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CHRONIQUE 39 : La culture à Nice au temps de l’Ecole de Nice (2)

Résumé des chroniques précédentes
Une question revient très souvent : comment l’Ecole de Nice -une telle Ecole d’Art contemporain- a pu émerger à Nice ?... Sous-entendu « dans ce désert culturel » ! La Chronique précédente fut l’occasion de démontrer que depuis la Belle Epoque, Nice a toujours tenu une place particulière dans la culture française, de part les aristocrates et les artistes qui y ont séjourné.

L’Ecole de Nice n’est pas le tout de l’art contemporain à Nice, de cette époque. Dans ces années 60 à 90, en lien, parallèlement ou séparément à l’Ecole de Nice, ont travaillé nombre d’autres artistes. Certains n’ont fait que passer ou n’ont eu que des liens temporels, comme Biga, Bizos, Cartier, France, Goa, Lacheze, Kaviak, Kalam, Tréal, Vernassa, Wurz. Parmi eux, il en est qui sont partis puis revenus.

Max Cartier dans son atelier, 1995.
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D’autres, trop jeunes, ont seulement commencé un travail à cette époque comme Guy Champailler. Totalement inclassable et provocateur par ses débauches d’idées, il s’est d’abord dirigé vers un art inqualifiable, sorte d’art brut qu’il développe dans une production d’œuvres très diverses : Sens interdit, Bouteille d’eau nucléaire, tableaux et sculptures informatique, etc.. Des éléments sont proposés lors d’une exposition à la Galerie M et M (1988) intitulée « Zone d’intenses activités ».

Guy Champallier, autoportrait.
DR

Il déploie ensuite une surface support qui va déboucher sur de nombreuses sculptures horizontales « aussi vastes que larges » (Galerie Z’Editions, 1990) dont il décline les Ombres. Convoquant de multiples éléments, l’espace est revisité à travers des équivalences de matières. Ce travail est alors décrit dans un livre remarquable L’art processsif (1997) qui oeuvre sur le concept d’horizontalité, aujourd’hui popularisé avec succès par le journaliste américain Thomas L. Friedman. Son projet est de proposer des œuvres utilisant les matériaux de l’époque pour induirent ce que ne peut faire ni la science, ni les technologies, les valeurs de l’époque.

Guy Champallier, Art processif, 1982
Photo : Séverine Giordan

« Je suis entièrement responsable de ma situation et je n’ai pas eu le courage de me suicider, je suis ce que je suis et je n’ai pas pu faire autrement. D’une certaine manière je suis autiste, ce n’est pas une manière de me dédouaner d’une lucidité qui me ferait défaut. Je vois le monde qui m’entoure parfaitement transparent dans ce qu’il est comme dans son organisation, cette perception n’est cependant pas continue, elle reste pendant des jours entiers hors d’atteinte, impossible de parvenir à quoi que ce soit d’intelligible, noyée dans une stupeur trouble, j’attends que le temps s’éclaircisse, redevienne praticable. Ainsi j’ai pris l’habitude autour de l’atelier, de laisser dans des récipients pourrir de l’eau, des liquides divers, des sortes de soupes assez repoussantes. Mais au bout de quelques mois, je suis toujours surpris de constater que des micro-organismes ont fait leur apparition et que les liquides sont devenus presque appétissants, translucides. Je sais que je suis une soupe, il suffit d’attendre. »
Guy Champallier

Enfin des femmes…

C’est également l’époque où Elisabeth Mercier, Elisabeth Collet, Jacquie Gainon, Béatrice Heyligers, Michou Strauch, Michèle Brondelo font leurs premières expositions. La misogynie chronique et maladive des premiers artistes est enfin balayée par l’apport de Mai 68 et la montée du féminisme. Malheureusement, elles furent tenues hors de la mouvance .

Jacqueline Gainon, sans titre, 1984
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De même, a existé un regroupement très actif, de créatifs dans une approche différente et complémentaire de l’art, autour de la Ratapinhata nova et de Janluc Sauvaigo. Ce fut tout à la fois une avant-garde artistique très indépendante, dans tous les sens du terme ; certains militèrent même pour la « sécession » du Comté de Nice. Elle comprenait des musiciens, des poètes, des dessinateurs de BD et des humoristes...

Ratapinhata-nova la chauve-sourir, symbole du groupe.
DR

Ce groupe a fait revivre le pilou en tant que sport et art niçois, en organisant les premières rencontres avec des artistes de l’Ecole -Ben, Jean Mas,..- Alain Amiel, l’éditeur et Benoit Bunico, à Art-Jonction, la foire d’Art contemporain de Nice (1988). A sa suite, fut organisé à Coaraze le premier « championnat du monde » en 1989 .

Peu connu du grand public français, Jànluc Sauvaigo, né en 1950, est un artiste incontournable en matière de créativité à Nice. Auteur compositeur interprète, il crée en 1972 le groupe de rock alternatif Ontàrio banda. Il a écrit nombre de chansons pour de nombreux artistes de la scène occitane et a participé à une trentaine d’albums.
Aquarelliste, nouvelliste et poète, proche de la Beat Génération, il a publié une dizaine de recueils de poèmes en occitan. Depuis plus de 30 ans, il construit une oeuvre dense et variée dont la modernité a influencé largement la création contemporaine.

Jànluc Sauvaigo, Cours Saleya, aquarelle, 1988
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Jànluc Sauvaigo, Affiche du film Going back to Nissa de Pasuello et Sauvaigo, 1996
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Enfin, la Villa Arson, institution nationale dédiée à l’art contemporain, créée en 1970, sous l’égide du Ministère de la Culture, est dès l’origine conçue comme un établissement artistique d’un type nouveau ouvert aux échanges internationaux, réunissant une école d’art, un centre d’expositions et des résidences d’artistes. Nombre de jeunes créateurs vont alors émerger, à commencer par Patrick Moya qui dès 1974 se fait remarquer par son projet utopique d’émissions de télévision et ses performances video. Bien d’autres suivront.

Patrick Moya
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La Poésie

La poésie, bien que toujours discrète, a toujours tenu une place considérable à Nice depuis le Club des jeunes, ce lieu de rencontre pour la première génération d’artistes de l’Ecole de Nice (voir Chronique 4). « Lieux de perpétuelles métamorphoses, de fêtes et de révoltes, de passage autant que d’enracinement », Nice avec ses « sites privilégiés de l’inconnu, du vertige, du côtoiement, des contraires », a toujours été une des matières premières de l’imaginaire poétique.
Après Robert Rovini, Paul Mari, René de Cugis et Jacques Lepage, qui ont animé ce club et favorisé l’émergence en parallèle de l’Ecole de Nice, on trouve sur la frontière poésie et art les noms de plus jeunes, comme Daniel Biga, Alain Freixe, Raphaël Monticelli, Cathy Rémy, Christian Arthaud, Claude Ber, Maryline Desbiolles , Le Pillouer, Joëlle Basso, Olympia Alberti, Alain Freixe, Joseph Mouton ou encore le poète photographe Jerôme Bonnetto et le poète plasticien Gilbert Casula.

Il y a toujours le reflux qui emporte le cœur
à l’autre bout de la terre,
là, où il n’y a plus de voix à aimer
là, où il n’y a plus d’amis à attendre.

Il demeure ce long chemin de terre battue
qui s’enfonce dans la nuit
où l’on perd pied, où l’on perd souffle

Il demeure la faiblesse à la main droite
et sur cette fleur donnée
comme le serment pour vaincre la peur
qui tenaille la vie
Il demeure le croisement de la lame nue
ce bras qui allonge l’adieu sur cette boule
de nerfs à vaincre
il demeure que rien n’est jamais dit tout à fait

Il y a toujours la fuite de l’émotion
comme celle de l’oiseau blessée
la charge de sang qui vous ploie
comme celle de l’alcool titube

Il y a toujours le reflux qui emporte le cœur
à l’autre bout de la terre
là où il n’y a plus de voix pour crier.
Paul Mari, Extrait In Le parcours du piéton » (José Millas Martin Editeur)
Prix François VILLON, 1964

Sur un plan local, Alain Péglion dit Alan Pelhon tient une place considérable. Né en 1946 à Coaraze, il fut tour à tour troubadour, conteur et auteur de poésie et de spectacle en niçois. On lui doit une œuvre considérable, malheureusement connue seulement dans les milieux de l’Occitanie, notamment Vi devi parlar (il faut que je vous parle, réédité en 2004 avec un CD).

Alan Pelhon, Vi devi parlar
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Alan Pelhon, accompagné de Mauris, à la MJC Gambetta
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L’écriture en prose

Nice fut également un lieu de vie ou de création pour nombre d’écrivains, devenus des noms prestigieux comme Le Clézio, Michel Butor, Max Gallo, Louis Nucera ou moins connu comme… Benoit Bunico . Dans leur domaine, chacun est à l’origine d’une nouveauté.
Jean-Marie Gustave Le Clézio, né à Nice en 1940. Sa réputation est définitivement assurée par premier ouvrage Le procès-verbal en 1963, avec l’attribution du prix Théophraste Renaudot. Depuis, il a publié plus de trente livres : romans, essais, nouvelles, deux traductions de mythologie indienne, ainsi que d’innombrables préfaces et articles et quelques contributions à des ouvrages collectifs. En 1980, Le Clézio fut le premier à recevoir le prix Paul Morand, pour la totalité de son oeuvre, et notamment Désert (1980). Sa réfutation de la société culmine au seuil des années 70 avec ses romans Terra Amata (1967), Le livre des fuites (1969), La guerre (1970) et Les géants (1973). En même temps que ces romans ont paru des essais comme L’extase matérielle (1967), Mydriase (1973) et Haï (1971) .

Jean-Marie Gustave Le Clézio, années 70
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Bien que né à Lille, Michel Butor est toujours resté très attaché à Nice où à plusieurs reprises il a enseigné. Fortement influencé par James Joyce et John dos Passos, mais aussi par Kafka et la peinture abstraite, il entreprend la conquête d’une « poétique du roman ». Son roman, La Modification reçoit le prix Théophraste-Renaudot en 1957 et consacre le « nouveau roman » qui réunit entre autres Alain Robbe-Grillet, Marguerite Duras et Nathalie Sarraute. Citons encore comme livres marquants de cette époque L’Emploi du temps (1956) et Degrés (1960).
« Faire de la peinture, ou de la littérature, ce serait donc bien apprendre à mourir, trouver le moyen de ne pas mourir dans la sottise de cette mort que les autres avaient en réserve pour nous et qui ne nous convient nullement. »
Michel Butor, Répertoire V, 1982

Michel Butor (en 1992), assis à gauche, à la galerie Z’Editions (Alain Amiel à gauche), Marcel Alocco, Henri Maccheroni debout au milieu
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Fils d’immigrés italiens, Max Gallo est né à Nice le 7 janvier 1932. Après des études de mécanicien-ajusteur et avoir travaillé pour l’ancienne ORTF, il a grimpé les étapes universitaires jusqu’à devenir professeur agrégé au lycée Masséna, à la faculté des lettres de Nice, et ensuite écrivain et un homme politique. Cet auteur s’est fait connaître avec une fresque romanesque en trois épisodes sur les piémontais arrivant à Nice : La baie des anges (1975), Le palais des fêtes (1976), La promenade des Anglais (1976).
Depuis, il a publié un nombre impressionnant d’œuvres, souvent à fort tirage. Il excelle dans un style littéraire qu’il appelle des « romans-Histoire » ; il travaille avec des ressources historiques et compléte son écriture de façon romanesque en y ajoutant son expérience et ses sentiments.

Max Gallo, Baie des Anges, couverture, 1976
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Né à Nice le 17 juillet 1928, Louis Nucera fut successivement "téléphoniste" dans une banque, puis journaliste au journal communiste le Patriote, avant de devenir auteur. Dans ses romans L’Ami (1974) ; Avenue des Diables-Bleus, (1979), celui qui le fit connaître ; Chemin de la Lanterne (1981) ; Le Kiosque à musique (1984) ; La Chanson de Maria (1989) ; Le Ruban rouge (1991), il dépeint avec délicatesse le « petit peuple » de sa ville, les petites gens dont il sentait « l’héritier ».

Louis Nucera, Avenue des Diables-bleus, 1979
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Benoit Bunico 3, également niçois de naissance, reste lui un créateur très énigmatique. A côté d’un tableau et de quelques objets transformés présentés au Musée de Neuchâtel , on connaît de lui nombre de pamphlets et surtout une pièce de théâtre inédite, Le merveilleux dans sa banalité. Ce texte dont la date de publication reste inconnue fut publié dans un livre pastiche des Editions de la Bourdevole. Accompagné d’une multitude de documents dès plus originaux sur le vivant et le corps humain, les données rassemblées font aujourd’hui autorité dans le domaine scientifique.

Benoit Bunico 3, Surface/support, 1972, (collection particulière, Photo E. Pistémo) Benoit Bunico 3, Le merveilleux dans sa banalité (date inconnue)
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Benoit Bunico 3, Surfacesupport, 1972, (collection particulière, Photo E. Pistémo)
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On pourrait citer encore : Michel Grisoli, à la fois romancier, scénariste, journaliste, critique littéraire et parolier ; Raoul Mille arrivé à l’âge de seize ans dans le pays niçois qu’il ne quittera plus, pas plus que dans ses oeuvres. Romancier, journaliste à Nice Matin, chroniqueur radio, il a fourni une oeuvre littéraire couronnée par de nombreux prix (Les Amants du paradis, prix Interallié 1987, Le paradis des tempêtes prix Baie-des-Anges 1997).

Et ce n’est pas tout… Nice dans les années soixante à quatre vingt dix, ce fut encore le théâtre, la musique, l’opéra et les sciences et les techniques où nombres d’innovations sont nées à Nice à la fin du siècle dernier, sans que la Ville et la presse locale n’aient su les valoriser.

Suite à la prochaine Chronique

Max Charvolen, Formalisation et envers, 1969, Tissu trempé dans peinture, découpé. 320 x 120 cm (voir Chronique 37)
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Pour information
Samedis 5 et 26 novembre à 11h

En mai 2011, Max Charvolen a réalisé la première phase de l’œuvre monumentale "Escaliers, murs, sol / Hall du musée Fernand Léger, phase 1 recouvrement avant mise à plat, 2011" dans le cadre de l’exposition La Peinture autrement. Le 5 novembre, il procèdera à la seconde phase (découpe et arrachage) puis présentera l’œuvre au mur de la salle 1 lors de la troisième phase le 26 novembre.

Max Charvolen, Escaliers, murs, sol / Hall du musée Fernand Léger, phase 1 recouvrement avant mise à plat, 2011
DR

Cette exposition publique s’accompagnera d’un échange entre l’artiste, Raphaël Monticelli, critique d’art, Maurice Fréchuret, directeur des musées nationaux des Alpes-maritimes, et Diana Gay, conservatrice du musée Fernand Léger. L’œuvre restera visible jusqu’au 2 janvier 2012. ?
Durant l’exposition sera diffusé le film réalisé par Pascal Mournard afin de conserver la mémoire de cette œuvre in situ et les trois étapes de son évolution (mai 2011-janvier 2012).

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