumer un tel film dont la thématique importe peu , mais plutôt les merveilleuses trames qui s’en échappent pour mieux capter notre attention en laissant voguer notre esprit et nos pensées. Ici, dans cette expérience sensorielle à la vision délicate et quelque peu fantastique, nous pénétrons l’univers mystérieusement fascinant des films d’Apichatpong Weerasethakul . Un univers nourri de ses rêves mêlés à des souvenirs d’enfance transformés et loin de toute réalité.

Disons qu’il s’agit d’une école en bois convertie en hôpital de campagne pour des soldats atteints d’une mystérieuse maladie du sommeil. Une vieille dame qui les soigne bénévolement s’attache à l’un d’eux dont les carnets contiennent d’étranges dessins. Le bâtiment ayant été construit sur un ancien cimetière souterrain où reposent d’anciens rois, les âmes de guerriers bagarreurs envahissent celles des soldats flottants entre la vie et la mort dans leur maladie du sommeil.

Une mélancolie sans plainte s’obstine sur eux dans une molle chaleur qui se répand sous les feuilles vernissées des arbres exotiques.

Les âmes des morts toutes proches voyagent parmi les endormis et une femme médium – peut-être aussi agent du FBI - s’engage à communiquer avec elles.

© Pyramide Distribution

Apichatpong Weerasethakul a tourné « Cemetery of Splendour » dans sa ville natale au Nord de la Thaïlande.

Le film est donc ancré dans ses souvenirs d’enfance qu’il a su sublimer en une quête métaphysique. Ses parents étaient médecins dans un hôpital attenant à leur maison. Pour l’enfant qu’il était, le matériel médical et les gestes des médecins touchaient à de la magie au même titre que le cinéma qu’il y avait à proximité du fait de la présence de militaires américains.

Revenant dans tous ses films, la maladie tropicale est un des thèmes favoris du réalisateur, ainsi que l’immobilisme qui en découle. Fasciné, aussi dès l’enfance, autant par le cinéma que par les rêves, le réalisateur s’est construit un univers dont ses films sont imprégnés.

Avec la paisible assurance d’un cinéaste passé maître, Apichatpong Weerasethakul égare d’un bout à l’autre le spectateur et ses capacités d’interprétation, lui proposant une incursion dans un univers onirique. Les longs plans fixes invitent à la rêverie que rien ne viendra dissiper mais dont émergent ses thématiques familières. Il transfigure la réalité et lui insuffle cette magie inédite en utilisant la caméra comme un instrument qui libère une douce énergie qu’il fait ressentir à travers une nature apaisée, quoique foisonnante et envoûtante et en lien avec un monde d’outre-tombe.

Son actrice favorite depuis « Blissfully yours », Jenjira Pongpas Widner, est devenue sa partenaire de rêverie, plongeant de plus en plus intensément son regard dans ses vies intérieures.

Elle raconte à Apichatpong Weerasethakul un rêve qui devient le film que nous regardons, synthèse entre le cinéma et la réalité, d’autant que s’y ajoutent quelques allusions politiques – la Thaïlande est actuellement sous régime militaire après plusieurs coups d’Etat. La réalité de la vie de Jenjira est une jambe blessée, sans espoir de guérison. Cette jambe, marquée par les cicatrices de plusieurs opérations chirurgicales, constitue un point d’ancrage dans la vie pour Apichatpong qui se complait dans la maladie et la médecine.

© Pyramide Distribution

Depuis sa Palme d’or, en 2010, pour « Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures », peu de nouvelles du réalisateur, sinon un moyen métrage « Mékong Hôtel ».

Avec ce long et splendide voyage captivant construit sur des souvenirs transformés, enjolivés par la magie du cinéma, il nous livre un univers sans rationalité où le spectateur doit se laisser porter par ce qu’il ne sait plus ni voir ni ressentir.

A lui d’être apte à le découvrir dans ce « Cimetière de la Splendeur ». Savoir se laisser entraîner dans cette expérience intime et hypnotique. Le tout donne une belle splendeur. Oui, une splendeur ! Seul Apichatpong Weerasethakul peut proposer et réussir une telle déambulation onirique !

Sortie nationale en salles le 2 septembre 2015

Photo de Une : © Pyramide Distribution

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