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HORS LES MURS : Pierre Cardin : Couturier de l’espace - Reportage realisé par Olivier Marro pour Art Côte d’Azur

Il est un des ténors de la mode, mais Pierre Cardin fut également un chantre du design. Un projet qui éclaire le parcours de cet esthète qui, en 60 années d’exercice s’est attaché à donner au monde, une forme.

Il fait partie des cinq français les plus connus du monde. On a
récompensé le couturier, loué l’académicien, goûté diversement
le père du prêt-à-porter et le PDG d’une marque diffusée
dans toute la planète, mais Pierre Cardin qui, célébra en 1980
ses 30 ans de carrière au Metropolitan Museum of Art est avant
tout un créateur protéiformes. Alors qu’il comptait déjà parmi
les acteurs majeurs de la mode, il développa une ligne de mobilier
avant-gardiste. Celui qui dessina à 24 ans, les costumes de
« la Belle et la Bête » fut prompt à investir toutes les formes d’art
en tant qu’acteur, entrepreneur, ou mécène. Depuis 1993 les prix
Pierre Cardin, soutiennent la jeune création. Ses galeries (à New
York, Paris, Milan), le Show Off de l’espace Pierre Cardin défendent
encore les avant-gardes comme elles rendent accessible l’art
contemporain. Son Château de Lacoste ou L’espace Cardin sont
devenus des hauts lieux des arts vivants, le carrefour international
des créateurs. A la scène comme à la ville, Pierre Cardin a croisé
toutes les disciplines. Dans son travail, elles se chevauchent, s’inspirent
pour accoucher d’une oeuvre unique.

Space Age

Né en 1922 dans la Province de Venise, Pierre Cardin gagne en
1945 Paris où il intègre, la maison Dior. Il participe à la vague
"New Look" puis fonde sa boutique en 1950. Dès lors, le couturier
ne cessera d’être pionnier et témoin de son temps. Après avoir
dessiné les costumes à col mao des Beatles, habillé John Steed
(Chapeau Melon et bottes de cuir), ce formaliste Pop va entrer dans
une autre ère. En 1961, Youri Gagarine est le premier cosmonaute
puis Neil Armstrong le premier astronaute à fouler la lune. L’Odyssée
de l’espace de Kubrick envahit les écrans. Les sixties sont sur
orbite, Cardin lui a posé le premier étage de sa fusée qui va le
propulser dans le « Space age ». Une époque d’intense créativité
où technologies et industries innovantes
percutent la mode et l’art. Courrèges
invente la « couture Future », habille Barbarella
(Jane Fonda), Paco Rabanne s’autoproclame
couturier métallurgiste, Cardin,
lui, explore le design du cosmos. L’esprit
géométrique amorcé avec sa robe bulle en 1954 s’émancipe dès
1964 dans des collections graphiques telle la ligne Cosmos qui
explore les formes comme le triangle et le rond en érotisant les
matériaux de synthèse. Il est d’ailleurs le premier à utiliser le vinyle
dans ses créations. Puis, le plastique, le caoutchouc, viennent
également nourrir l’imaginaire de cet architecte de la mode et du
designer qui se profile dans ces créations géométriques.

Design haute couture

Couture, design, architecture, tout n’est que ligne et espace.
Cardin fut un des premiers à franchir le pas "La haute couture
est un laboratoire pour étudier les volumes et les formes..." proclame
celui qui ne tarde pas à transposer sa vision sculpturale de
la mode dans le design domestique. En 1968 avec une licence
d’assiettes en porcelaine, il se lance dans l’aventure brisant l’austérité
du mobilier des années 50 tout en conservant des essences
nobles qu’il mixe avec les matières liquides tel le polyuréthanne
qui permet de façonner des figures organiques. Le meuble Cardin
porte ainsi le sceau d’une poésie futuriste et d’une ébénisterie héritée
de la grande tradition. C’est une période intense de production.
Cardin dessine, multiplie les brevets pour lui, pour d’autres
(canapé Swany pour Steiner). Il crée son Design Studio et engage
en 1969 un jeune talent : Philippe Stark. En 1970, il ouvre l’Espace
Cardin et lance un groupe de designers (dont Maria Pergay et Joe
Colombo) sous sa ligne « Art de l’Environnement ».

"Sculptures utilitaires"

En 1977, Cardin crée sa première collection de "Sculptures utilitaires"
parce que l’on peut tourner autour de ces meubles conçus
à 360 ° comme autour des ses robes cinétiques. Des créations
qui, faute de se jouer de la gravité remettent en cause la linéarité
« J’aime dessiner dans l’absolu, sans contraintes d’angles, de couloirs,
de pièces ou de murs. Faire des manches de robes ou des
pieds à une table, c’est la même chose. » Se plait à dire celui
qui, en 1977 dédie un lieu à ce nouvel esprit design. La Galerie
Evolution, non loin du Centre Georges Pompidou devient un show
room où ses créations côtoient celles de designers inspirés comme
Serge Manzon, Claude Prevost, François Pacos, Christian Adam,
Maria Pergay, Francesco Bocola etc. Car le concept Evolution est
une aventure collective dont Cardin est le mécène et catalyseur
d’idées. Un atelier qui diffuse des modèles uniques en tirage limité.
Les fameux luminaires édités par la firme Yamada Shomei
pour le Japon en témoigne encore. Au fil des décennies la collection
« Evolution » s’est enrichie, et depuis 2008 d’une centaine de
pièces (des meubles luminaires aux Sculptures Utilitaires) créées
par le jeune designer Rodrigo qui participa avec Pierre Cardin à la
restauration du « Sotoportego de la Siora Betina » à Venise.

Pyramide bois

En 1975, le couturier designer qui a déjà adapté au mobilier sa forme
fétiche, la bulle, choisi d’en faire une oeuvre monumentale en
commandant à l’architecte Antti Lovag, le Palais Bulles (Théoule).
Chacune des dix chambres « satellites » est confiée à un artiste
contemporain tandis qu’au fil de ce labyrinthe organique, Cardin
essaime ses meubles objets d’art comme la sculpture télé en forme
d’oeil ou les incroyables lits/souches « racines ». Egalement
concepteur d’enveloppes architecturales, Pierre Cardin, à 88 ans
n’en a pas fini avec la planche à dessin. C’est à Venise ou sur l’île
Seguin (Boulogne) qu’il envisage d’édifier un palais Ovni, aussi
sculptural qu’innovant. Cette fois, au lieu d’un corps féminin c’est
toute une microsociété qui devrait entrer dans cette immense
robe de verre et de métal, sertie de six disques soutenus par trois
tours en étoile. « Habitat, bureaux, Théâtre, espaces publics...
sont concentrés dans ce palais lumière du XXIe siècle culminant à
250 m et conçu pour être autonome en énergie. » Un nouveau
défi qui pourrait être à l’horizon 2015 la grande oeuvre du grand
couturier de l’espace.

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