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CHRONIQUE D’UN GALERISTE : Chronique 25 : JANI (Part II) - CHAPITRE 25 (PART II)

JANI et ses « incantations lointaines »
En dehors de ses qualités plastiques remarquables, l’œuvre de JANI est si poétique que, dans le catalogue de mon exposition « Le Paradoxe d’Alexandre », j’avais eu envie de lui trouver une équivalence de ce type :
Grand désert la Terre
quand le soleil en ses ombres
dit l’heure et le lieu

Tombées du haut des Andes
descendues des Himalayas
glissées sur le Nil noir
emportées par l’Amazone bleue
des vallées perdues jusqu’aux cimes
leurs incantations lointaines
cisèlent l’air embrasent le roc pétrifient la forêt
Hauts lieux de leur naissance
terres humides dont elles se séparent
mémoire de feu et de cendre
elles sont par-dessus les millénaires
l’emblématique Figure aux cent visages
elles sont l’Impensable
pour un temps l’arrêt du Temps
Sphynx aux noms multipliés
nuit des métamorphoses inouïes
dans l’antique clairière
filles de l’Inca et d’Anubis
filles du peuple aux yeux de lune
pour l’ultime geste elles se parent
comme si par des mains complices
la terre enfin se mettait à dire
ce que peut dire la terre
nul ne sait comment s’achève
la danse barbare des flammes rousses
ni si le masque d’antan arraché
l’Intemporel dévoilera la posture
pour en dire le terrien secret

(Alexandre de la Salle, Paris, Février 1998)

Catalogue de l’exposition « Tampura » à la Galerie Alexandre de la Salle (Juillet-Août 1992), Z’Editions

JANI par André Verdet
Dans ce catalogue de l’exposition « Tampura », André Verdet, vieil ami de Jani, avait écrit :

L’innovation dans cette présentation de haute lignée culturelle est l’apparition des tableaux musique d’une visualité volumétrique et d’une picturalité fondamentale qui vient de loin, de très loin et que JANI a élevée à hauteur d’une mystique. En effet la méditation contemplation qui émane de l’œuvre de JANI inclut une sagesse dont notre regard s’imprègne peu à peu. Une œuvre singulièrement intériorisée et comme enveloppée d’enchantements ineffables. Une œuvre où formes, matières, couleurs triturées jusqu’au nectar, en étroite fusion et union, pénétrées de haute spiritualité, se transcendent en une liturgie incantatoire et une profuse richesse chromatique qui arrivent en offrande à notre regard. (André Verdet)

« Eveil au sarod », catalogue « Tampura » (Photo Olivier Houeix)

JANI par Michel Gaudet
Et Michel Gaudet qui, si peu mystique par ailleurs, avait été remué par ce quelque chose de « sacré » que Jani met au jour de manière si subtile :

Une culture a pour conséquence un désir d’approfondir et, si l’on est créateur, un souci d’identification à des antériorités spirituelles. Les c1oîtres romans ou les temples génèrent les motets et les mandalas. L’appréciation de la délicate métrique de du Bellay ou l’écoute des dodécaphonistes constituent au même titre notre richesse et notre liberté mentale. Ce substrat est indispensable dans sa diversité à toute prospective. La culture ne saurait se différencier, elle forme un tout. Une œuvre serait elle possible sans culture ? Ainsi les « Tampuras » de JANI contemplés pour la première fois en cet après-midi d’Avril m’ont ils plongé dans une spiritualité inhérente à la culture. Certes je connaissais les œuvres de JANI, les incitations à l’onirisme de certaines de ses toiles, son attrait pour le symbolisme des mandalas et des traditions extra européennes et puis ses goûts pour certaines musiques, pour des instruments venus d’autres continents... Mais jamais je n’eusse imaginé ce bond culturel, cette envolée artistique, ce raffinement à la limite de l’histoire et du rêve que suggère un « Tampura » ... Ces instruments de musique imaginaires sont constitués de caisses de résonance circulaires, centralement ajourées autour d’un autre cercle ou d’un ensemble de cordes, voire d’un objet mythique. Les cordes sont d’ailleurs omniprésentes, avec des variations de disposition et des projections d’ombres sur le mur de support, elles sont le symbole de la création musicale. Des couleurs sourdes et denses, des fragments de peau, des textures frottées, agrémentées de collages angulaires ou parallèles créent sur ces structures des climats de légende et de modernité, tant par le rappel d’hypothétiques réminiscences que par l’émulsion neuve des pigmentations.

Catalogue « Tampura » (Photo Olivier Houeix)

Mystère et fascination émanent de cet ensemble. Instruments de musique essentiellement plastiques, au mutisme originel et accepté, orientaux ou précolombiens dans leurs schémas architectoniques, modernes aussi par la vertu de leurs décors plus dérivés du Bauhaus que d’exhumations séculaires, demeurent-ils seulement de splendides objets ornementaux à suspendre précautionneusement ? Ne sont-ils pas plutôt dispensateurs de musiques secrètes ? D’une musique sacrée que nous entendons par le truchement des couleurs, des lignes et des formes ? Si telle est comme je le pense leur spécificité, si telle fut dans l’esprit de leur créatrice l’intention messagère d’un double apport, nous serons sensibles à la magnificence de leur facture, au raffinement de leur style, mais en notre for intérieur, silencieusement et pourtant clairement, résonneront les musiques de notre cœur, celles de nos jardins personnels que ces instruments rares nous permettront d’imaginer (Michel Gaudet, Cagnes 29 avril 92)

« Targa », catalogue « Tampura » (Photo Olivier Houeix)

JANI ou La musique du silence par Frédéric Altmann
JANI est un cas à part dans la mouvance de l’Art contemporain, car elle est d’une farouche individualité à contre courant des modes et des théories de l’Art actuel. Son parcours artistique est jalonné de coups de cœur et de passions. Sa réflexion sur l’Art nous entraîne dans des territoires inoubliables aux sources du monde et de la poésie, le voyage s’effectue à la lisière du rêve dans les champs du silence et de la contemplation, ouverts au rythme de la vie et des saisons. Après la série des « Mandalas » (lumière derrière les volets), JANI nous propose « TAMPURA » et nous entrons de plain pied dans le monde de la musique (comme une lumière intérieure) avec des instruments imaginaires d’une grande invention et noblesse. Ils n’émettront jamais de sons, mais ils sont présents, intemporels, sacralisés comme des tabernacles précieux. En nous confiant son exposition, JANI continue d’accomplir des recherches entamées avec foi et obstination depuis des décennies, de la figuration à l’abstraction (jour et nuit) dans des domaines austères, marche d’une solitaire, voyageuse de l’insolite, propulsant et dispensant des vibrations d’une grande vérité. Baroque son art ? Certainement. Nous retrouvons les ors des églises et des temples, la simplicité et la musicalité du chant grégorien, les chants primitifs des pygmées, une cantate de Bach. JANI c’est un art œcuménique ouvert aux différentes cultures. C’est aussi un beau regard clignotant sur la sensibilité du monde. (Frédéric Altmann, mai 1992)

Jani, catalogue « Tampura » (Photo Marc Lacroix)

JANI par James Baldwin en 1978
Très certainement, tu montres moins, mais tu dévoiles plus, dans cet univers intérieur sans bornes dans lequel chaque être humain aspire à la révélation. (James Baldwin, 1978)


(A suivre)

Croquis de travail, catalogue « Tampura »

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