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Isabelle Viennois ou du chaos à l’émergence de la structure (2/3)

Chronique Nice-arts 2000+ par André Giordan et Alain Biancheri

SES OEUVRES

Difficile de dater les débuts de la peinture d’Isabelle Viennois, elle a toujours peint ! Dans les années 90 et son arrivée sur la Côte, son style change brusquement. Isabelle Viennois passe au non-figuratif ; elle produit une série de toiles tout en équilibre, où la rigueur d’une structure s’accompagne d’une matière richement et fermement travaillée. Toutefois, pas question de l’enfermer dans des formules établies, sa recherche est toute dans la pureté des formes.
Pour elle, le « passage date de 1993 », depuis elle démultiplie les productions.

« En chemin vers l’essentiel
Elle préfère le risque permanent, l’élimination des artifices, des "ficelles". La proportion des toiles abouties diminue peut-être, mais l’important est de poursuivre l’élagage des formes, l’allégement de la facture- de déstabiliser les certitudes.
Cette recherche n’est pas gratuite : elle est l’expression d’une mutation personnelle, d’un besoin intérieur, et c’est ce qui lui confère son authenticité. »

Frédéric Voilley, mai 2008

« Le geste de la grue
Des espaces se créent, s’entrecroisent, déferlent, s’auto prophétisent en laissant ces empreintes, ces marques infimes de gestes déroutés. Ambre des chemins involontaires, signe de la main qui s’éloigne. L’oiseau, la machine traverse le ciel et blanchit l’orée des souvenirs. L’ambre de la rue où se tissent des sables qui disent l’éphémère. Ils ne parlent plus mais encore, ici, dans la trace dévoilée, la main salue et la trace évadée conduit son avenir. »

Carol Shapiro, mai 2008, à propos de l’exposition/exhibition
les 15 ans de Isabelle Viennois, juin 2008

Différentes directions ont été tentées avec précaution et préciosité, mais il ne s’agit en aucun cas, et de loin, d’une recherche esthétique. C’est encore moins une peinture qu’on qualifierait d’intentionnelle ou planifiée à l’avance à partir de multiples esquisses. La toile est pour cette plasticienne « le lieu », l’unique lieu, de son combat avec la matière, un combat qu’elle tente en permanence de reprendre, en précisant intuitivement un tracé.
Dans un premier temps, Isabelle Viennois envahit l’espace du tableau en générant un chaos. De cette « cette soupe primitive » comme dirait un scientifique, émergent des parcelles de matière brute et grisâtre. Ce sont ses « cailloux », ses « noyaux d’énergie potentielle qu’elle doit dompter en les éclatant afin qu’ils expriment leur force cachée » comme aime à le préciser le critique d’art et artiste lui-même Frédéric Voilley.

Isabelle Viennois, Fenêtre, 2004

Dans ce processus, l’artiste tente de capter ces traces que le monde en mouvement laisse dans l’espace en multipliant les supports. Toile, plexi, tôle, etc. dans de multiples figures -découpes, collages, assemblages-sont mis en scène au fil d’une écriture très personnelle, mais qui paradoxalement s’inscrit dans l’Histoire de la peinture.

Isabelle Viennois, Sens des signes, 2004

« Les éléments du magma, hétérogènes et rebelles, résistent parfois longtemps aux tentatives de structuration que le peintre cherche à leur imposer, et ce n’est que progressivement que les cailloux et les autres objets de forme et de couleur, sont d’abord désintégrés, pour être réintégrés, trouvant leur place définitive, après une opération de tri dans laquelle le superflu est éliminé, rejeté hors du format. »
Frédéric Voilley, mars 2011

Isabelle Viennois, bouteille blanche, 2007

« Tel un kaléidoscope, le monde est un mouvement dont chaque élément laisse sa trace dans l’espace, créant ainsi des écritures et des paysages nouveaux à l’infini. Tenter de capter ces écritures, les mémoriser et les reconstruire sur la toile, passer de l’invisible au visible, telle est mon aventure picturale.
Chaque parcelle du vivant retrouve ainsi une nouvelle présence, trace, signe et mémoire de son passage dans l’espace. »

Isabelle Viennois, interview

« Energies capturées
Ce nom ambitieux donné à l’exposition est quelque peu trompeur, car il laisse entendre qu’il s’agit effectivement d’une capture, d’un emprisonnement quasi-définitif, alors qu’évidemment les énergies en question parviennent toujours à s’évader, en ne laissant d’elles qu’une trace, qu’une empreinte. Tout est donc chaque fois à recommencer et, toile après toile, la traque incessante d’Isabelle continue, obstinée, presque fébrile. Plus de cent toiles produites au cours de l’année 2010, c’est dire la nécessité, l’urgence de cette tâche que s’est imposée l’artiste, tâche dans laquelle elle investit tous ses moyens techniques et théoriques.
(..)
La composition se cristallise enfin, et l’énergie se trouve prise dans un étau de formes, ou alors placée sur une trajectoire à la fois maitrisée et dynamique. Car il ne faut surtout pas perdre le mouvement initial, l’instabilité inhérente, auxquels tout équilibre trop statique serait fatal. Dans ce travail d’organisation, les proportions géométrisantes sont puissamment aidées par la couleur, en un jeu d’intensités et de températures. Il faut trouver le point exact, à la fois tendu et précaire, car tout menace d’un moment à l’autre de s’écrouler, et la structure de s’effondrer sur elle-même, d’imploser à la manière d’un trou noir cosmique. Tout serait alors à refaire, soit par un retour au chaos originel, soit par un renforcement des structures et des équilibres. (..)
L’exposition, au terme d’une année d’efforts intenses, une année épique, est comme le compte-rendu de tous ces combats acharnés. Combats inégaux car l’énergie ne peut rester longtemps captive ; essentiellement volatile, elle trouve toujours une faille dans le savant dispositif qui la tenait enserrée.
En nous plongeant dans ces œuvres puissantes, nous pouvons refaire pour nous même le trajet parcouru, l’aventure vécue par l’artiste, en revivre les mouvements cruciaux. Et nous comprenons que c’est la maîtrise de son propre destin qu’Isabelle recherche à travers la maîtrise de son art – de là son acharnement, sa passion. Ainsi, nous pouvons la suivre au cœur de son rêve, jusqu’au moment où se dévoile, cachée sous la métaphore visuelle d’une transformation de la matière, une transformation intérieure où nous avons beaucoup à apprendre sur nous-mêmes. »
Frédéric Voilley, mars 2011

Isabelle Viennois, composition blanche, 2012
Isabelle Viennois, 09 le point rouge, 2014

La suite de la chronique dans la newsletter du 4 juin 2014...

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Photo de Une : Isabelle Viennois, La ligne verte, 2011

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