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CHAPITRE 66 (PART I) : Jean Brandy « Aux lumières de l’Olympe »

Aux lumières de l’Olympe

L’exposition des œuvres de Jean Brandy, « Aux lumières de l’Olympe », à l’Espace Muséal du Château-Mairie de Tourrettes, a ceci de passionnant qu’elle s’inscrit dans une histoire très particulière, autour du 50e anniversaire de la mort de Francis Poulenc, ami de Jean Cocteau, lui-même ami de Jean Brandy, avec ceci de supplémentaire que l’un des fils de Jean Brandy, Frédérik Brandi, directeur du CIAC (Centre International d’Art Contemporain de Carros), grand connaisseur des arts plastiques, est aussi musicien et musicologue. Cet événement nous jette à un carrefour peu magique, comme l’a très bien souligné Madame Evelyne Dubosq, adjointe à la culture. Francis Poulenc a vécu à Tourrettes à la fin des années 50, amené dans la région par son ami Cocteau. Gageons que nous en apprendrons beaucoup sur le sujet le 19 octobre prochain à 16h30, lorsque Frédérik Brandy interviendra sur le thème « Mythologie et musique française », musiques à l’appui.
Jean Brandy, né Jean Dominique Brandi, rencontrera Jean Cocteau à la même époque, à l’âge de 23 ans, époque où il participe à la création du Groupe des Peintres de vingt ans, obtient le Prix de la Biennale de Menton à l’exposition de l’U.M.A.M, expose Galerie Longchamp, à Nice, en compagnie de Chubac, Gilli, Raysse. Et aussi Galerie Sous Bari à Saint-Paul, avec entre autres Bépoix, Chubac, Ischy… et à Beaulieu sur Mer, avec Abello. Jean Dominique était né le 15 novembre à Bourg-¬en Bresse (Ain), et ses parents s’étaient installés peu après dans le sud de la France. Entre 1951 et 1956, il avait été élève de l’Ecole des Arts Décoratifs de Nice, dans l’Atelier de François Bret, et choisi « Brandy » comme nom d’artiste.

Couverture du catalogue de l’exposition « Mythologie » au Château de Tourrettes-sur-Loup (2013)

Jean Brandy et Jean Cocteau

A partir de 1956 Jean Brandy participe régulièrement au Salon de la Jeune Peinture Méditerranéenne, et ses expositions se succèdent, en 1959, Galerie d’Egmont à Bruxelles (avec Raysse, Richard et Roualdès), à la Boutique d’Art du Négresco (Nice), au Salon des Tuileries, l’Etat français lui achète une œuvre, entre 1960 et 1962, il reçoit la médaille de la Jeune Peinture Méditerranéenne, en service militaire à Salon de Provence, il découvre la Camargue, le musée de l’Ain lui achète un dessin, après un autre Salon des Tuileries, il expose à la chapelle Jean Cocteau à Villefranche sur Mer. C’est aussi le début d’une collaboration avec André Benedetto, Jean Brandy illustre des poèmes et fait des décors de théâtre pour la Nouvelle Compagnie d’Avignon. Il entre donc ainsi dans la grande famille des peintres qui auront joint leurs talents à ceux des poètes, hommes de théâtre et musiciens, Jean Cocteau étant lui-même peintre, dessinateur, céramiste, poète et auteur dramatique…
Et l’actuelle exposition de Tourrettes, comme en mémoire, pointe ce genre de synchronisme en montrant de manière conjointe les œuvres mythologiques de Jean Brandy et les poèmes que le philosophe-poète Yves Séméria écrivit en dialogue avec lui, même si ce n’était pas celui des carmélites !
En 1963, retour d’un voyage en Flandre, Jean Brandy reçoit le Prix du Press Club de la Côte d’Azur à l’exposition de l’U.M.A.M, et expose, entre autres, à la chapelle Saint Pierre de Villefranche sur Mer en compagnie d’Abello. Il s’installe à Nice, devient professeur d’arts plastiques dans plusieurs établissements de Nice et d’Aix en¬-Provence, tombe amoureux de Saint Auban où, beaucoup plus tard, le 16 août 1987 sera inaugurée, dans l’église paroissiale du XVIe siècle, son extraordinaire Chemin de Croix en quatorze tableaux, qui réussit l’exploit de suinter à la fois le tragique et la lumière, au bord de la Résurrection. En 1964, Jean Brandy se marie en secondes noces avec Maryse Marchetti, fait un voyage initiatique au cœur de la Castagniccia en Corse. En 1965 naît son fils Renaud.
En 1966 Jean Brandy commence à utiliser le sable, son vocabulaire se précise, ses notes d’atelier sont très évocatrices, dont : « L’art fixe l’éternité mouvante dans sa forme momentanée ».
Des « Nautiles » sont donc exposés à la Galerie Olivia Manvieux de Villefranche¬sur Mer et au Plaza de Nice, avec des textes de A. Benedetto et M. Sauvage.
L’œuvre s’ajuste, et ses répercussions, mais avant de la voir se déployer, revenons un instant sur un très beau témoignage de Martial Raysse en novembre 1956 :

Couverture du catalogue de l’exposition « Mémoires de sable » au CIAC (2000)

Martial Raysse sur Jean Brandy

En 1957 les anges servent à la D.C.A... Mais il est encore des regards pour les¬quels l’existence est un poème jaillissant. Vous allez connaître Jean Dominique Brandy... les mimosas dressés en l’amour des collines de jade pourraient-vous conter sa véritable histoire, je ne sais que la saveur jalouse de ses routes d’espoir. Franchi le portique du cadre, la Vie est Autre c’est une atmosphère nouvelle de vérités en crève-cœur, de couleurs tendues comme des libertés, de délicatesses viriles... et par-dessus tout un je ne sais quoi dans un silence d’églantine pour un recueillement feutré de colombes.
Racine de ciel et terre... Notre pureté est dans la loi de ses rythmes.

Jean Brandy avec Jean Cocteau et Martial Raysse

Et celui de Marcel Sauvage, en 1967 :

Dans l’ordre de la recherche esthétique et de la qualité foncière, il est agréable et réconfortant de voir un peintre qui possédait un métier facile, plaisant, rentable en conséquences renverser ; si je puis dire, la vapeur pour se livrer, à ses risques et périls, d’essai en essai, à une rénovation quasi totale de son art. Tel est le cas, pour le moment, de Brandy, qui allie à une maîtrise ancienne, un courage nouveau. Soudain, Brandy, inquiet et curieux, nous propose des motifs graphiques, pêchés c’est le mot hors tout conformisme figuratif ou abstrait : les « nautiles » (classe des céphalopodes, qui habitent, en principe, les mers chaudes ... ). A l’intérieur des vieilles coquilles de ces nautiles, il y a encore et toujours une musique vivante, de même qu’à l’extérieur de leur pétrification, selon des moules éton¬nants, aux multiples spires et spirales, s’impose un esprit profond des formes au delà des siècles et des millénaires. Brandy voit juste. D’autant plus qu’à cet esprit de formes originelles Brandy s’efforce d’adjoindre, pour le concrétiser, s’y adapter, une synthèse hardie de différentes matières picturales qui échappent aux tubes conventionnels de couleur, donnant ainsi, par exemple, un rôle majeur à des agglomérés de sable aux grains divers.
Camille Arambourg, professeur au Muséum d’histoire naturelle, écrivait très justement à cet égard : « Les trouvailles artistiques ne s’additionnent pas, celles des techniques s’additionnent sans fin. » Voilà précisément, qui est à l’honneur et à la gloire d’un Dubuffet, comme de ceux, dont est Brandy, qui s’efforcent d’exalter de nouvelles données élémentaires. Brandy est un peintre honnêtement dégagé, libre, singulièrement attirant, attrayant. Son talent, de part et d’autre de la ligne de partage des tendances contemporaines, mérite la plus vive attention ». (Marcel Sauvage, 1967)

Jean Brandy dans son atelier

En 1969 naît l’autre fils de Jean et Maryse : Frédérik. Et les deux années suivantes ce sont des expositions à la galerie des Ponchettes (Nice), avec Baviera, Marzé, Troin, et à Beaulieu sur Mer avec Bauzil, Gaudet ... En 1973, Jean Brandy s’installe dans un nouvel atelier, avenue de la Floride à Nice, il y restera jusqu’en 1979. Et c’est le début du travail sur la céramique, qu’avec des peintures il expose en 1975 1976 à la Galerie Montauti (Nice). Et la Mythologie surgit, dans cette fameuse collaboration avec Yves Séméria.
En 1979 Jean Brandy ouvre une Galerie Atelier avenue Sainte Marguerite à Nice, tout en exposant régulièrement au New Bar de l’hôtel Atlantic à Nice. Début des années 80 : expositions à la Banque de Paris et des Pays Bas, et à la BNP de Nice, illustration de plusieurs ouvrages du Docteur Jacques Fossard, séjours en Toscane, réalisations pour des bâtiments publics à Nice : façade de l’école de la Madeleine, Chambre des Notaires, Caisse d’Allocations Familiales de Fabron, jardin public de la Villa Thiole. Les années 1986-87 sont consacrées à la réalisation du Chemin de Croix de l’église de Saint Auban. En fin d’année, alors qu’il se sait déjà malade, Jean Brandy quitte Nice pour s’établir définitivement à Carros. En 1995, il fera ses adieux au monde dont il a si bien montré l’énergie vitale, et c’est peu de temps après (en 2000) que Frédéric Altmann, directeur du CIAC, lui organisera « Mémoires de sable », sublime exposition. La préface de Frédéric, intitulée « Pour l’art et la mémoire », témoigne de son émotion :
L’histoire de l’art est impitoyable pour de nombreux plasticiens ; ils vivent, s’expriment, ils meurent, puis vient l’oubli et par quel miracle ils sortent des oubliettes. Certains artistes sont, de leur vivant, couronnés de lauriers. Ils ont trouvé la bonne galerie, le bon marchand, le bon critique, avec de tels ingrédients le public suivra. Enfin la gloire, et puis les musées, la consécration... Mais quelle dépense d’énergie dans ce parcours du combattant !

« Jeu d’algues », peinture et sable/toile (années 70)

Le peintre et céramiste Jean Brandy, en fuyant les mondanités, a renoncé à la facilité... Il a vécu ses passions avec conviction et fougue et puis la vie brutalement s’arrêta, la stupeur, un vide et un long silence. La redécouverte de cet artiste par le Centre International d’Art Contemporain de Carros, qui a aussi pour mission de remettre sur les rails les oubliés de l’histoire de l’art, contribue aujourd’hui à mettre en lumière, comme ce fut déjà le cas pour Emile Salkin en 1998 ou pour Jean Villeri l’année suivante, le parcours de ces artistes qui ont œuvré en solitaires dans le sud de la France.

(A suivre)

Le satyre en rut

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