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CHAPITRE 45 (part IV) : La performance dans les Alpes-Maritimes

Suite de la chronique de France Delville dédiée cette semaine à Jean Mas. Vous retrouverez la suite (et fin) demain...

La villa Arson a eu la bonne idée d’organiser une recherche concernant la performance sur la Côte d’Azur. Un texte de présentation dit que l’aventure « débute en 1951 et 1952 avec la présence des Lettristes au Festival de Cannes, avec notamment la projection en 1952 du film sans images et sans pellicule Tambours de Jugement Premier de François Dufrêne conçu comme une véritable performance collective. La recherche passe ensuite par les inventions formelles d’Yves Klein et d’Arman dès le milieu des années 1950, puis par le Nouveau Réalisme, Ben et son Théâtre Total et Fluxus, la présence de Georges Brecht et de Robert Filliou à La Cédille qui Sourit entre 1965 et 1968 ». La première exposition a eu lieu à la Galerie Carrée de juin à octobre 2011, l’acte II se jouera à la Galerie Carrée + Galeries du patio et des Cyprès du 29 juin au 7 octobre 2012, vernissage le 28 juin à 19h, sous l’intitulé de « A la vie délibérée ! »

On peut encore faire remonter les « gestes » à la promenade d’Yves Klein et Claude Pascal avenue de la Victoire avec leurs chemises à empreintes en 1951, et à Yves Klein (été 1955° s’installant sur la Promenade des Anglais avec un chevalet pour peindre un monochrome bleu en regardant le ciel. Et à la fondation, par François Fontan, au magasin de Ben, du Parti Nationaliste Occitan (1959), et, en 1960, à la signature, par Arman accompagné de Restany, de tous les barils descendus d’un cargo dans le port de Nice. Le coup de cymbale du happening sera évidemment l’arrivée de George Maciunas à Nice, en juillet 1963, à l’invitation de Ben qui organise le Festival mondial Fluxus et Art Total : Ben traverse le port de Nice à la nage, Robert Bozzi signe les messes, George Maciunas mange un aliment mystère à la terrasse du Provence etc. Jean Mas fait partie de la Troupe d’art total photographiée à l’Artistique.

Jean Mas avec Ben, Annie, Bernar Venet, Bozzi entre autres, photo prise dans « Performas » d’Alain Amiel
DR

Le livre d’Alain Amiel est un régal parce qu’il répertorie cinquante ans de Performas, mais aussi parce qu’il débute sur l’histoire de la performance : « Si on peut trouver dans la commedia dell’arte ou dans les mises en scène organisées par David à la Révolution quelques antécédents à l’histoire de la performance, c’est plus clairement dans les manifesta¬tions des Futuristes russes (poèmes action de Maïakovski) et surtout italiens qu’elle trouve ses sources.

Le désir de changer la société, de provocation, conjugué à la glorification de la vitesse, va inciter les futuristes italiens à un art action précurseur véritablement de ce qu’on nommera plus tard « happenings, events, actions spectacles, performances... ». Les « surprises » de Marinetti, comme par exemple Musica da toleta, en 1920, où deux interprètes jouent avec un plumeau sur un piano vertical... une « musique dépoussiérante », ou les « conférences boxées et dansées » d’Arthur Cravan n’ont rien à envier aux pièces dadaïstes ou Fluxus qui vont suivre. S’il faut absolument trouver un premier prototype : « Relâche » de Picabia, de 1924, s’impose : Duchamp nu posant comme pour une sculpture de Granach pendant qu’un acteur circulait en chaise à roulettes, qu’un autre déguisé en pompier reversait l’eau d’un seau à un autre, qu’une femme transportait en brouette des vêtements, etc., le tout sur une scène éclairée par 370 projecteurs dirigés vers le public... Pendant l’entracte de « Relâche », « Entracte », un film de René Clair où une danseuse barbue et un chasseur tyrolien font une course derrière un corbillard tiré par un chameau... »

Les dadaïstes et surréalistes vont s’y coller, ainsi que le Bauhaus, avec Oskar Schlemmer et son « Cabinet des figures ». En 1933 les artistes du Bauhaus vont exporter leurs idées en France, URSS, Etats-Unis, où John Cage va réinventer la musique à coups de bruits citadins, de silences… « Ses events intègrent l’indéterminé, la déconstruction, le hasard dans ses œuvres musicales ». Au Japon le groupe Gutaï recherche une fusion de l’esprit et de la matière, Shiraga nage dans un bain de boue ou peint avec les pieds. Et ce n’est pas loin, écrit Alain Amiel, de Pollock dansant sur son tableau en le peignant. A partir de 1950, « les Nouveaux réalistes, désirant abolir la distance entre l’art et la vie pour une nouvelle approche perceptive du réel, s’expriment dans des actions-spectacles où le corps et l’objet tiennent une grande place. Ainsi, Yves Klein, imprégné de cultures orientales, part à la recherche de l’infini, du bleu absolu, du vide ». Et donc Maciunas, inventeur du mot Fluxus (flux) est le principal organisateur du premier concert Fluxus (1961) dans sa galerie de New-York, et c’est lui que Ben fait venir à Nice en 1963. Et l’on en arrive à Jean Mas, sous le titre : « De la performance à la Performas » : « Jean Mas, ami de Ben et de Serge III est directement en prise avec le mouvement. Sans aucun passé de plasticien, il entre directement dans l’art par Fluxus. Présenté par Ben en 1963 avec un groupe de personnes sur la scène du théâtre de l’Artistique à Nice comme « œuvre d’art », il suivra de près, dès son retour du service militaire, les manifestations qui s’articulent autour du « tout possible ». Ses premières propositions sont la réalisation d’un igloo (1969) en compagnie de Ben, Annie, Serge III et un marin russe, et l’organisation d’une exposition d’œuvres extra-terrestres. Mais bientôt va venir… la Cage à Mouches :

Chez Malabar et Cunégonde (Ben) pour le centenaire de la naissance de Duchamp, avec Ben et Francis Parent, photo Frédéric Altmann
DR
Editions Ovadia, 2006
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« Ma c. à m. est un moins quelque chose qui en fait une œuvre d’art pleinement signifiante, une fondation sur laquelle s’édifient les petits plus qui sont : les Ombres, les Peu ... D’une certaine façon, la cage à mouches est une sculpture d’architecture pour un habitat de l’esprit, un référent ultime. La fonction idéalisante de mon objet princeps et considérons le comme témoin qui, par sa matérielle présence, vise à indiquer sa place, son rôle : permettre de mesurer une faille, une dis¬tance. Le témoin n’est pas un regardeur, il voit mais ne regarde pas ».

Et qu’est-ce qu’une « performas » ?

« Disons que c’est un raccourci pour me mettre directement en « scène ». L’intitulé comporte mon nom, il est l’expression immédiate, incarnée de ce que je présente. Une contraction qui individualise ce que je fais, je dis, je propose. On peut aussi entendre : Père fort… Mes performas pose un cadre artistique auto-référentiel qui les légitime comme œuvre d’art me produisant et engendrant de l’intérêt pour le spectateur, disons que c’est le tableau (moi) qui crée le regardeur.
Dans mon art d’attitude, ma mythologie, la performas est la mise en œuvre de l’absence de mouche, puisque je dis que le discours a remplacé l’insecte. Traces d’une absence, à jamais orphelins de l’être : le verbe, l’acte, parodient, épuisent, redoublent la fuite du signifié, pour, sur le versant du signe, gaver des yeux avides (à vide) d’une forme, d’un style qui se jouent au mieux du défaut d’un contenu, celui qu’un insecte métonymise !
Ainsi, prendre la mouche se justifierait d’une exigence qui dans la forme chercherait le fond d’une raison qui se déroberait sans cesse. Cocher la mouche, c’est ce qui soutient l’équipage dans mes performas, une présence qui ne se voit pas, mais qui se pose et dispose de toute la latitude de la flottaison. Ainsi maître du jeu je puis avancer ! En bref une performas c’est une performance de Jean mas, une signature.

« Cinquante ans de l’Ecole de Nice » au Musée Rétif, œuvres de Jean Mas au milieu et à gauche, Photo Musée Rétif
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La crèche de l’Ecole de Nice part en fumée
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Alexandre de la Salle dissout l’Ecole de Nice en compagnie de Jean-Pierre Mirouze, cinéaste qui a filmé Arman, César, Klein, Raysse, Ben, Gilli etc. dans les années 60
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Une performas pour dire quoi ?

Pour rompre l’inattention portée au spectacle du monde, pour dire que le style c’est l’homme, mais dans le cadran solaire, l’homme comme le rêve d’une ombre. Etre un peu à côté, décalé, c’est manier la subversion que nous per¬met le langage, offrir le plaisir de se perdre dans une pensée qui place un instant votre existence dans le lieu de la performance.
Le mot n’est il pas le prolongement du corps ? Il nous touche, nous marque. Certaines de mes interventions peuvent se limiter à susciter une écoute.
Parler, cela peut suffire puisque « par les » mots, des choses se pro¬duisent. Le seul fait d’une prise de parole constitue pour moi une ac¬tion. Ma constante c’est quand même le corpus psychanalytique comme matière d’effets, des faits et d’habits dont je me saisis pour m’assurer d’une place que d’aucuns ne pourraient me ravir car étant moi même ravisseur de discours.
Se faire « en tendre » c’est pour une « mort sûre » s’assurer d’être dans une parole et dévoré des yeux. Ainsi, lorsqu’ils m’écoutent avec leurs yeux, le sens esthétique de ma performance se réalise et prend corps. A ce stade je déclare bien fort « à terminer » : à terme, il naît, et je clôture par une tombola pour bien marquer mon inscription dans la vie : « La tombe, holà !! ».
Mais souvent, tout est plus simple, un mot suffit, voire une lettre. Bref !

Comment tu te situes dans l’histoire de la performance ?

Je brasse assez large, Jean brasse ! Mais je ne suis pas le mieux placé pour me situer, j’ai commencé avec des gestes simples (évé¬nements), Fluxus (la vie), Brecht, Filliou, Ben, Pinoncelli, Serge III... que j’ai côtoyés, fréquentés.
Je tiens à la notion de divertissement intellectualisé surtout dans la formule : « l’art c’est la vie », au rejet du théâtre mais pas à sa théâ¬tralisation, au caractère unique de la monstration, de l’acte unique, pas de la répétition. Mes lieux d’interventions sont nombreux et le nombre de spectateurs ou de participants est très varié : galerie d’art, conférence, entreprise, rue, village, faculté. (extrait)

A suivre...

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