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CHAPITRE 60 (PART II) : Serge III en 1994 : un dernier adieu à l’Artistique...

Serge III le vagabond

Dans le « Journal de Prison (Prague 1966-67) » de Serge III, d’abord cette brève notice autobiographie :
Serge Oldenbourg est né en 1927 dans une famille d’émigrés russes. Il a une enfance et une jeunesse pauvre. En 1944 il termine ses études secondaires après avoir été alternativement l’orgueil et la honte des divers établissements où il a étudié. Sur le plan plastique, il essaye de peindre tout en bleu, puis pour montrer le rapport contenu contenant, il fait des moulages d’objets contenants et en sort le contenu qui est la raison d’être du contenant.

Voiture/sandwich de Serge III le 27 juillet 1963 au Provence

En 1946, avant perdu ses parents, il part en auto-¬stop vagabonder à travers la France. Il est successive¬ment cueilleur de fruits, ouvrier agricole, rempailleur de chaises, bûcheron, charretier, soldat, ramasseur de vieux papiers, peintre à l’O.R.T.F., fonctionnaire à la Mairie de Grasse, peintre en bâtiment à Nice. Après avoir fait du théâtre et de la peinture en amateur, il prend contact avec l’art moderne par le canal de Ben, d’autres artistes niçois et des publications Flexus (sic) en 1962. Il participe aux premiers happenings qui se jouent en France en juillet 1963, et à tous les concerts Flexus (sic) à Nice, Paris, Céret, Prague, Avignon, Bordeaux... Par exemple, c’est pour le vin que l’on a fabriqué la bouteille, pour le pied, la chaussure, pour un prison¬nier, la prison, pour un message, l’écriture. Après avoir travaillé sur la peinture qui disparaît avec le temps, la peinture qui ne sèche jamais, et les différentes utilisations d’un crucifix, il dénonce le caractère sacré qu’on donne à l’œuvre d’art, en passant une couche de vinyl blanc sur des tableaux de sa collection. Ce faisant, il offre trois possibilités : garder la toile telle qu’elle est, décaper le vinyl, peindre sur le vinvl. Ayant pris conscience de la notion de l’essence subversive de l’art, il se refuse à suivre la mode et certaines tendances de l’art moderne pour pratiquer un art accessible à chacun, narquois et irrespectueux, et cependant engagé pour le droit à la vie de l’individu, contre les prisons et toutes sortes d’oppressions. (Serge III).

Concert Fluxus, Terrasse du Provence, 27 juillet 1963, Bozzi, Maciunas et Ben

Journal de prisonnier

Ensuite, sa préface :
Cet ouvrage n’est pas une œuvre littéraire, c’est un document. Un journal de prisonnier. Il a été écrit en cellule, au jour le jour. Il contient des fautes de français et des répétitions. J’ai intentionnellement laissé ces fautes et répétitions pour garder à ce journal son caractère de document authentique. Ce journal relate cinq mois de ma vie. Il a été écrit clandestinement, d’une écriture très serrée, sur un carnet que je suis arrivé à dissimuler pendant près d’un an aux gardiens de deux prisons tchécoslovaques. J’ai pu l’expédier clandestinement (et c’est une performance) par la poste en France, avant ma libération. Je l’ai retrouvé tel quel à mon retour. Mon intention première était de développer ces notes pour en faire un livre sur les prisons tchèques, mais, après ma libération, je n’en ai pas eu le courage, ni l’envie de me replonger dans cet univers de murs, de gardiens, de méfiance et de délation. Puis, ayant laissé passer quatre années, j’ai pensé que quiconque n’a pas été en prison ne peut pas se rendre compte de ce que c’est. La détention, les semaines et les mois passés dans une cellule, au secret, dans l’inaction, changent la valeur des choses. Dans une jour¬née où il ne se passe rien, le moindre détail inhabituel devient un événement. Ce livre raconte mon aventure personnelle dans les prisons tchécoslovaques, mais la vie en cellule que je décris est, à quelques détails près, la vie de tous les prisonniers dans toutes les prisons du monde.

« 7 jours de la création » en juin 1964

Je suis resté en prison préventive pendant six mois. Six mois à deux, dans une cellule de six mètres carrés avec de la lumière 24 heures sur 24. Après ma condamnation, j’ai vécu dans une autre prison, huit mois, dans la section des étrangers. Si les conditions de vie y étaient moins dures qu’en cellule, l’ambiance de délation, d’impuissance et de résignation était plus démoralisante et destructrice.
Ce livre se compose de trois parties, d’abord un préambule expliquant pourquoi et comment j’ai été arrêté et un résumé de ce qui s’est passé jusqu’au moment où commence ce journal. Puis, le journal, texte écrit, je le répète, au jour le jour en cellule et recopié mot pour mot. Enfin, un appendice dans lequel j’explique certains points obscurs et certaines erreurs que j’ai pu écrire dans mon journal. Il ne faut pas oublier que lors de mon arrestation je ne parlais pas le tchèque et que pour parler avec mes codétenus je me servais d’un petit dictionnaire franco tchèque. Les informations que je pouvais ainsi recueillir étaient souvent incomplètes et partiales. J’ai donc tenu à rectifier certaines choses pour bien montrer que ce livre n’est pas un instrument de propagande politique, mais un document que j’ai voulu objectif.

Début du « Journal de prison » de Serge III. Titre : « Du happening à la prison ».

En octobre 1967, je suis allé à Prague avec mon ami Ben, artiste d’avant garde, sur l’invitation d’un critique d’art, Chalupecki, et d’un artiste, Knizak, qui organisaient une série de manifestations d’art moderne, happe¬nings et Concerts Fluxus.

 : Concert Fluxus, Terrasse du Provence, 27 juillet 1963, Bozzi, Maciunas et Ben

Le jeudi 13 octobre nous jouâmes un Concert Fluxus de Ben. Le vendredi 14 un happening de Dick Higgins. Le samedi et le dimanche étant fériés il n’y eut pas de représentation. Ben, pour des raisons personnelles, partit pour Nice le samedi 15. J’organisai le happening du lundi 17 avec l’aide de Knizak et d’un de ses amis, Jan Mach. J’étais allé à Prague, avec une certaine sympathie pour les pays socialistes et nous en avions discuté tout le long de la route avec Ben. Je pensais, que, quoique maladroitement, il s’y construisait une société nouvelle, qui un jour serait un progrès par rapport à la société actuelle. Puis, par de tous petits détails, en quelques jours, je me suis aperçu qu’au contraire, ce système avait fait régresser la Tchécoslovaquie matériellement aussi bien que moralement. Des détails, tels que les jours sans viande, ou la résignation du gérant d’un club important devant le nombre d’ampoules grillées, ou encore la petite fille du Président Masaryk me montrant avec émerveillement un appareil à imprimer sur rubans plastiques. Je m’apercevais donc que des millions de gens étaient escroqués par le mythe d’un socialisme constructeur. Prague, la Ville Dorée, était devenue Prague la ville aux échafaudages où il n’y a jamais personne et qui restent des années le long des façades des maisons. J’étais dans cet état d’esprit quand nous avons organisé une petite fête chez Knizak, après mon happening.

Serge III à l’Artistique en 1964


Il y avait dans la bande deux soldats, dont un est resté avec moi après le départ de toute l’équipe. Il s’était plaint, d’une part, de la triste vie que mènent les jeunes en Tchécoslovaquie, d’autre part, de la dureté du service militaire, et m’a dit que s’il avait la possibilité de partir à l’Ouest il le ferait volontiers. J’ai pris ma décision en une minute. J’ai décidé de marquer le coup de ma désillusion politique, de faire sortir ce soldat de Tchécoslovaquie et de l’exposer à la Galerie A où les artistes niçois faisaient une exposition collective. J’ai donc donné mon passeport avec le visa de sortie, des vêtements civils et un peu d’argent au soldat. J’avais remarqué qu’à la frontière, les fonctionnaires regardent très longuement les papiers et s’occupent bien moins des voyageurs. Les photos des passeports sont en général mauvaises, et bien que de vingt ans plus jeune que moi, il avait une chance de passer. Je lui dis de filer immédiatement vers la frontière, de ne voir personne de sa connaissance et, s’il était pris, de dire qu’il m’avait volé passeport et habits. J’appris par la suite qu’il était bien passé le lendemain vers midi. Malheureusement, ce petit sentimental avait eu l’idée d’aller faire ses adieux à sa petite amie, Zdenka, et de lui dire d’où il tenait habits et passeport.
Le lendemain matin Zdenka alla s’informer chez Knizak et lui raconta tout. Knizak, furieux, me réveilla et je fus obligé de lui avouer toute la vérité. Ce qui fait que plusieurs personnes étaient déjà au courant de l’affaire. Je leur recommandai le silence, malheureuse¬ment je crois que tous bavardèrent et ça ne me plaisait pas du tout. Officiellement, je dis que j’avais perdu le passeport et allai en faire la déclaration au consulat français. Pour un laissez passer provisoire il me fallait une photo et je ne pus l’avoir que le lendemain. Ce qui fait que ce n’est que le vendredi 21 octobre que je pus aller à la police tchèque, avec mon laissez passer, pour y demander un visa de sortie. L’employé préposé aux étrangers fut très aimable et me dit de revenir le lende¬main. Le lendemain, on me fit subir un interrogatoire assez serré sur les circonstances de la perte de mon passeport. Puis on me dit de revenir lundi. Lundi, le ton avait changé, d’autres policiers me dirent carrément qu’un homme avait passé la frontière avec mon passeport et on me fit signer un procès verbal, un protocole comme ils disent, sur mon emploi du temps à Prague. Puis ils me dirent d’aller à l’hôtel, de ne plus voir personne et de revenir les voir le lendemain matin.

(A suivre)

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