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PORTRAIT : Eric Mangion - l’ex rugbyman joue toujours l’ouverture

Eric Mangion occupe à 45 ans le poste de directeur du Centre d’art de la Villa Arson. Cet ancien directeur du FRAC PACA a pris en main depuis 2006 la destinée de l’une des vitrines les plus importantes de l’art sur le territoire national, mais pas seulement. Car la Villa Arson est sur l’échiquier culturel niçois une pièce maîtresse. Une pièce qui se déplace selon la diagonale du fou ? Explications….

Comment s’est passée votre rencontre avec l’art ?
En fait je me destinais à être journaliste. Étant joueur de rugby quand j’ai intégré une école de journalisme en 1987 à Marseille, on m’imposa le journalisme sportif. Cela ne me convenait pas et par provocation j’ai décidé de faire mon mémoire sur l’art contemporain.

Un univers qui vous attirait déjà ?
Pas du tout, je ne le connaissais absolument pas, mais j’avais envie de casser cette image de rugbyman. J’avais 23 ans quand j’ai commencé à m’intéresser à l’art contemporain. Je me souviens avoir rencontré à Nice Jacques Lepage, un critique d’art célèbre. Ensuite, de 1989 à 1993 j’ai travaillé à la Région comme chargé de mission aux arts visuels, puis j’ai présenté le concours pour être directeur du FRAC. Un poste que j’ai occupé jusqu’en 2005.

Villa Arson ©j-Ch Dusanter

Rugby et art contemporain. Pour certains, vous deviez être l’homme du grand écart ?
De 1993 à 97 j’étais directeur du FRAC et en même temps j’évoluais en groupe B comme troisième ligne dans l’équipe de la Seyne-sur-Mer. Le lundi j’arrivais au FRAC avec des cocards et des pansements mais personne ne m’a jamais fait de réflexion, d’un côté comme de l’autre… Il y a tout de même une anecdote savoureuse. Au retour d’une troisième mi-temps arrosée, un bon copain du rugby me demande dans la voiture « au fait qu’est-ce que tu fais comme boulot ? », je lui réponds « je travaille dans la culture » sans donner de détails et là, après un grand et profond silence, il rétorque : « t’as raison en ce moment, l’élevage ça marche bien ! » (Rires)


Pourquoi avoir choisi la Villa Arson ?

J’ai toujours eu envie d’y travailler, c’est un établissement qui a une âme mais c’est surtout un lieu unique. C’est une école d’art, un centre d’art, un lieu de résidence et une médiathèque. Il est très rare d’avoir sous le même toit autant de missions complémentaires qui permettent d’œuvrer sur tous les fronts.

Justement, quelle est votre mission ?
Mettre en place les expositions bien sûr, mais aussi m’occuper de tout ce qui gravite autour, la stratégie des médiations pédagogiques avec l’Education Nationale auprès des publics. Je gère aussi la politique éditoriale, les résidences d’artistes et tout ce qui touche à la création sur l’établissement, œuvres en extérieur, aménagement etc.


Quelles furent vos priorités ?

L’ouverture était et reste mon premier objectif. Il y a eu pas mal de travaux depuis 2006. Des grandes portes vitrées ont été mises en place dans l’entrée afin de décloisonner, le centre d’art se devait d’être plus ouvert, plus visible pour tous, à commencer par les étudiants.

Et cela a marché, il semble que depuis on assiste à un regain de visites ?
Nous sommes passés de 7 700 à 12 900 visiteurs de 2005 à 2008, soit 70 % d’augmentation de fréquentation. Pour la qualité, ce n’est pas à moi d’en juger mais mon souci de faire rayonner le centre d’art, les efforts structurels et les travaux entrepris ont dû jouer dans ce sens.

Comment s’articule votre programmation ?

Vue de l’installation de John Armleder (galerie carrée) / Exposition A moitié carré / A moitié fou (2007) Photo Jean Brasille

Il y a deux types d’expositions : les expos collectives et thématiques et les expos monographiques. Les premières ont un fil directeur qui consiste à prendre des sujets très balisés de l’histoire de l’art pour les traiter non pas au travers de leurs évidences mais par le prisme de leurs paradoxes. Ainsi, avec l’exposition « intouchable l’idéal transparence » a-t-on pu traiter de la transparence via la dystopie au lieu de l’utopie qui marqua le XXème siècle. « Ne pas jouer avec les choses mortes » permit de découvrir la performance sans geste d’artistes, seulement avec des objets produits. « Acclimatation » montra le paradoxe de vouloir figer la nature alors qu’elle est en perpétuelle mutation. Celle visible jusqu’au 30 mai, « Double Bind/Arrêtez d’essayer de me comprendre », qui est une phrase de Lacan lancé à un étudiant qui le harcelait de questions, parle de communication mais via tous les accidents qu’il peut y avoir lors de la transmission d’informations (malentendus, hiatus, erreurs de traduction, etc.). Toute erreur peut aussi produire du sens ou, à défaut, une œuvre d’art.

Ces dysfonctionnements ont-ils un rapport avec ce que nous vivons actuellement ?
Ma volonté première était de montrer aux étudiants et aux publics comment on pouvait sortir des sujets éculés de l’histoire de l’art en les abordant sous des angles nouveaux. Les expos monographiques procèdent du même esprit. Il s’agit d’inviter cette fois plusieurs artistes à travailler sur un sujet commun. Le collectif devient alors une somme d’individualités qui offrent des regards différents.


Une manière de montrer la diversité de l’art ?

Le but est effectivement de pointer la polysémie de l’art avec la complicité de commissaires différents. Je crois que l’art n’a pas un sens unique. Aujourd’hui, même les formats sont éclatés. Depuis la fin des années 70, il n’y a plus de courants majeurs, c’est déroutant mais excitant, il y a le pire et le meilleur. On est dans une période post-moderne, un mot barbare qui veut dire que c’est la fin des grands récits, idéologiques, politiques, religieux. La jeune génération est née avec ça…

Tout reste à faire ?
Ou bien à épuiser, je crois beaucoup à l’épuisement d’un cycle. La période baroque après la Renaissance en fut un autre. La surconsommation, l’hyper succès de la culture du spectacle font qu’il y a beaucoup de choses. Une profusion qui prête à confusion mais qui contraint le public à être curieux et les créateurs à agir comme des chercheurs. Dans un sens, c’est plutôt positif.

Ce n’est pas toujours l’avis des critiques.
Les plus grosses critiques sur l’art contemporain viennent des intellectuels, pas du grand public. La progression des fréquentations des expos le prouve. Il y a une curiosité parfois assez naïve du grand public mais que j’apprécie beaucoup. En fait ce sont les intellectuels, déboussolés par la perte de référents qui campent sur leurs positions.

L’art contemporain semble, lui, se nourrir d’un nouveau public.
Absolument ! Et ce phénomène est aussi le résultat d’un travail de fond fait par le service public depuis 20 ans sur l’accueil, la médiation culturelle, l’art dans les collèges, etc. Un effort qui porte ses fruits depuis 5 ou 6 ans.

Les membres du cercle fermé de l’art ne se sentent-t-il pas dépossédés d’un bien ?
Je renvoie dos à dos ceux qui disent que l’art contemporain est incompréhensible et ceux qui disent qu’il n’a pas besoin d’être compris. Dans les deux cas il s’agit de personnes qui ne veulent pas prendre le temps de réfléchir, les premiers par fainéantise, les autres par prétention.

L’art contemporain propose d’ailleurs un temps de gestation face au flux tendu d’informations.
Il est très difficile d’avoir une compréhension immédiate de l’art et ce temps de recul, de réflexion, ce temps différé de l’art est salutaire. Pour moi, une exposition est un acte de résistance, parce que c’est un de ces derniers espaces qui est encore dans une radicalité, qui le préserve du tout-évident, de la sur-communication. Je me méfie du spectaculaire. Une exposition, c’est comme une lecture, ça se traverse à son rythme. On peut y rester cinq minutes ou deux heures.

Eric Mangion ©j-Ch Dusanter

En 2011 vous participerez à un grand événement azuréen fédérant plusieurs lieux d’art emblématiques.
Oui, la Villa traitera de la performance. Un sujet important que je fouille depuis plus de deux ans. Dès mon arrivée à Nice, je me suis demandé comment faire une expo identitaire
sans tomber dans le régionalisme. Des années 50 à aujourd’hui nous sommes dans un territoire marqué par la performance, largement plus que Paris. Cela commence en 1951 avec le scandale des lettristes à Cannes suite à la projection d’un film sans images impliquant Cocteau, Rohmer et Guy Débord puis se poursuit avec Arman, Klein, Ben, jusqu’à nos jours avec des personnalités comme Arnaud Labelle Rojoux ou Jean-Luc Verna. L’exposition fera l’objet d’un gros catalogue dévoilant une somme d’informations jusqu’alors inédites.


Et aujourd’hui, quels sont vos rapports avec l’art contemporain à Nice ?

Il me semblait vital que la Villa collabore avec ses voisins. C’est pourquoi nous nous sommes engagés avec l’association BOTOX(s). Avec peu de moyens, on a fait beaucoup de choses. C’est quand même plus agréable de travailler ensemble, cela suscite le plaisir, l’envie. La ville ne profite pas assez des richesses qu’elle a sous la main. De notre côté, avec Alain Derey, nous avons beaucoup œuvré pour cette ouverture. Quand on organise des voyages de presse, les journalistes sont systématiquement emmenés dans les autres lieux d’expositions niçois. Depuis quelques mois, nous hébergeons dans une salle de l’amphi-
théâtre qui a été rénovée, « l’éclat », une association issue de la mission cinéma de l’Espace magnan. C’est une structure autonome avec laquelle nous collaborons. Dans le cadre de notre prochaine exposition, « l’éclat » propose sa programmation de films. Jacques Rozier viendra y présenter « Maine Océan », une comédie des années 70 basée sur les difficultés de communication d’un groupe de touristes étrangers dans un train.

Comment fonctionnent aujourd’hui les résidences d’artistes ?
Il y en a 6 par an, 6 bourses de 5 000 euros qui permettent à des artistes de tous horizons de venir travailler dans nos murs entre 2 et 4 mois. Là aussi j’ai essayé de faire bouger les lignes. Soit je demande à des partenaires en région de présenter des dossiers incluant des projets en extérieur, soit je sélectionne moi-même des artistes sous condition qu’ils créent un lien avec l’extérieur. Nos résidents actuels s’occupent ainsi de la médiation de l’exposition en cours. Les résidences doivent aussi participer au processus d’ouverture.


Quels sont vos passions, hormis l’art contemporain ?

Je suis très attiré par la littérature et plus particulièrement par la poésie qui propose pour s’exprimer en public des inventions qui tiennent du bricolage expérimental mais offre une réelle alternative à la lecture traditionnelle qui n’attire plus grand monde. Nous allons recevoir en résidence en fin d’année Olivier Cadio, poète contemporain, auteur d’un livre incontournable « Retour définitif et durable de l’être aimé ». Prochain invité d’honneur du Festival d’Avignon, il viendra après cette 64ème édition à la Villa pour préparer un album avec Rodolphe Burger,
chanteur compositeur du groupe rock « Kat Onoma ». Sa poétique des mots qui se prête à la musique actuelle, il l’a prouvé aussi avec Alain Bashung, prend sa source dans ses balades d’enfant alsacien au cœur de la nature. Sorte de Robinson des temps modernes, Olivier pratique une langue inventive jubilatoire et sensuelle qui réinvente l’espace.

Vous semblez être un homme heureux, des souhaits pour 2010 ?
Certes, comme bien des structures culturelles, nous avons dû réduire un peu la voilure en termes d’expositions. Mais cela me permettra de me concentrer sur d’autres chantiers, de faire plus de collaborations notamment avec l’école. Nous travaillons dans des territoires encore trop éloignés, trop marqués sur un modèle des années 70. Je trouve qu’il y a quelque chose à inventer à la Villa Arson qui soit plus en phase avec la triple identité du lieu. Les passerelles existent mais elles sont encore trop modestes à mon goût.

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