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ECOLE DE NICE- CHRONIQUE 30 : Deux très singuliers parmi les Atypiques - Chronique Bimensuelle sur l’Ecole de Nice - par André Giordan et Alain Biancheri pour Art Côte d’Azur

Résumé des chroniques précédentes

Les apports de la mouvance Supports-Surfaces, ceux de Fluxus-Nice et les « anciens » du Nouveau Réalisme, récupérés par l’Ecole de Nice ont fait l’objet des Chroniques précédentes. Dans la dernière chronique, un dernier groupe disparate réunissant les artistes présentant des démarches et des projets très différents a été proposé : nous les avons nommés les « atypiques » !

Les artistes « atypiques » qui ont travaillé ou travaillent à Nice ou dans la région sont plutôt nombreux… Difficile de les classer comme aiment le faire les critiques d’art, de les catégoriser dans une seule direction ou de trouver une convergence entre eux. La richesse de ce supposé groupe, et par là de l’Ecole de Nice, tient justement à leur diversité, tant dans leurs processus que dans leurs productions.
Plutôt que de chercher un dénominateur commun, illustrons cette grande disparité. Prenons deux artistes que le « monde de l’art » n’honore pas de la même façon. Pourtant tous deux, dans leurs essences et les divergences ont été des précurseurs.

Guy Rottier

Guy Rottier n’est connu que par les initiés et les spécialistes. Pourtant !.. son œuvre ne manque pas de déclinaisons. Ingénieur et architecte, né en 1922 à Sumatra (Indonésie), il habite depuis 1987 à Belvédère, dans le Moyen Pays niçois. Il a collaboré avec Le Corbusier pendant trois ans pour l’Unité d’habitation à Marseille, puis se lance dans la conception et la réalisation de maisons de l’avenir

Guy Rottier, tel qu’il se présente !

En lien avec nombre d’artistes de l’Ecole de Nice, comme Arman, Bernar Venet ou Jean Mas, il est notamment le créateur des « maisons escargots », extensibles suivant le principe de la croissance de cet animal au fur et à mesure de l’agrandissement de la famille ou de la maison en carton faite pour les vacances et que l’on démonte après.
Il a également fait des projets d’habitations en ossature en béton armé ou en acier (préfabriquée ou non), recouverte de terre ; la maison se transforme en jardin aménagé suivant les idées de l’habitant. En lieu et place de la terre, il propose d’employer n’importe quel matériau (objets de rebut, pierres en vrac, traverses de chemin de fer, vieilles voitures, etc...).

Guy Rottier, Maquette et réalisation de la maison d’Arman

Une rétrospective de son travail fut présentée en 2006 au Forum de l’architecture à Nice dans l’exposition Vivre autrement.

Sur le plan plus strictement artistique, il est surtout connu pour ces sculptures d’échiquiers. Tout en respectant les 64 cases indispensables, il propose des échiquiers plus rationnels, plus irrationnels ou plus esthétiques.

Guy Rottier, Echiquier (1988) Collection André Giordan, Photo Séverine Giordan

Dans « l’esprit » de l’Ecole de Nice, quoique inclassable, il a réalisé par ailleurs nombre de dessins libertaires, utopiques, écologiques –notamment une étude pour un cimetière d’artistes de l’Ecole de Nice, exposé en 2005-. et de maquettes futuristes, collectionnées par le Centre Pompidou à Paris, le Frac Centre d’Orléans, le Musée d’Art Moderne de Nice, l’Académie d’Architecture à Paris et la Fondation Claude Nicolas Ledoux d’Arc et Senans.

Bernard Venet

Bernard Venet est actuellement l’artiste le plus connu et le plus médiatisé de l’Ecole ; il expose à partir du 1er juin 2011 dans les jardins du château de Versailles. Né en 1941 à Chateaux Arnoux, dans les Alpes de Haute-Provence, il matérialise d’entrée le concept de la forme : il se fait photographier devant un amas de goudron au jardin Albert en 1963. Son but est de montrer une sculpture livrée à sa propre extension. A la même époque, il privilégie l’aléatoire ou le déploiement de Cartons qu’il enduit de couleurs monochromes.
Bernar Venet est installé alors rue Pairolière, dans le vieux Nice ; les Cartons Peints constitue sa première véritable exposition, à la galerie-librairie Matarasso à Nice.

Bernard Venet, “Relief carton” - 1965 - Peinture industrielle sur carton ondulé122 x 102 cm - Coll. MAMAC, Nice

Avec la découverte des plans et du dessin industriel, le concept de la forme va bientôt laisser place à celui de la ligne qu’il va développer avec un certain nombre de variantes.
Les équations mathématiques vont également faire l’objet de tableaux qui présentent une accumulation de signes occupant toute la surface de la toile. Ces signes sont une création de l’homme, ils n’existent pas dans la nature, et Venet veut conserver uniquement le signifiant pour animer une surface et la remplir dans une composition All Over. Nous sommes alors dans le concept, matérialisé, comme l’a fait Joseph Kossuth, par des éléments graphiques dépouillés de leur sens, mais qui mettent à jour plastiquement la pensée mathématique.

Bernard Venet, Astrophysics, 1968

Dès 1968, Venet s’installe à New York ; l’arc, l’angle, et la diagonale, isolés de leur contexte, vont donner lieu aussi à des réalisations sculpturales en acier et occuper l’espace sous la forme d’installations souvent hypertrophiées. Ses recherches intellectuelles se dirigent vers la réflexion théorique et l’enseignement à la Sorbonne.
A partir des années 80, les lignes indéterminées, issues d’un tracé quelconque, comme pouvait le faire le surréaliste André Masson à travers son écriture automatique, vont aussi se matérialiser sous la forme de sculptures de très grandes tailles en acier brut. Installées dans différentes parties du monde - et en particulier sur la Cinquième Avenue à New York – elles mettent en évidence la dichotomie intérieur/extérieur -car on peut les parcourir, y pénétrer...- et la matérialisation d’un geste aléatoire.
L’opposition entre la fragilité du signe et la robustesse du matériau crée une distorsion visuelle et s’oppose à la sculpture traditionnelle ; l’altération du matériau, par l’apparition de la rouille, accuse l’aspect éphémère des lignes. Selon Bernar Venet, les Lignes indéterminées créent « une altération, une désorganisation, une perturbation » de l’espace.

Bernar Venet (Nice-Matin, Photo Christophe Chavignaud)
Bernard Venet, Arc de 115°5 (Jardin Albert premier 1988)
Bernard Venet, Neuf lignes obliques (Quai des Etats-Unis, 2010)

Ces installations occupent aujourd’hui de nombreux lieux de part le monde. On peut en rencontrer quelques-unes sur le sol niçois, par exemple au Jardin Albert Premier ou Quai des Etats-Unis.

Pour en savoir plus

Alain Biancheri et André Giordan, Les nouveaux réalistes, Ovadia, 2011

http://www.leseditionsovadia.com/si...

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