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CHAPITRE 41 (part III) : L’Hommage à Bruno Mendonça

La chronique devient saga... France Delville rend hommage à un grand artiste et ami disparu il y a peu, Bruno Mendonça.

L’Hommage à Bruno Mendonça (Auditorium du MAMAC, samedi 4 février 2012) organisé par l’Association des Amis du MAMAC (secrétaire général : Patrick Boussu) a été un grand moment, qui pourrait faire l’objet d’une publication, tant le nouage des textes, documents, performances, témoignages, émotions, a été fort. Le clip-témoin de 8 minutes qui accompagne ce chapitre n’en est qu’une brève succession de bribes, mais le film dont il est extrait, d’une heure, restera comme le témoignage de la qualité de l’amitié qu’un certain nombre de personnes ont porté – continueront de porter – à Bruno Mendonça en tant qu’homme, en tant que poète, en tant qu’artiste inclassable, et magique.

« Jacques Lacan s’est mis nerfs » (2006) Exposition « Beau comme un symptôme », CIAC
© DR

Ce moment fut bouleversant parce que ceux qui donnaient d’eux-mêmes, payaient de leur personne, étaient eux-mêmes des artistes délicats, habités, talentueux, et que cette longue performance prend légitimement sa place dans l’Histoire de l’Art – niçoise - comme le firent les concerts Fluxus. Quelques performers eurent à cœur de célébrer le genre qu’ils partagent avec Bruno, sur fond de projections - le film de Muriel Anssens dont j’ai déjà donné des extraits (« Livres des bords ») - et un diaporama de Patrick Boussu qui présentifiait quantités de moments de la vie et de l’art de Bruno, et servait de décor mobile aux interventions des uns et des autres. En la personne de Frédérik Brandi, le Monsieur Loyal de la manifestation, le CIAC était représenté, qui fit en 2002, avec Frédéric Altmann, une grande exposition Mendonça, et ce fut Patrick Boussu qui commença par une chronologie nécessaire, de la vie de Bruno. Une biographie « ressentie », dit-il…

Olympia Alberti vint ensuite lire un très beau texte d’elle ayant pour titre : « Le lutin (en apnée d’éternité). Le voici : « Il jouait avec les signes. Propulsé à huit ans dans la bibliothèque d’un grand père à la majesté de culture étincelante, il ouvre son œil rieur et découvre des signes, chinois, russes, sanskrits, arabes tout y est, le monde s’ouvre, se fracture (bibliothèques fractales) en bandes de signes, qui n’ont pas de sens, pas encore, jamais peut être, tant de langues pour dire l’amour et la guerre, la paix et l’ennui, la création et sa fête, le malheur de ne pas comprendre, et la joie d’aimer, sans limites, la joie d’aimer cette danse, cette explosion, ce délire à saisir le monde et la vie.. C’est décidé, il n’en sait rien encore, c’est dedans que ça se goupille, ces accords là, d’une musique secrète, c’est décidé, dans son âme, il sera faiseur de signes (Rilke ne dit-il pas « poètes ? faiseurs de signes, rien de plus ») , oui, faiseur de signes, rien de moins, sérieux dans ses facéties, amusé face aux drames des difficultés à gravir, multiple acrobate, danseur d’enfouissement, de grottes, de nuit et de mer aux vagues roulant des livres, fêteur de jeux, jongleur de lumières. Tu es parti trop tôt, mien ami, bien trop tôt – mais tu aimais être devant, pionnier, chercheur, révélateur de pistes, éclaireur éclaireur pour des fêtes d’ailleurs, des parties d’échecs à bâtir, des royaumes à ouvrir, des accomplissement, à parfaire. On m’aurait dit que les pages que je prévoyais pour ton livre, ce printemps, le les écrirais à l’imparfait, tu vois parce tu vois, c’est sûr, de ton regard clair - que tu nous manques – j’aurais pensé « c’est quoi cette farce... », certes, la dernière que tu nous fais, terrible comme l’Ange est terrible dit le Poète. Mais tu ris, encore, déjà, toujours, pris par la Vie majuscule qui continue, bien sûr. Mais tu es tellement absent, pour nous, ici, soudain. Merci d’avoir été mon ami, mon complice, et d’être pour toujours notre lutin en apnée d’éternité ».

Katy Rémi vint ensuite, avec ce magnifique « Tombeau pour Bruno Mendonça » :
« Sur sa peau il écrivait, voyant il braillait ses œuvres en vue d’une cécité future, il digérait les ombres noires et blanches de ses radiographies, il savait tout de lui, il avait essayé ses douleurs, elles lui incombaient accidentellement pour qu’il les autorise par la pratique d’un art total. Ses bibliothèques avaient l’ampleur d’un continent, elles bravaient la lave des volcans, se confrontaient aux parois de marbre, il y associait des alphabets, des territoires, des cartes, plus rarement des visages au crayon, il y cachait ses propres livres, boîtes comblées de secrets (passions et souffrances), il les dressait et parfois les offrait comme un igloo salvateur
Mendonça le mentaliste, l’homme des blitz. Il n’écoute pas son corps, il le commande. Il s’enferme, se fait ligoter, se plombe, le corps contraint, martyrisé, tente une résistance en s’alliant aux éléments, à la machine qui soudain le trahit et le blesse. De sa sagesse il fait une révolte et de sa révolte une puissance dont il se sert pour surgir plus ambitieux,
pour se rapprocher de l’excellence, pour relever de nouvelles gageures. Il nie la peur, il nie l’impossible, il nie la prudence, il nie tout ce qui n’est pas défi et il nous défie de le suivre. Ni boomerang ni palindrome, nous n’allons qu’en un seul sens, seule la percussion d’un ciel, d’un océan peut produire un écho à ce que nous fûmes.

Daniel Farioli vint évoquer la fameuse grotte, la grotte mythique, la niche enterrée dans laquelle Bruno se fit descendre, à Saint-Jeannet, il y a longtemps – sorte de mythe fondateur de la Planète Mendonça - et l’histoire s’est racontée, de bouche à oreille, et Daniel décida d’aller en demander compte à Bruno : « As-tu eu peur, qu’est-ce que c’est que cette histoire de peur que rapporte la vox populi, le diabète etc. », et Daniel fit entendre au micro la voix de Bruno, sa réponse. Après quoi il mangea, peinte en noir, endeuillée, une banane, en mémoire de leurs rencontres saluées par des « … eh… banane ! » Les bribes de conversations avec Bruno s’enroulaient tout naturellement autour de nos neurones, en des signes cabalistiques spécifiques à chacun.

Toile immergée dans le lac de Saint-Auban en 1977
© DR

C’est au « Frère de Peter Pan et d’Alice » que Sophie Braganti a envoyé sa belle lettre……
Il est resté dans les bras de l’enfance et à son sourire nous sommes accrochés comme à la branche la plus tendre. On s’était « habitué » à se faire servir le thé dans une cérémonie performance, à se faire nouer ses lacets, à grincer avec des sons de l’autre monde, à grimper sur l’improbable. On était suspendu à ses facéties et à des promesses toutes aussi Fluxus las unes que les autres. Il tenait toujours ses promesses. On se demandait ce qu’il allait nous demander et lori attendait de voir, d’assister au spectacle de cette énergie irradiante, du cadeau de sa force jusqu’à l’assèchement. Derrière son sourire sous la sueur et la pâleur, il préparait une farce à laquelle notre complicité allait s’acoquiner. Sa soif d’amis artistes et poètes, soif des autres, des amis des artistes et des poètes in(dés)altérable fait de nous une onde de choc rassemblée. Qui ne l’a pas vu sauter de l’un à l’autre sans jamais s’épuiser. Nous étions tous des pions qu’il faisait avancer avec lui. En sourdine. Disons que de ses gouffres, de ses fissures, de ses sutures et de ses fractures, de ses déchirements et de ses colmatages encore, il a fait un jeu de piste dans lequel chacun avec lui relevait un défi. Des échecs il puisait l’arme de construction massive. Quand il tombe, il joue encore. Dans la mémoire il se dresse, Le fragile géant. Le gentil blouson noir sur son cheval fou. Un personnage. Qui conjugue tomber avec se relever. Dans une bande qui dessine de vastes routes. Fourmilières. Voilà enfin comment il a encore déjoué les frontières. Dans l’éternité. Je l’ai vu en rêve une fois. Sur une plage. Il souriait et montrait ses trésors. Le masque blanc de son visage s’effaçait sous le soleil du sourire. Des laisses de mer sur les galets. A gogo. Regarde, disait il. L’œil riait. Je ne savais pas où regarder. Il y avait tant. De quoi faire. De quoi se perdre. Dans l’atelier-monde.

Bruno Mendonça en 1990
© DR

Mais elle a cité aussi le début du texte de Pierre Tilman « le chantier mental de Bruno Mendonça » : « Bruno mendonça fait partie de ces créateurs qu’on ne sait trop comment nommer… au rayon des étiquettes langagières, il y a comme un trou, un flou… (Catalogue du Musée de Gap)

Vous retrouverez lundi 13 février la suite de cet hommage à Bruno Mendonça.

Cliquez ici pour lire la première partie de cet hommage à Bruno Mendonça

Cliquez ici pour lire la deuxième partie de cet hommage à Bruno Mendonça

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