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HOMMAGE : Sosno : « La Façade c’est la grande cimaise ! »

Vous découvrirez ici l’intégralité de l’interview de Sacha Sosno, réalisée en octobre 2012 par Olivier Marro, parue dans le magazine Art Côte d’Azur du 29 novembre 2012.

"Oblitérateur universel", Sacha Sosno
© Guillaume Laugier

Vous avez été aussi photographe reporter. Vous avez beaucoup voyagé. Cette découverte du monde a-t-elle eu des influences directes sur votre travail d’artiste ?

La plupart des artistes ont été des globe-trotters depuis l’Antiquité. Ma pratique de l’oblitération est née lors d’un reportage au Biafra alors que je voulais supprimer certains détails insoutenables. Ces photos ont d’ailleurs été montrées au Sept Off 2012. Mes voyages ont eu une influence déterminante sur mon rapport au monde de l’art. Les oblitérations sont depuis au cœur de mon œuvre, parce que je crois que moins on en montre, plus la conscience imageante peut faire son travail. J’ai vraiment l’impression à la fin de ma vie qu’il n’y a rien dans les peintures ou les sculptures. Il n’y a que des gens qui regardent ces œuvres, qui les font. Personne ne voit le même tableau, ne lit le même livre ! Finalement l’art est une méprise, qu’il faut écrire « mes prises ». Et c’est beaucoup mieux ainsi !

Pensez vous que l’art puisse changer le monde ?

Je crois que ni le journalisme, ni l’art ne changent quoi que ce soit. J’étais invité en septembre à une conférence à Mouans-Sartoux. Je suis intervenu sur un texte baptisé : « Harmonie ? Le chaos plutôt ! ». L’expérience du Biafra m’a conforté dans mon penchant à être anarchiste. Il est difficile de croire en quelque chose quand, dans la même journée vous vous faites mitrailler par des mercenaires anglais, par des Mig égyptiens, bombarder la nuit par des Iliouchine. Et que les biafrais avec qui vous êtes, sont défendus par la Chine de Mao, l’Afrique du sud de l’afrikander, le Portugal révolutionnaire et la France du Général de Gaulle. Quand on a vécu les imbroglios de la politique internationale, on ne croit plus aux étiquettes ! J’ai exercé deux ans le métier de reporter. On risque sa peau, au bout d’un moment le nihilisme vous reprend. On se dit à quoi ça sert ? Au moins quand vous faites des sculptures vous vous dites que vous pouvez donner du plaisir à vos contemporains, que vous leur offrez un espace pour rêver.

Vous avez été un de ses premiers théoriciens, participé à son aventure en tant qu’artiste, quel regard avez-vous aujourd’hui sur l’école de Nice ?

J’ai fait mon premier article sur l’école de Nice en 1961 pour la revue Sud Communication. Le seul mouvement européen d’après guerre opposable au Pop art c’est le nouveau réalisme avec Klein, Arman et Raysse comme moteur, et Pierre Restany en mentor. Nice a été à l’origine d’un élan créatif incroyable toujours difficile à cerner. Pourquoi ça s’est passé ici, ce n’est pas la lumière, elle est aussi belle à Marseille ou Barcelone. Une des explications c’est le melting pot niçois, ce formidable brassage, qui fut un terreau propice. Une des caractéristiques de l’école de Nice est qu’elle a essaimé sans chef suprême, dans toutes les directions.

Comment est apparue votre attirance pour l’architecture ?

L’artiste doit faire le trottoir, descendre dans la rue. Tout le monde ne va pas au Musée, être dans la rue c’est très important, et la façade, c’est la plus grande cimaise ! Je trouve que les artistes ne s’impliquent pas assez dans ce sens. J’ai toujours rêvé qu’Arman fasse un immeuble ou de voir un bâtiment recouvert avec la calligraphie de Ben. Cela vient probablement de mon hérédité, le souvenir de Riga où les façades Art nouveau contiennent une allégorie ou une sculpture de l’occupant. J’ai peut-être une carrière d’architecte raté. Je trouve que c’est la plus belle activité que de construire des outils à travailler, dormir ou rêver pour ses contemporains. Je crois aussi qu’on est très en retard sur ce plan. Je l’ai même dit aux chinois à Pékin pour l’inauguration d’une de mes sculptures, il y a cinq ans : « vos tours en verre façon Chicago années 20 sont belles mais déplacées, vous pourriez trouver dans vos idéogrammes d’immenses sources d’inspiration ».

Quel sont vos meilleurs souvenirs de partenariat dans ce domaine ?

L’Élysée Palace est la première réalisation où je suis passé de la sculpture à l’architecture, On m’avait demandé de créer pour l’hôtel un signal visible depuis la promenade. Sur la table de l’architecte, il y avait cette Vénus. Je lui ai dit : si tu as le courage on fait ça ! Mon rêve est devenu réalité. La Tête carrée, c’est un concours national lancé par Catherine Trautmann, alors ministre de la culture que nous avions remporté avec les architectes Yves Bayard et Henri Vidal.

Représentation Tête carrée. Sacha Sosno
© Guillaume Laugier

Quelle est l’œuvre dont vous êtes le plus fier ?

La Tête carrée parce qu’elle est utile, elle n’est pas qu’une délectation visuelle. J’ai un projet à Séoul pour faire sur le fleuve une autre sculpture habitée « La poutre dans l’œil du voisin ». C’est vraiment dommage que les architectes n’aient pas suivi cette piste. Je le déplore !

Vos projets ?

J’ai deux expositions programmées en 2013 chez Ferrero et chez Hierro sur le thème des pièces impossibles, invendables. Le plus souvent c’est celles qui partent les premières (rires). J’ai mis entre parenthèses le projet de ma fondation. Nous croyions avoir résolu tous les problèmes administratifs, mais non ! C’est trop lourd financièrement même si c’est un moyen de pérenniser le travail d’un artiste, de le préserver des blocages qui surviennent avec les successions comme ce fut le cas pour Arman ou César. Je cultive depuis longtemps le projet de créer un cimetière des artistes sur la colline du Château. Une étude conclut que l’on peut y accueillir une quarantaine de monuments. C’est une manière de garder la mémoire des artistes de l’école de Nice. Beaucoup sont ou étaient intéressés : Ben, Farhi qui vient de nous quitter. Pour Arman, j’arriverais, s’il le fallait, à le rapatrier du Père Lachaise. Quand aux cendres de Matisse elles seraient mieux là, face à la mer, qu’au Cimetière de l’est. Pour ma part, j’aimerais y reposer dans une sculpture que j’ai réalisée.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

Je prépare une sculpture pour le nouveau port de Nice, la queue d’une baleine qui plonge. Le Conseil Général veut créer un parcours artistique autour du port, chaque sculpture étant sponsorisée par des entreprises. La mienne sera au niveau du Club Nautique.

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