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CHAPITRE 61 (Part V) : Patrick Rosiu, d’un infini à l’autre

Patrick Rosiu, une réflexion en marche

Pour continuer à indiquer le genre de rapport à la peinture en permanence réflexif de Patrick Rosio, un lexique sous la forme duquel il a apporté sa contribution à l’exposition Henri Baviera à la Maison de Carcès en 2006 vient à point. Encore une fois, ne parle-t-il pas avant tout du Peintre, de l’universel, à travers, bien sûr le particulier. L’exposition d’Henri s’intitulait « L’hymen de la couleur », et le « dictionnaire » de Patrick Rosiu était celui-ci :

Dans les « Carnets »

Œuvre

Dans la lumière, l’affleurement de la forme ou le frémissement des couleurs, l’œuvre d’Henri Baviera élabore sa mesure : le cadre. Celui ci s’impose au premier regard. Il marque d’une manière indiscutable les différents espaces compris entre les bords du tableau et ceux inscrits dans les surfaces internes : réceptacles d’autres moments du tableau. Le cadre est un espace de tension dans lequel s’active des forces. C’est celui des permutations, des transpositions, des proliférations, des superpositions, pour confondre ou discerner les espaces intérieur/extérieur, fond/forme. Brouiller les pistes, obtenir un dérèglement de la représentation pour suggérer une image latente (comme dans les rêves, tel que le propose Freud) ou sous-jacente, le cadre dans l’œuvre de Baviera contient, anime les dessous de la couleur et la matière devenant surface à condition d’y prêter attention.
L’œuvre est là en attente, et non enfermée dans un champ clos défini par le cadre, expression d’une performance. Elle est mi close. Aucune forme n’est assujettie à la mesure du cadre qui constitue son harmonie immédiate. Le peintre prend du recul, marque un temps pour se laisser surprendre par l’ultime moment de ce dispositif. Il s’échappe de l’attraction plaisante d’une harmonie de fait pour abolir, déconstruire, ramasser. Alors les forces agissent entres elles pour permettre à l’intime de prendre possession de l’œuvre.

Dans les « Carnets »

Etrangeté

Présence/absence, l’hymen de la couleur et de la matière s’active dans ces passages étranges du relief, du creux. Le peintre est l’instigateur de cette affaire, lui qui tisse, favorise des rencontres et des échanges. Et par l’entremise de ses actions, l’insolite se glisse entre les infinies couches de l’acte de peintre, de graver pour ne laisser en fin de compte que la complexité du désir : moment d’étrangeté.
La confrontation fait apparaître des relations insoupçonnées, non pas celles évidentes définies par le signe « fenêtre » mais celles qui viennent en l’instant surprendre le regard.

La Figure.

Dans cette affaire une autre figure s’impose, celle qu’entretiennent le tableau et son titre. Calligramme, comme Kéreon, Lorisya, Niongo ou Soryo, titres de tableaux montrant le lien entre l’aspect sonore du mot et l’espace plastique, sorte de jeu musical, nous dira Henri Baviera.

Dans l’exposition à la Chapelle des Pénitents Blancs (fragment)

Beau

Le sens commun nous impose de nous satisfaire de l’apparente simplicité de l’œuvre. Ce n’est pas tant dans le jeu de la matière, de la lumière ou de l’agencement des surfaces voire de l’harmonie que le beau est à l’œuvre dans cette peinture, mais dans sa capacité à inventer, transformer ou s’inscrire dans une tradition. Le beau s’impose non pas comme effet de l’apparence mais comme possibilité de créer une émotion. Il exprime et active les forces. Henri Baviera nous rappelle tout simplement que le beau accroît sans cesse notre regard. Il touche à notre vision dans ce qu’elle a de plus faillible pour lui donner une assise en associant matière et couleur. L’une étant le support de l’autre entre légèreté et lourdeur, délicatesse et force. Se défaire du beau visible pour se réaliser dans le beau concret.

Dans l’exposition à la Chapelle des Pénitents Blancs (fragment)

Relief

Faut il penser l’œuvre d’Henri Baviera dans sa distinction des techniques, peinture, collage, gravure ? La question n’est pas sans importance, elle suggère les liens, les passages qui sont présents dans ces différentes approches : relief et creux en sont la constitution, le réceptacle. De la gravure – « Polychromies reliefs » comme il la définit , à la peinture il y a une attention particulière du geste qui engendre la surface. Déplacement de l’acte de peindre par- delà les catégories pour aller puiser dans la toile ou dans le papier par l’intermédiaire des couleurs et des formes une étrange floraison de sentiments d’être. Boursouflure, rainure, croûte présence de l’élément organique terre roche pour accroître la durée dans la dureté du temps. Œuvre confrontée à la durée sans concession. Relief marqué de l’extrême tension qui agite la surface. Réserve révélée par l’instauration des reliefs. Tout cela façonne la surface. Le calme surgit. Il organise l’ensemble des espaces, des signes, des couleurs. Nous sommes là confronté à l’échelle géologique de la peinture.

Creux

Le creux n’est pas la présence du relief qui en découle mais un espace en réserve, en suspension, un fragment fortement marqué, un réceptacle du signe. Le creux est une sorte de trouée dans le fond de la peinture non vide. Il est un réservoir de pensée, d’espace d’impression, de respiration. Lieu du signe dans la peinture de Baviera ou de la lumière radiante. Sorte de cuvette dans la gravure ou dans la peinture, il est l’espace du lisse, du poli dans lequel la trace, la ligne inscrivent la présence de la mémoire absence de l’être.

Dans l’exposition à la Chapelle des Pénitents Blancs (fragment)

Continuité

Dans cette apparence d’un ordre incertain, le signe, le geste, l’épaisseur ou la transparence dans leur continuité ou contiguïté pratique un va et vient continuel. Sorte de flux ou reflux de la peinture, signe brûlant de la générosité infatigable d’Henri Baviera.
Non dupe, il porte son attention sur les opérations de masque, de recouvrement, d’assem¬blage. Celui qui scrute cet espace-là saisit toute la portée des permutations, des déplacements, des coupures, des entassements ou des superpositions. La continuité se fait à l’intérieur de l’œuvre à partir de toutes ces manœuvres. Alors Henri Baviera nous implique dans un infini de la matière, de la couleur pour nous aspirer vers un dedans qui devient le paroxysme du voir. Dans cette constitution du tableau, la géométrie n’est pas absente de son art. Elle en est même sa mesure. Une géométrie vagabonde, celle qui entretient un lien entre le macrocosme et le microcosme. Géométrie de la continuité des espaces à les confondre et les discerner dans un même temps : celui du regard.

Dessein

S’activer, s’abandonner, s’attarder aux confins de notre pensée, cette peinture dans son acharnement à ouvrir les espaces du dedans. Nous pousse à partir du simple matériau dans lequel s’exprime l’acte pictural vers d’autres horizons infinis de la couleur et de la matière. L’expérience de la couleur se réalise dans une pensée héliotrope, celle d’Henri Baviera se manifeste dans cette élaboration de la fenêtre lumière, intense, sensible à un certain nombre de radiations. A partir de cela le dessein de l’œuvre établit les contours de la pensée du peintre. La gamme des tons utilisés, le choix des teintes ou demi teintes, permettent de mesurer toute la portée de son champ d’investigation : le Visible.

Disposer

Disposer de la surface c’est se confronter à la face et au lointain, au rêve et au divin. Le collage dispose de la surface, il tient en ceci qu’il diffère le regard dans son désir à s’accaparer l’espace de la peinture par le jeu du dépôt de fines pellicules de papier. Qu’entretient le peintre dans cette pratique du recouvrement, de la couche ? Si ce n’est le fait de nous plonger dans notre réserve à voir : envelopper les yeux de la pelure du papier. Alors la surface éveille le fond. Henti Baviera nous confirme : « Depuis toujours, quelque chose m’attire, me fascine, au fond des replis énigmatiques de la Nature, comme si toutes les réponses aux questions posées y étaient cachées. Une sorte de rébus infini que je triture, examine, malaxe, sous toutes ses formes jusqu’à ré assembler ces morceaux dans la continuelle recherche d’un hypothétique déchiffrage de ses codes ».
D’où nous viennent les choses ?
D’un battement de paupière qui libère la lumière et la couleur dans ses infinies couches de désir pour laisser vibrer l’instant : celui du paysage. S’impose le rocher, la terre puis le ciel dans l’embrasure des surfaces. Tout monte du fond. Tout devient stable. Tout se détache et s’écarte en même temps. Pâte épaisse ou lisse, simple couche de papier ou impression, le regard s’installe dans le monde visible enivré de sa clarté. Cependant dans cet espace du construit jamais pris en défaut, seul le vertige peut troubler le regard et infliger une sorte de cri. (Patrick Rosiu, Vence, 2006)

Patrick Rosiu incarne cet humain-là, qui pense, qui fait, créateur au sens grec, c’est-à-dire « poète », infiniment…

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