| Retour

Guerre culture III

Dernière partie de la chronique d’Alain Amiel, membre de l’équipe de rédaction d’Art Côte d’Azur, rentré il y a quelques jour d’Israël : un voyage qu’il avait prévu de faire de longue date et qu’il n’imaginait pas devoir vivre dans de telles conditions de guerre et de désolation. Il nous propose de partager avec lui les "Chroniques de guerre et de culture" qu’il a rédigées chaque jour de là-bas.

Départ de Tiberias direction la Mer Morte.

En chemin, on s’arrête dans le très beau site de Meggiddo, l’Armageddon de la Bible où d’après l’Apocalypse de Saint Jean se tiendront les derniers combats contre le mal.

C’est un superbe parc naturel sur le site de la ville cananéenne habitée depuis plus de trois mille ans, un nœud routier hyper important entre la Mésopotamie et l’Egypte, raison pour laquelle, cette cité a subi de nombreuses batailles depuis le roi Salomon qui a fait bâtir d’importantes fortifications dont on voit les beaux restes : une porte monumentale, des quartiers et surtout un très élaboré système hydraulique qui en cas de siège permettait de continuer à alimenter la cité. La source étant à l’extérieur des murailles, un puits très profond suivi d’un canal souterrain horizontal continuait d’assurer le captage de l’eau. On a descendu des centaines de marches pour arriver tout en bas et suivre le souterrain pour déboucher à 600 mètres de là. Cette construction particulièrement ingénieuse a dû nécessiter un travail énorme.
Le site est grandiose, dominant les campagnes alentours et parsemé de palmiers.

Étape suivante à Césarea, l’ancienne capitale administrative romaine, grand port bâti par Hérode reconnu roi de Judée par les Romains.

Là encore, une belle zone archéologique avec promenades, restaurants, petit musée et jolis points de vue sur la mer toute proche. Elle a été une ville portuaire très active, capitale de la Palestine centrale, avec hippodrome et théâtre en bord de mer.
On reprend ensuite la route du Sud en direction de la Mer Morte. On est déjà fatigués et il y a encore beaucoup de kilomètres à faire.
Plus on va vers le Sud, plus le paysage se désertifie. Après Arad, c’est quasiment le désert, un désert minéral rocheux où plus rien ne pousse à part quelques rares petits arbustes de quelques centimètres. Un panneau annonce le risque de traversée de dromadaires, on en aperçoit effectivement quelques uns. À mesure qu’on descend, les tournants sont de plus en plus serrés, on a l’impression de s’enfoncer dans le lit d’un immense volcan. Le paysage est impressionnant, un peu effrayant. Des roches beiges éclatées, comme déchirées ou explosées sous un ciel d’un bleu délavé brumeux. La descente est longue et lente, et pour cause : on se dirige vers le point le plus bas de la planète : 400 mètres au-dessous du niveau de la mer. On a hâte d’apercevoir la Mer Morte, mais les tournants se succèdent et rien. On croise quelques rares voitures ou cars de touristes.

Enfin, elle est là, brillante comme un miroir éblouissant.

On la longe longtemps avant d’arriver à Ein Boqeq. Sur l’autre rive, les montagnes sont aussi pelées.
Au milieu de ce rien minéral, apparaissent au loin des buildings incongrus plantés au bord de la Mer. Il y en a une vingtaine avec leur sigle écrit en énorme pour pas se tromper et bien repérer le sien.

Après cette route éprouvante, on est content de retrouver ces immenses machins issus de la civilisation touristique. La Mer Morte est vraiment morte, il n’y a ni poissons, ni flore, rien ne vit dans cette eau saturée de sel à part des homotouristicus pour qui s’y baigner est un jeu.

Bains à la Mer Morte, © Alain Amiel

C’est vrai, on y flotte de façon étonnante. Au début, ça fait bizarre, on a de la difficulté à se remettre sur pied après avoir flotté, mais on s’habitue vite. On a l’impression d’avoir autour du corps des flotteurs. C’est jouissif de se mettre sur le dos, le visage vers le ciel et de nager dos crawlé, on va à toute vitesse. Tout le monde s’y amuse énormément, particulièrement un groupe de japonais qui jubilent.

L’hôtel est immense. Le restaurant présente plusieurs énormes buffets proposant des dizaines de mets. Chacun se sert comme il veut. Grande bouffe, les Israéliens très nombreux semblent se régaler. Ça parle fort, ça s’interpelle. Il doit y avoir des groupes. Peu d’étrangers en revanche. La Mer morte doit être la ballade du shabbat (on est vendredi soir) des citadins de Tel Aviv, de Jerusalem ou d’autres villes. Contrairement à Tiberias et Safed, il y a relativement peu d’hommes porteurs de kipas. L’atmosphère est sympathique, tous semblent s’amuser sans entraves. Le cuisinier a le feeling cuisine juive marocaine car j’ai retrouvé les plats et les goûts de la cuisine de la mère et de ma grand-mère (poissons en sauce, langue, viande avec pois-chiches, etc.) On s’est régalé. Les Israéliens sont fous de salades, semble-t-il, il y en a de toutes sortes. Bien sur, toutes sortes de desserts et les immanquables pastèques que j’adore.

Le lendemain, direction Massada, à une quinzaine de kilomètres. On longe la Mer Morte, puis on bifurque pour se trouver au pied de la célèbre forteresse située sur le plateau d’une très haute falaise.

Paysage de la Mer Morte, © Alain Amiel

Le paysage tout autour est encore plus impressionnant de désolation et de sécheresse. Il fait pas loin de 40°, on n’arrête pas de boire.
Le téléphérique nous amène au sommet. Il y a une route pour ceux qui veulent monter à pied, mais aujourd’hui, personne ne semble s’y risquer.
Je connaissais l’histoire poignante de Massada, de ces rebelles juifs qui, plutôt que de se rendre à la puissante armée romaine (près de dix mille hommes les encerclaient), ont préféré s’entretuer les uns les autres. On a retrouvé les tessons gravés aux noms des dix hommes tirés au sort chargés de tuer leurs frères. On les voit au Musée à la fin de la visite... Émouvant.

. Porte de Massada © Alain Amiel

Mais avant ce tragique dénouement, Massada a été une forteresse immense due au très mégalo Hérode, sans doute le plus grand bâtisseur de l’Antiquité romaine. Sur le plateau, deux palais gigantesques avec piscines, salles de réception aux murs peints, bains publiques et privés, synagogues (une des plus anciennes), appartements pour la garnison et surtout des dizaines d’immenses silos (jamais vu d’aussi grands) pour entreposer la nourriture et des réservoirs d’eau pour tenir plusieurs sièges. Une architecture grandiose qu’on met plus de deux heures à visiter sous un cagnard implacable. C’est un des plus beaux sites romains, en tout cas, le plus extravagant pour sa situation et sa hauteur. Il a dû coûter des fortunes pour le bâtir en transports de matériaux, en besoins humains, etc. Hérode, nommé par Rome roi de Judée devait être particulièrement riche et puissant. Je me dis qu’il faudrait que je m’intéresse de plus près à ce tyran-là (on lui doit aussi Césaree).

Cesarée, port, © Alain Amiel

Épuisés, nous revenons à l’hôtel pour nous écrouler au bord de la piscine où je m’endors après un plongeon et une rapide baignade.

De retour à la chambre, je me branche sur le Net pour savoir où en sont les événements. C’est très triste, la guerre continue de plus en plus. Les Israéliens, après le refus du Hamas de faire un cessez le feu, ont entamé une action à l’intérieur du territoire de Gaza.

Le but est de détruire le maximum de tunnels où sont cachés les roquettes. Cette incursion entraîne encore plus de morts. J’apprends aussi qu’un missile a descendu un avion de ligne de la Malaisienne air Line, tuant d’un coup plus de trois cent personnes. Ce serait les pro-russes d’Ukraine qui l’auraient envoyé par erreur. Cela fait autant de bruit dans la presse que la guerre à Gaza. Poutine est accusé d’avoir armé ces pro-russes et ça chauffe au niveau international. Le monde va mal.
La Mer morte a aussi un gros problème. L’évaporation la rétrécit de plus en plus et ne recevant plus d’affluents, dans quelques dizaines d’années, à ce rythme, elle sera asséchée. Des solutions sont recherchées, pas évidentes vu le contexte politico-géographique. On décide néanmoins d’un petit bain avant d’aller dîner.
Il ne nous reste que quelques jours à passer en Israël et on part pour Jérusalem.

Mer morte, paysage © Alain Amiel

Jérusalem

Aujourd’hui à Yeroushalaïm, pas l’an prochain. Nous y sommes. De l’hôtel qu’on a eu le chance de trouver rapidement, on aperçoit les murailles de la vieille ville, celles bâties par Soliman le Magnifique.

Entrée de Jérusalem © Alain Amiel

La première vue de la porte de Jafffa, de la tour de David, des murailles crénelées est saisissante. C’est l’image qu’on retrouve dans toutes les représentations religieuses. Les abords de la vieille ville sont dégagés, avec des parcs et des fontaines, des aménagements avec jets d’eau qui semblent beaucoup amuser les enfants et les adultes. On pénètre dans la vieille ville par un souk immense débordant de marchandises des deux côtés. On n’a pas choisi de trajet, on déambule pour découvrir et se plonger dans l’atmosphère de cette ville trois fois sainte, comme on dit. Des rues couvertes, ça descend, ça remonte, ça brasse. Tout est mélangé : objets religieux, vêtements, nourriture, petites échoppes de légumes, de fruits, des bijoutiers, etc.

Un panneau indique le fameux mur des Lamentations, on le suit.

Passé une porte coiffée de caméras de surveillance et un contrôle doté d’un scanner pour les sacs comme à l’aéroport, on débouche sur l’esplanade.
Le mur est là, devant nous, un peu plus petit que je l’imaginais, mais quand même impressionnant : belles pierres bien taillées, plusieurs mètres de haut.

Le Mur des Lamentations Photo Alain Amiel

Bâti au premier siècle avant notre ère, il est ce qui reste du second temple, détruit en 70 par les romains de Titus qui a aussi vidé la ville de ses Juifs. Ce mur est resté à travers les siècles le symbole du Judaïsme, il en est aujourd’hui le plus saint des lieux, jouxtant l’esplanade des mosquées (lieu saint de l’Islam où Abraham avait failli sacrifier son fils) et le Saint Sépulcre. Ces trois lieux au cœur des trois grandes religions sont à quelques mètres l’un de l’autre…

Des centaines d’hommes prient devant le Mur en se balançant, couverts ou non de leur talith, leur châle de prière, et quelquefois ils portent aussi leur tsisith (bandes de cuir avec les petits boitiers où sont notées les paroles sacrées). Il y a séparation des hommes et des femmes. Je m’y rends pour le toucher et le voir de plus près. Des milliers de petits mots enroulés (des vœux) sont mis dans les interstices entre les pierres. À gauche, passé un porche, de longues salles couvertes avec des bibliothèques de livres sacrés pour ceux qui veulent prier. Il y a aussi beaucoup d’hommes qui chantent des psaumes. L’atmosphère est mystique, mais moins que je l’imaginais. Très concentrés, ils prient sérieusement. Je prends des photos de l’ensemble ou de détails du mur, des gens alentours, de tous les bâtiments qui enserrent la place qui donnent envie d’y rester un moment. Après en avoir fait plusieurs fois le tour, on grimpe par quelques escaliers dans le quartier juif. Tout en pierre, il a été complètement rebâti après 67.

Belle rues, porches, placettes. On essaie de visiter les quatre plus vieilles synagogues, mais elles sont fermées. On déjeune sur une jolie place au milieu de l’animation. On voit passer une foule bigarrée et cosmopolite de religieux et de laïcs, de touristes ou de pèlerins. Quant aux femmes, il y a deux types très marqués d’israéliennes : les religieuses tête couverte de châle ou d’une perruque (elles n’ont pas le droit de montrer leurs cheveux) entourées d’enfants, discrètes et timides, et les sabras, celles qui ont fait l’armée, décontractées et à l’aise, cheveux au vent, bien dans leurs baskets, sympathiques, discutant à tout va. Le contraste est saisissant. Les religieux arrivent par grappes : des sœurs, des prêtres barbus orthodoxes en soutane noire, d’autres en robes blanches, etc. Tous ces gens se croisent, les enfants courent dans les rues, l’atmosphère est affairée et bonhomme.

En continuant de déambuler, on arrive au Holy Sépulcre, le saint des saints chrétien.

Saint Sépulcre © Alain Amiel

Sur une cour carrée, une porte est ouverte sur le sanctuaire grandiose avec à l’entrée une grande pierre rectangulaire sur laquelle les gens se prosternent. C’est la pierre qui aurait fermé le tombeau de Jésus après sa crucifixion qui eu lieu juste à côté. Sur ce mont a été bâti une immense cathédrale qui le recouvre complètement. Ce lieu sacré est tenu par les prêtres orthodoxes, d’où l’abondance d’icônes, de dorures, de lustres, d’encens, mais aussi de très belles mosaïques dorées. Au cœur de l’édifice, le sépulcre, la tombe elle-même où on peut accéder en faisant la queue. C’est la fin d’après midi, on profite d’un moment où il y a peu de monde pour attendre d’y pénétrer. Un prêtre tout en noir fait la police, il accélère les visites afin que personne ne s’y attarde trop. L’entrée est étroite et basse, il faut se courber pour y entrer et à l’intérieur, on ne peut y être que trois ou quatre en même temps. Le minuscule lieu est sursaturé de lustres, d’icônes, de pendentifs, etc. Certaines familles orthodoxes amènent avec eux leurs livres de prière pour les frotter au tissu recouvrant la tombe d’où Jésus serait ressorti pour monter au ciel.

On visite ensuite les nombreuses salles qui entourent le sépulcre, on descend des escaliers jusqu’à l’endroit où était plantée la croix. Il y a des chapelles partout, les sols de pierre ou de mosaïque sont lissés par les pas de millions de pèlerins qui les foulent chaque année. Il y a du monde partout, surtout des groupes et quelques familles de toutes les couleurs. On entend toutes sortes de langues, mais pas de chants qui doivent avoir lieu lors des messes. Il y a beaucoup à voir aussi dans les étages couverts aussi de belles mosaïques byzantines. On repasse devant la pierre où un mystique eurasien est allongé dessus dans une pose exagérée. On le contourne pour sortir. On quitte cette atmosphère saturée d’encens pour respirer l’air du dehors. On retraverse le souk pour sortir de la vieille ville et retourner épuisés à notre hôtel. De la Mer Morte ce matin aux lieux les plus sacrés des trois religions, on en a plein la tête de toutes ces images et impressions reçues aujourd’hui. Seul le sommeil peut nous aider à digérer tout ça.

Le deuxième jour a été consacré à l’histoire de Jérusalem, et quelle histoire !
La tour de David, à la principale entrée de la ville est une forteresse transformée en musée. Elle recèle des ruines de toutes les époques, depuis les constructions du temps d’Hérode (encore lui) jusqu’aux murailles de Soliman. Une belle ballade avec écouteurs nous fait voyager dans l’histoire. On grimpe d’abord tout en haut de la Tour (qui n’a rien à voir avec le Roi David) pour admirer la ville et comprendre son urbanisme, les différents quartiers, les monts alentours, celui des Oliviers, bien sûr, mais aussi les autres, la ville étant entourée de petites collines. La ville est partagée en quatre quartiers : arménien, juif, arabe et chrétien.

Elle a bien sûr subi toutes sortes de dominations. D’origine cananéenne, rien ne la prédestinait à sa fabuleuse histoire. Elle n’était ni sur des routes importantes, ni sur un fleuve, ni entourée de richesses agricoles ou autres. Sa destinée est liée aux religions qui en ont fait leur capitale. Celle des Juifs d’abord, avant d’en être chassés une première fois en -587 par Nabuchodonosor qui a fait détruire le premier temple, le plus sacré, celui contenant l’arche d’alliance, celle des Tables de la Loi reçues par Moïse au Mont Sinaï (disparues par la suite). Le second temple rebâti au premier siècle avant notre ère a été lui aussi détruit et rasé par les Romains dirigés par Titus qui en a banni les juifs (ils ne voulaient pas obéir aux lois de Rome). Jérusalem a été ensuite byzantine, mamelouk, arabe, occupée par les croisés vers l’an mille, puis par l’empire ottoman, puis par les anglais et de nouveau par les juifs dans la deuxième moitié du XXe siècle. Au fil des salles bien illustrées de toutes sortes de documents fabriqués grâce aux dernières connaissances archéologiques, on apprend les détails de l’histoire de cette ville. Une visite passionnante et très pédagogique.

La conservatrice du Musée qu’on entend dans les écouteurs a l’air très sympa et a beaucoup d’humour. Elle adore son musée et nous fait partager sa passion.
La visite dure plusieurs heures où on n’arrête pas de monter et descendre des escaliers. Après une pose pour se réhydrater, on quitte la Tour. On y reviendra le soir pour voir le magnifique son et lumière retraçant l’histoire de la ville. À ne pas rater.
Le lendemain, on retourne dans la vieille ville en direction de la via Dolorosa qu’on n’avait pas trouvé la veille. Les stations du Christ sont indiquées. Elle part de l’entrée de la ville jusqu’au Saint Sépulcre. On repasse ensuite par le Mur des Lamentations (ce nom qui n’est pas reconnu par les Israéliens qui l’appellent "Mur Occidental", serait dû au fait que le matin, le mur se couvre de rosée faisant penser à des larmes, une belle image poétique quand même).

On visite le très intéressant musée consacré au mur : ruines de l’époque de Hérode, habitations de grand-prêtres, belles mosaïques de deux mille ans, etc. Très instructif.
En repartant, ayant raté la porte de Jaffa, on tombe sans le vouloir sur l’église de la Dormition de la Vierge puis sur les tombes des rois David et Salomon remplies elles aussi de pèlerins et de religieux. On les visite avec intérêt. Encore une journée incroyable de découvertes et de sensations. Une bonne douche et un long sommeil réparateur sont nécessaires.

Au réveil, la revue de presse n’apporte rien de bon.

De plus en plus de morts, de bombardements, de roquettes, d’appels au cessez le feu internationaux qui n’aboutissent pas. Des débats sans fin à la télé israélienne, qui, même si on ne comprend pas, montrent que ça s’engueule entre partisans de la guerre et ceux qui voudraient que ça s’arrête. Des cinéastes Israéliens ont demandé l’arrêt unilatéral des combats, violemment critiqués par des politiques qui veulent le maximum de destruction des forces du Hamas. La télé montre beaucoup de tunnels et les destructions de maisons abritant des armes, des blessés, des morts... La guerre dans toute sa tristesse.
Notre nouvelle journée va commencer aussi par une visite qu’on redoutait, mais qu’on voulait absolument faire, celle de Yad Vachem, le "musée" consacré à la Shoah. Toute ma famille qui s’était rendu en Israël, ma mère aussi, l’avait vu et m’en avait parlé.

Yad Vachem - photo Alain Amiel

Il est éloigné du centre de Jérusalem. Il y avait beaucoup de circulation à son approche, la police gérait la circulation, on a compris pourquoi quand on a vu qu’on passait très près du grand cimetière où se pressaient des centaines de gens, des familles, des soldats... Il se tenait une grande cérémonie consacrée aux soldats juifs qui venaient de tomber dans l’offensive terrestre.

On arrive enfin. Yad Vachem est un grand bâtiment de béton lissé en forme de triangle avec une petite ouverture en haut qui laisse passer la lumière (la lueur d’espoir dans les ténèbres). Des salles successives nous apprennent l’histoire depuis les sources anciennes de l’antisémitisme jusqu’à la fin de la guerre. Je pensais savoir beaucoup de choses sur cet holocauste, mais les frontières de l’horreur sont toujours repoussées. Les milliers de documents photos, dessins, affiches, films et explications (nous avions les commentaires dans les écouteurs) sont plus qu’effrayants. Comment des êtres humains ont-ils pu subir cela ? Comment d’autres être humains "civilisés", d’une grande culture ayant vécu ensemble, fait de la musique, des recherches scientifiques, et même combattu côte à côte pendant la première guerre, ont-ils pu infliger ces atrocités à leurs frères humains, à ceux qu’ils côtoyaient journellement, habitant les mêmes immeubles des mêmes villes, leurs voisins, leurs amis ? Il restera toujours une dimension inexplicable, ce qui s’est passé ne ressemble à rien d’autre.

Pourtant l’humanité en a connu et commis des massacres !

Ce mot Shoah qui signifie catastrophe en hébreu ne suffit pas à exprimer les événements impensables qui se sont produits. L’organisation systématique de l’extermination de millions d’êtres humains (avec la complicité passive ou active de centaines de millions de gens) depuis leur acheminement par des convois de train, leur regroupement dans des camps organisés pour les trier et leur massacre soit par balles le long de tranchées qu’ils avaient eux-même creusé, soit par gazage était complètement inédite et inconcevable. Avec les fours, les nazis ont voulu faire disparaître jusqu’à leurs traces.

Après la guerre, on le sait moins, des centaines de milliers d’enfants ou d’individus ont recherché leurs proches. Retournés chez eux où plus rien n’était comme avant, il a été impossible pour la plupart de s’y réinstaller. Rescapés du massacre et presque coupables d’avoir survécu, ils se retrouvaient déracinés, privés de l’essentiel de leurs familles, avec une vie à reconstruire sur des cendres. Certains se sont réfugiés en Israël, d’autres ont tenté le nouveau monde.

Une fois traversé le triangle de béton, on découvre des jardins, des espaces de recueillement, des salles impressionnantes comme le mémorial des enfants évoquant par des milliers de lueurs leur mémoire pendant qu’une voix égrènent doucement leurs noms. D’autres salles très sobres comme celles des déportés, des résistants, font froid dans le dos. La "Salle des Noms" en forme de rotonde, contient des centaines d’étagères remplies de livres recensant l’essentiel des patronymes des victimes. Certaines étagères sont encore vides, des recherches sont toujours en cours pour retrouver les noms manquants.

Dans le parc, on voit aussi un wagon de chemin de fer de triste mémoire et de belles et grandes sculptures contemporaines poignantes. Une très noire en fer qui évoque des corps enchevêtrés fait penser à Guernica de Picasso.
On récupère ensuite la voiture pour revenir près de la vieille ville et nous rendre au Mont des Oliviers où on visite du jardin de Gethsemani. De très anciens oliviers de plus de deux mille ans auraient pu être vus par Jésus qui aimait s’y rendre en compagnie de ses amis. Une belle église aux plafonds étoilés de mosaïques bleues et or jouxte la grotte où il a été arrêté.

Bien qu’épuisés, notre dernière visite à Jérusalem sera pour le Musée d’Israël, une des plus belles muséographies au monde.

De la préhistoire en passant par les antiquités égyptiennes, sumériennes, grecques, romaines aux salles très contemporaines, toute l’histoire de l’art est admirablement représentée. Chaque pièce est parfaitement mise en scène et éclairée. On sent le choix patient et très réfléchi de chaque œuvre représentant le génie humain, la beauté que l’homme est capable de créer de ses mains quand il veut s’élever. Ce qu’il nous reste de mieux de chaque civilisation, on le doit aux artistes. L’histoire de l’art est le contrepoint sublimé de la tragique histoire humaine.

À l’extérieur du musée, on visite des jardins de sculptures, une gigantesque maquette de Jérusalem et un superbe bâtiment couvert d’un toit dont la forme suggère le couvercle qui refermait la jarre contenant les fameux "Manuscrits de la Mer Morte".

Manuscrits de la Mer Morte - photo Alain Amiel

Ceux-ci ont été trouvés par hasard à Qumram par un berger dont la chèvre s’était égarée dans une grotte. Exposés sur un présentoir circulaire au centre d’une magnifique salle en pierre, on peut en faire le tour.
Il est 21h, le musée ferme ses portes. On le quitte à regret, il y avait encore tant à voir...

Tel Aviv

Demain, notre périple prend fin. Les nouvelles ne sont toujours mauvaises. La plupart des compagnies aériennes ont annulé leurs vols sur Israël, ce qui nous fait craindre pour notre retour, mais heureusement pas El Al. Notre avion est toujours programmé et nous avons fait imprimer nos boarding pass à l’hôtel.
Prochaine étape en Grèce pour remettre un peu d’ordre dans nos neurones et prendre quelques jours de farniente.

Lire la chronique 1
Lire la chronique II

Photo de Une : Désert du Néguev, © Alain Amiel

Artiste(s)