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Fin de cet événement Novembre 2015 - Date du 22 octobre 2015 au 23 novembre 2015

Chronic

Un film de Michel Franco

Figure de proue du jeune cinéma mexicain, Michel Franco, réalisateur trentenaire spécialisé dans les sujets chocs (inceste, bizutage), s’attaque dans « Chronic » à un thème fort : celui des soins à donner à des patients en fin de vie. Tim Roth y interprète un aide-soignant à domicile un peu trop empathique qui veille toute la nuit ses malades. Il se donne corps et âme à son travail, sans vie privée, complètement accaparé par chacun de ses patients du moment.

Disponible et corvéable, cet infirmier s’implique totalement et ne se dérobe pas derrière des paroles mécaniques ou des attitudes complexes stéréotypées vis-à-vis de ses malades. Il s’acquitte de tâches difficiles, pénibles et souvent humiliantes, et, entrant dans leur intimité, il devient un soutien affectif et un médiateur entre le patient et sa famille. Aucun grand discours ne vient expliquer les ressorts intimes qui le conduisent à un tel élan compassionnel d’un humain vers un autre. Il faudra la toute fin du film, avec une conclusion un peu maladroite et prévisible, pour comprendre cet attachement à une humanité en demande d’accompagnement.

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Son travail l’oblige à affronter des émotions douloureuses qui parfois le dépriment, mais c’est son choix de vie que l’on comprend à la fin du film. Pétri de contradictions, il franchit la limite du cadre de son travail, comme s’il n’existait qu’à travers l’être en train de mourir auprès de lui. Le deuil et la mort font partie intégrante de sa vie.
Avec une représentation naturaliste, sans pittoresque, ni artifice romanesque, le réalisateur s’attache aux gestes du quotidien de l’aide-soignant, à l’attention qu’il mérite qu’on lui prête. Tout se passe comme si la minutie, nourrie de diligence et d’empathie, injectait un véritable intérêt. Rien ne transcende le caractère ordinaire des gestes d’un individu sans qualités, mais la mise en scène en révèle délicatement la gravité, la dignité, la grâce. L’interprétation subtile de Tim Roth le montre si proche de ses malades qu’il en devient suspect au point d’être même accusé de « jouer » avec les érections d’un de ses patients.

Dans la lignée de Michael Haneke, Michel Franco possède le don de déranger et de captiver. Ici, il réalise un cinéma froid, presque clinique, quasi-documentaire avec de longs plans-séquences sans musique et presque aucun dialogue, montrant uniquement la difficulté répétitive des soins. Comme dans ses films précédents, le ton est aussi réaliste que possible, avec le même malaise insidieux que dans « Después de Lucia ». Le mélange d’acteurs confirmés et de non professionnels permet d’atteindre ce degré de réalisme rarement obtenu. Si le film capte l’attention, il n’en est pas moins « indigeste », puisqu’il s’agit de filmer la dégradation progressive de corps usés, décharnés, abîmés, souillés, de gens qui sont déjà sans vie et dont l’existence se limite aux besoins les plus élémentaires. Cependant, l’approche est délicate, sobre, sans abus de psychologie ni de violons.

Tout le film repose sur les épaules de Tim Roth, parfait dans ce rôle pourtant ingrat d’aide-soignant hyper attentif quoique sans émotion. Président du Jury d’« Un Certain Regard » en 20012 à Cannes, l’acteur britannique avait remis le Prix du meilleur film de cette section à Michel Franco pour « Después de Lucia » et en avait profité pour lui glisser à l’oreille son souhait de joue dans un de ses films. Voeu exaucé ! Et avec succès puisque ce film radical a obtenu cette année, sur la Croisette, le Prix du scénario (qui pourrait pourtant tenir en deux phrases). Il a sans doute été reconnu pour l’audace du choix d’un tel sujet, a priori guère filmable !

Photo de Une : Scène du film "Chronic" © Chronic Film LLC

Sortie en salles le 21 octobre 2015

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