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CHAPITRE 60 (PART IV) : Serge III en 1994 : un dernier adieu à l’Artistique...

La prison ne m’a pas changé

Dans le catalogue « Ecole de Nice Serge III » de son exposition à la Galerie d’Art Contemporain des Musées de Nice du 19 mars au 24 avril 1988 Serge poursuit son autobiographie, prenons-là juste après la prison :
La prison ne m’a pas changé, j’y avais toujours affirmé que j’étais un homme libre avec une prison autour. Par contre j’y ai pris conscience de moi même, d’une certaine force morale, d’une certaine solidité. J’étais plus sûr de moi.
J’y ai pris conscience également que l’essence de l’art est subversive, que le geste artistique étant une réaction de l’individu contre le milieu, le but, conscient ou inconscient de ce geste est de persuader ce milieu de se modifier.
Je ne répèterai jamais assez qu’il ne faut pas confondre subversion et contestation. La contestation est une protestation directe et partisane contre un état de choses, la subversion suggère un processus de pensée qui pourrait aboutir à la protestation.
Autrement dit la contestation est l’aboutissement d’un processus, alors que la subversion en est le point de départ.

La Joconde – Agressions d’identité –Galerie Frédéric Altmann, Nice, septembre 78 (Catalogue GAC)


Mars 1968, Marcel Alocco organise une exposition à Lyon, chez Guinochet et Guillaumon, une exposition sur les nouvelles tendances de l’Ecole de Nice. Il m’y invite, ainsi que Daniel Biga, Ernest Pignon, Saytour, Dolla, Strauch et j’en passe. Nous y montons, Jacques Strauch et moi en voiture. J’y présente des Christ et des croix. Des Christ sur porte manteau, sur disque, dans une gaine de révolver, dans un aquarium. Pendant la prolifération des tendances formalistes support-surfaciennes, faire de la dérision, ce n’est pas sérieux.
Concerts Fluxus à Avignon et à Florence. En juin 1969 Ben et Mérino organisent le Festival non Art.
Pour ce festival, je repeins en vinyl blanc tous les tableaux à ma portée et je les expose au Yati. Je le fais pour montrer que ce n’est pas l’œuvre originale qui est importante mais son contenu. Je ne détruis rien, car on peut revenir vers le passé et décaper le vinyl, rester au présent et garder la toile blanche ou aller vers le futur en repeignant autre chose à la place.
C’est à ce moment que je réalise mon geste. Auto stop avec un piano. Ben m’avait dit que je ne sais quel type de Fluxus avait écrit un livre avec toutes les pièces possibles et imaginables pour piano. Je lui ai répondu qu’il pouvait en ajouter deux, auto stop et navigation en piano.

Happening de Serge III


Dans le cadre du même festival, j’ai organisé une manifestation de masse à 1’lle St Honorat. Nous y sommes allés, Ben, Dietman, Monique Bentin, Mérino avec compagnes et enfants et avons fait un pique nique fort sympathique. Francis Mérino y a brûlé une œuvre de Farhi. C’était très réussi, d’autant plus que toute la journée nous avons été surveillés par deux agents en civil qui n’ont probablement encore rien compris.
A la fin de l’année, l’Ecole de Nice est invitée à participer à Sigma 5 à Bordeaux.

Contenu d’armoire

J’y participe en présentant un contenu d’armoire. C’est un travail de romain que de gâcher vingt sacs de plâtre et de les verser seau par seau dans l’armoire en montant sur une échelle. C’est à Sigma que j’ai bien sympathisé avec Claude Gilli. Il voulait faire un lâcher d’escargots mais les autres artistes avaient probablement peur de la bave et n’étaient pas très chauds. Sur quoi, j’ai dit à Gilli que je trouvais son idée très belle et qu’il pouvait les lâcher tranquillement sur mon contenu d’armoire.

Serge III et Ben


En 1970, invité à participer à l’expo « Environs II » à Tours, j’annonce que je ferai quelque chose. J’y arrive en train le 7 mai à deux heures du matin et je m’écroule dans un hôtel. Le 8 au matin je vais acheter un pistolet à amorces d’un aspect réaliste. Je passe voir les organisateurs, je leur dis mon projet et leur demande de convoquer la presse. Vers l5h, je monte dans un autobus, deux minutes plus tard je braque le chauffeur et lui ordonne de tourner vers la bibliothèque où il y avait l’expo. A la différence d’un avion, un car peut s’arrêter en plein vol, surtout s’il y a un agent de police à côté. Bref, arrestation. Poste de police, fouille (à poil) interrogatoire.
- Pourquoi vous avez fait ça ?
- Pour faire un geste artistique.
- C’est pas artistique !
- L’année dernière j’ai fait de l’auto-stop avec un piano comme geste artistique, aujourd’hui j’essaye de détourner un bus.
- L’auto stop avec un piano c’est artistique. Détourner les bus, non.
Que dire ? La nuit, la matinée, le début de l’après midi au poste puis on me relâche.
Je passe voir les gens de l’expo et j’ai tout juste le temps de casser la croûte et de prendre le train pour Montpellier où se manifestent cent artistes dans la ville.
Là, j’organise un repas dans un restaurant
entrée Yaourt
potage Yaourt
viande Yaourt
légume Yaourt
fromage Yaourt
dessert Yaourt
boissons au choix.
En été 1970 je présente chez Ben la première série de Marines. Comme public, les copains et une visiteuse (devenue amie par la suite).

Sedan

Le 2 septembre, je fais célébrer le centenaire de la défaite de Sedan. Dans une galerie éphémère située au Pont-du-Loup j’ai présenté près d’une centaine d’objets ou drapeaux tricolores en déniant aux mili¬taires l’exclusivité du drapeau et en revendiquant les trois couleurs pour tous les objets d’usage quotidien.
Entre temps, le tribunal de grande instance de Tours me juge par défaut et me condamne à 500F d’amende pour violence avec préméditation pour le détournement d’autobus. Etant plutôt gêné financièrement, je fais imprimer une circulaire et je fais un appel au peuple pour payer mon amende. Très rapidement le total à payer est couvert et même au-delà, ce qui me permet d’éditer une petite plaquette (tirage de misère) relatant l’affaire, avec photocopie de documents à l’appui à l’usage exclusif des donataires (que je remercie de nouveau).

« Ecole de Nice… » (1987) galerie Alexandre de la Salle

Pendant l’été 1971, Ben organise à la Galerie de la Salle, à Vence, une exposition sur paravents de ses copains. Un paravent, c’est trop peu par tête de pipe.
Avec Francis Mérino de Monaco, nous organisons une série de repas intitulés : « Faites-le vous-même ». Nous invitons une dizaine de personnes dans un restaurant et leur disons notre espoir qu’il en sortira quelque chose. Ce furent quelques soirées bien sympathiques, mais pas plus que les socio drames, les socio bouffes n’ont rien donné.
Il y eut à Flayosc (Var) un restaurant galerie dont la charmante propriétaire patronnait des expositions d’art naïf présentées par Frédéric Altmann. J’y allais assez souvent avec mon ami Francis Mérino et un jour j’inventai un peintre naïf. Il y a eu le douanier Rousseau, le Facteur Cheval il me fallait un gendarme, ce fut le gendarme Jean Cibalo (hommage à Brassens). Il n’empêche que le plumitif de Nice-Matin, édition Var, l’a cité en tant qu’un des futurs exposants de la Galerie. Il est vrai qu’en parlant de mon travail il a remplacé le mot subversion par le mot subvention (lapsus calami).
En 1972, avec Daniel Biga, poète, et Jean Mas, plasticien, nous faisons une série d’expositions dans les MJC de la région avec chaque fois une soirée pour discuter avec le public. Un bide. C’est bien parce que le publie ne prend pas la parole que nous la prenons.
En 1973 ça bouge. C’est une année d’activité intense dans tout le sud de l’hexagone.

Serge III, Ben, Jacques Lepage

En janvier février l’expo « Hors Langage », organisée par Jacques Lepage dans le hall du Théâtre de Nice. Je n’y expose pas d’œuvres, j’y campe. J’ai installé ma tente avec des pains de fonte pour tenir les tendeurs, mon duvet à l’intérieur, et moi ayant la clé du théâtre, venant y dormir tous les soirs. J’y ai trouvé une lettre d’une admiratrice disant qu’elle comptait me rejoindre dans la tente, cette petite sotte ne l’a pas fait. Et aussi un mot de Ben qui espérait me piéger et que j’avais tranquille¬ment enfoncé avec mes pieds au fond du duvet (le mot). J’y ai invité des amis pour fêter mon anniversaire et Gabriel Monnet nous a offert deux bonnes bouteilles.
Peu après, à La Rochelle, quarante ou cinquante artistes sont invités à exposer dans la rue (du Temple). Pour la rue, il faut de l’art de rue. J’accroche à des câbles, en hauteur, une croix de 2m50 de haut sur laquelle est un petit panneau « le Christ revient de suite ». Ironie et dérision, bien sûr, mais également le message contenu dans le nouveau Testament : « Le Christ peut venir à n’importe quel moment ».

(A suivre)

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