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En souvenir de Claude Morini (Chap. 27, Part IV)

La passion de peindre
Mais c’est le moment d’évoquer le travail admirable fait par François Bourgeau, le fils aîné de Claude Morini, pour honorer la mémoire de son père. Déjà le catalogue de l’exposition du CIAC comportait, de lui, un témoignage biographique essentiel si l’on veut s’approcher au plus près de cet artiste ultra-sensible mais d’une très grande conséquence du point de vue de la peinture. Sous le titre « La passion de peindre », voici ce qu’écrit François Bourgeau :
Mon père, Claude MORINI, a connu une existence courte mais tout entière liée intimement à la peinture Peinture Passion comme si sa pratique, nécessairement douloureuse, ne pouvait jamais se suffire à elle même, exigeant toujours qu’il y revienne... pour donner davantage à voir
Il naît et grandit dans la peinture, s’y engage à l’âge de 18 ans comme on entre dans les ordres, souffre d’en être privé durant l’armée, et, plus particulièrement, en Algérie, devient peintre et vit de son travail jusqu’à en mourir à l’âge de 43 ans.
Dans les pages qui suivent, j’ai tâché de raconter son existence entièrement tournée vers les autres à travers son dévouement à la peinture.
Des reproductions, des extraits de sa correspondance et de ses notes personnelles ainsi que les témoignages de ses amis sont là pour illustrer les épisodes les plus marquants de sa vie toujours liés à son amour pour la peinture.
C’est à ma mère qui a su fonder et animer cette « passion de peindre » que je dédie ce récit.

« Les collectionneurs » (1979) Gravure

Naître et grandir dans la peinture
Naître et grandir dans la peinture... (1939 1956)
« Claude est né à Limoges le mardi 3 octobre 1939 raconte sa mère, Carmen Bourgeau. Ce jour là, on peignait les vitres de la clinique en bleu marine, comme dans toute la ville, pour la défense passive... La guerre était déclarée depuis un mois et, depuis un mois aussi, son père était au front... Il y avait de l’inquiétude dans l’air. Beaucoup d’inquiétude...
Pourtant, petit garçon, il était très gai, sociable et rieur.
Il conservera d’ailleurs dans la vie un vrai sens de l’humour et, à côté d’une peinture austère à certains égards, on en retrouve la trace dans ses dessins et ses gravures. (« Trois diables en soutane », « Trois diables patriotes », « La lettre du Maire »)
La garderie d’enfants, l’école, le lycée et tout ce qui touchait de près ou de loin à l’organisation scolaire et plus tard militaire lui donnaient des maux de tête... poursuit elle. Au lycée, à la Rochelle, l’un de ses bulletins trimestriels mentionne : « Toujours le premier sorti et le dernier rentré. »
II réussissait surtout dans la course à pied.

Lettre adressée à Monique

Enfant, il côtoie la peinture et notamment celle de son grand père maternel, peintre impressionniste hongrois, Edmund Pick, dit MORINO. Son image le marque profondément bien qu’il ne le rencontre qu’une fois. Il écrira « Je suis peintre grâce à lui et je porte son nom pour que son nom reste ».
À l’adolescence, il fait preuve d’une grande sensibilité à l’égard de ses semblables. À l’instar de sa mère, assistante sociale, et dans la droite lignée de la charité chrétienne à laquelle il restera toute son existence extrêmement sensible, il fonde au Lycée de la Rochelle un groupe d’action sociale, A. V. S. (« A Votre Service ») dont la mission est de porter à domicile le repas de ceux qui ne peuvent se déplacer. Mais il ne s’agit pas que d’une aide matérielle : « Bien sûr il est important d’apporter de la nourriture, mais on ne vit pas que de pain », répète t il à ses compagnons. À 17 ans, dans la mouvance de ce groupe, il traverse l’Italie jusqu’à Assise sur les traces de Saint François. Les fresques de Giotto constitueront pour lui une véritable révélation. À cette époque, il fait part de son engagement pour les autres. Mais il avoue dans le même temps sa forte attirance pour la peinture, comme en témoigne cet extrait d’une lettre adressée à sa mère : « Tu sais que j’ai fait l’engagement d’assurer une présence aimante à ceux qui souffrent mon idéal c’est d’être un autre me donner Dieu me le demande voilà le problème... Mais j’ai la peinture. »,
À 18 ans, il se rend à Paris avec l’idée de faire de la décoration, devenir étalagiste peut être. Il y débute des études de commerce, vraisemblablement pour répondre à l’insistance de son père, soucieux de son avenir, et lui même commerçant. Mais cette formation ainsi que la vie parisienne ne lui conviennent pas et cette voie sera très rapidement abandonnée. « Ce soir je suis complètement mort Tout est sale, moche et rapide. Le bruit, le mouvement et à l’école alors c’est une autre histoire cravate, chemise et pour terminer on est vendeur c’est tellement mesquin... L’année dernière j’ai vu la vie, la religion, la pureté, la peinture ici c’est l’argent, le mouvement et, même au foyer le dimanche matin, le type qui n’est pas pressé il faut qu’il fonce… Pourquoi ? Je crois que je ne suis pas sur la bonne route », écrit il fin 1957 à ses parents.
Son dilemme persiste : doit il peindre pour lui comme son désir le lui commande ou se consacrer aux autres comme il s’oblige à le faire ? Tout est prétexte à peindre, mais il crée également un groupe d’aide aux personnes âgées.

« L’homme de quarante ans » (1979) Gravure

Entrer en peinture
Entrer en peinture (1957 1959)
Mon père annonce son désir d’être peintre : « Paris plus encore qu’avant me paraît pauvre, je ne vois que la misère... Je veux avoir un métier artistique et ce qui me chagrine le plus c’est qu’en ce moment je ne fais pas du tout une préparation à cela... Heureusement, je viens de m’inscrire à l’école du Louvre, dimanche matin à 10h histoire de l’art... »"
Dès le mois de novembre, il quitte l’école de commerce pour s’inscrire à l’atelier Penninghen et il entre en peinture.
« ...Je suis depuis deux jours chez Met de Penninghen, j’ai un travail formidable... L’atelier forme des garçons à la déco, au dessin, an croquis, mais surtout à être fort et à rester des heures sur son dessin. C’est vraiment une bonne école pour la vie dure que je commence, car le peintre plus qu’un autre doil fournir beaucoup. Merci pour les études que je peux.faire... Un peintre doit être dur pour lui, car il a un devoir : il doit donner... »

« 3 diables patriotes » (1980) Gravure

Sa mère se souvient que cette tendance pour la peinture était profondément ancrée : « Depuis longtemps Claude avait le désir d’être peintre. À l’âge de 13 ans, lors d’une exposition des œuvres de Renoir à Limoges, en contemplant longuement « La Liseuse », il nous avait alors confié avoir reçu un choc, la vocation de la peinture ».
Daniel Cotta, avec qui il partage une chambre à Paris en 58, se souvient de ses débuts.
« Son travail d’étudiant était axé autour d’une « recherche de matières », et ses premiers travaux sont composés d’éléments hétéroclites. Il produisait quantité de croquis essentiellement au fusain et, pour ce qui est de la peinture, il utilisait toutes sortes de supports et ne rechignait pas devant les papiers et cartons d’emballage. Souvent, quand je rentrais le soir, je retrouvais en vrac dans l’évier toute la lessive que j’avais laissée à sécher sur le fil dans la chambre... et celle ci remplacée par ses peintures qui séchaient sur le fil !
Un jour un clochard a sonné pour demander soupe et asile, Claude l’a trouvé tellement « photogénique » si je puis dire, qu’il lui a demandé de ne pas bouger et l’a croqué.
Invariablement, pour être sûr de ne pas oublier l’un ou l’autre, il avait toujours dans la petite poche, le long de sa jambe, sa brosse à dents, une petite spatule et un pinceau ! Déjà à ce moment là, Claude avait des angoisses des migraines régulièrement.
Au printemps 1958, il désire rejoindre son oncle, André Pick, qui vit dans le sud de la France. Celui ci était à la fois peintre et franciscain ! Il se rend à Nice au mois de septembre et pourra loger dans une cellule du monastère de Cimiez... Quelle aubaine pour lui qui pense intimement pouvoir concilier désir de peindre et volonté d’aider. Il crée une nouvelle fois un groupe d’action à destination des personnes âgées les plus démunies. Mais entre deux soupes populaires, il va peindre avec son oncle !
André Pick se souvient des moments passés avec lui sur le port d’Antibes ou dans l’arrière pays. Tout en peignant il l’interrogeait sur Edmund Pick Morino, son père... Sa ferveur pour la peinture était empreinte d’une admiration ambiguë pour cet aïeul mythique : « Je crois qu’il en parlait beaucoup parce que lui était peintre et ne faisait que peindre, mais son impressionnisme académique et ses origines bourgeoises le dérangeaient ». (…) C’est l’année qui suit en 1959, que le jeune Claude rencontre Monique Beaugrand qui deviendra son épouse et, un tout petit peu plus tard, ma mère. Leur amour prend naissance à l’occasion de l’un de ces repas qu’ils avaient pris l’habitude d’organiser à l’intention des plus pauvres. « Grande joie et grande fête » écrit il.

Etude pour les Possédés (1979) Huile/toile

Elle l’accompagnera tout au long de son existence et, à chaque période de doute, l’encouragera à poursuivre en peinture. André Pick, qui vivait près d’eux, se souvient encore aujourd’hui qu’alors qu’il conseillait à son neveu de trouver un travail régulier et de mettre la peinture en sourdine « pour monter son ménage », Monique lui a rétorqué « Claude sera peintre et ne sera que peintre ».
De très nombreuses œuvres sont accompagnées de la dédicace : « Pour Monique »
En novembre 59, il est appelé à Brive pour le service militaire. Son inquié¬tude est double car il va devoir se séparer et de sa jeune fiancée et de la peinture. Heureusement à la même période Monique suit ses études à Paris où il peut assez facilement se rendre pour ses permissions. Il les retrouve donc Monique et la peinture car leurs lieux de rendez vous sont toujours des musées.
« Peux tu être Jeudi 24 le matin à l’Orangerie la fermeture est je crois à 13h si tu es libre le matin... j’y serai depuis l’ouverture et puis le jeudi soir à l’art moderne...jusqu’à la fermeture – 17h30, lui écrit il. (F.B., extrait)

« Le couple » (1979) Gravure

(A suivre)

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