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1 HEURE 23 MINUTES 14 SECONDES ET 7 CENTIEMES de Jacques Gamblin

Entre théâtre et danse, « 1 heure 23’ 14 et 7 centièmes » réunit deux hommes : un sportif et son coach. Ils ont en commun le besoin d’action, de mouvement, et un goût certain pour la dépense physique née de l’enfance. De rebonds en virages, tous deux s’agitent, bougent, dansent. D’abord dix minutes de gestes en silence interrompu par « Ce n’est pas un saut, c’est un franchissement ». Dès le début, le spectateur comprend qu’il regarde deux hommes qui cherchent leurs limites.

Jacques Gamblin, le coach, a les mots ; Bastien Lefèvre, l’athlète, a la danse. Dans cette relation maître-élève, les deux s’estiment, s’aiment, s’admirent, se respectent, se déchirent. Ca crie, ça crise, ça gueule, ça rigole, exprime, explose, exulte... S’ils craquent et s’ils doutent, ils rebondissent aussitôt. Sur scène, la performance est à la fois sportive et scénique et la balance est souvent instable entre le danseur et le comédien. Jacques Gamblin a non seulement écrit le texte, mais il a aussi assuré la mise en scène.

La durée du spectacle est précisée dès le titre. C’est un marathon que Jacques Gamblin contrôlera en fin de spectacle, chrono en main. Il a tenu parole : « 1 heure 23’ 14 et 7 centièmes ». Pour lui les mots sont une pâte qu’il malaxe et triture quitte à en inventer pour qu’ils correspondent à ce qu’il cherche à exprimer, des mots choisis par ses tripes autant que par son cerveau. Les mots parlent au corps plus qu’à la tête : aussi le comédien les laisse-t-il s’associer et s’évader en toute liberté. Il aime les listes, l’acte manqué du mot, le lapsus révélateur, mais il ne se perd pas dans les méandres de l’inconscient. Ici, il énumère tous les sports dans leur ordre alphabétique. - Qui pourrait imaginer qu’il y en eut tant en stock ? - Il bricole des associations de mots et s’amuse d’énumérations. Sa pensée voyage en images d’inventaires (l’inventaire du stock était important dans la quincaillerie familiale de son enfance).

Son comparse, le chorégraphe Bastien Lefèvre, fait, quant à lui, une énumération d’insultes vraiment gratinées qui font réagir – et rire – le public. Déjà présent dans le spectacle précédent de Gamblin, « Tout est normal, mon coeur scintille », le danseur ne s’y exprimait que par mouvements, aussi sa prise de paroles étonne-t-elle. Surtout intéressé par l’expression du corps et le dépassement de soi, voilà qu’il aime cependant se renouveler grâce aux mots. Pour celui qui veut être le premier sur le podium, il est tenu à la contrainte d’un entraînement efficace et sévère. Son corps veut tout ressentir, bouger comme un coeur qui s’accélère et bat plus fort que ceux des autres. Sous les injonctions harcelantes de son coach, le jeune danseur se transforme peu à peu. Il accepte les exercices d’humilité, « La perfection, c’est une vue de l’esprit, ça n’existe pas ! » Soutenu par la variété des rythmes musicaux qui passent de l’opéra au rock frénétique, le danseur prend de l’assurance et exécute des exploits.

Loin du personnage rêveur, lunaire, de cette précédente création où il naviguait entre poésie, dérision et humour, Gamblin, figure complexe du coach fort en gueule, se montre cette fois plus tyrannique et cruel, malgré ses interventions bienveillantes. « Je faisais des trop grands pas, je n’arrivais pas à me suivre ! » Il joue avec les contraintes et demande des combinaisons difficiles, des mouvements relâchés. Son interprétation rappelle que l’équilibre est extrêmement fragile entre les mots et les mouvements. « Quand je ne fais rien, j’ai toujours mon corps pour bouger. » Soudés par une complicité exceptionnelle, les deux artistes jouent avec malice et talent les performances physiques exigées.

Présenté fin janvier à Anthéa, à Antibes, « 1 heure 23’ 14 et 7 centièmes » est à l’affiche du Théâtre de Grasse, les 3 et 4 mars prochains. Courez-y !

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