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CHAPITRE 13 (part I) : Chronique d’un galeriste

La chronique de la semaine signée Alexandre de la Salle, dédiée à Horacio Garcia Rossi.

Horacio Garcia Rossi nous a quittés, et j’en suis très triste. Il aura été chez moi le digne représentant du Cinétisme, avec cette parfaite maîtrise technique qui lui aura permis de passer avec bonheur du mouvement réel de ses machines à celui, plus secret, moins redondant, de sa peinture Couleur-Lumière, dénomination qui montre à l’envi sur quelle crête il se tient : il est celui qui a su se servir de la couleur comme couleur, et de la couleur comme lumière.
J’ai commencé à l’exposer début 1987 dans un groupe, avec Alanore, Alocco, Arden Quin, Caral, Chubac, Decq, Gasquet, Giordan, Klasen, Krefeld, Le Houelleur, Leppien, Luca, Presta, Rossel, Edmée, Villeglé…, et tout de suite, seul, l’année suivante, en juillet 1988, son exposition s’intitulait : « La Peinture couleur/lumière ».
Dans le catalogue de l’exposition, il avait souhaité reproduire un texte écrit par lui à Paris entre 1978 et 1980 :
« En 1962 j’ai commencé à m’intéresser à la lumière en tant que moyen d’expression plastique et en 1963/65 à la couleur lumière comme problématique unifiée. Durant ces années j’ai réalisé des expériences sur des Reliefs à lumière instable, Boîtes lumière-couleur à manipuler par le spectateur, etc.
Ces expériences au sein du G.R.A.V. (Groupe de Recherche d’Art Visuel) ont été réalisées sur des œuvres à trois dimensions, cinétiques, c’est à dire avec le mouvement.

Plaquette d’une exposition Garcia Rossi à la galerie Alexandre de la Salle
DR

Par la suite, en 1970, j’ai repris le problème de l’œuvre à deux dimensions. J’ai réalisé des expériences sur la couleur et suivant une théorie générale sur la recherche continuelle, j’ai fait des incursions dans le domaine de la sémiotique, du rapport entre l’écriture et la forme (Voir Portraits des noms).
En 1978 je suis arrivé, dans des œuvres à deux dimensions, à imbriquer la couleur et la lumière en tant qu’unité indissoluble. Dans ces recherches la couleur ne se manifeste pas, ni comme élément décoratif en soi, ni comme variété de diverses couleurs juxtaposées, mais comme un conglomérat d’éléments bases destinés à créer une nouvelle structure de visualisation : la couleur lumière.
Cette couleur lumière, irradiante, s’amalgame dans la rétine du spectateur suivant un dosage rigoureux et contrôlé de tous les éléments qui composent cette recherche ». (Horacio Garcia Rossi, Paris, 1978-1980).

Horacio Garcia Rossi ou La voie expérimentale

Dans le même catalogue figurait un texte de Jean-Louis Pradel de juillet 1984 :
« Choisir délibérément la voie expérimentale pour sceller la pratique artistique à son temps, employer les matériaux, les moteurs et les sources de lumière que la technologie contemporaine nous offre pour transformer la vie quotidienne, est le défi que quelques artistes ont voulu relever lorsqu’ils se sont rencontrés à Paris dans les années 50. Il s’agissait d’en finir avec des pratiques picturales surannées en quête d’improbables petites sensations dans un monde terriblement bruyant en proie à une frénésie tumultueuse que la reprise économique de l’après—guerre transformait si vite et si profondément, où chacun voyait ses pratiques les plus familières, les plus coutumières, être irrémédiablement remises en cause par l’irruption de toutes sortes de machines domestiques, pendant que les moyens de communiquer et de voyager changeaient la vie, le concept de proximité devenant tout autre, offrant des armes illusoires à l’individualisme dans des sociétés massifiées à l’extrême.

Alexandre et France de la Salle devant « l’affiche » de l’exposition Garcia Rossi en 1988
DR

Horacio Garcia Rossi arriva à Paris en 1959. Comme Julio Le Parc, il avait été l’un des leaders de la révolution qui avait secoué les écoles d’art de Buenos Aires au moment de la chute de Péron en 1955. A cause, entre autres, de l’excellente activité des services culturels français en Argentine, Garcia Rossi avait toujours été animé par la volonté de venir à Paris, lieu obligé de la modernité en art.
Dès l’année suivante, en 1960, Garcia Rossi, avec Le Parc, Morellet, Sobrino, Stein et Yvaral fondent le G.R.A.V. (Groupe de Recherche d’Art Visuel). De 1959 à 1961 Garcia Rossi mène un travail de recherche de type fondamental, d’abord en noir et blanc, sur le mouvement virtuel, la programmation et la systématisation, ensuite apparaît un travail sur la vibration et la juxtaposition des couleurs.
C’est en 1962, 1963, que Garcia Rossi entreprend ses recherches sur le mouvement réel avec des boîtes à lumière qui peuvent être manipulées par les spectateurs. Ainsi commence un travail sur l’instabilité, concept-clé qui se retrouvera au centre des recherches de 1964 1965. Contre la fixité, la stabilité traditionnelle de l’œuvre d’art, le système rigoureux mis en jeu par Garcia Rossi peut s’offrir le luxe de convier ses principaux paramètres, les lumières, les couleurs et les motifs, à jouer dans la latitude aléatoire qu’il leur offre, et à l’intérieur de laquelle peut intervenir le spectateur devenu manipulateur des expériences engagées par l’artiste. Aux Boîtes de Lumière succèdent donc les Reliefs, les Structures à Lumière Instable, les Lumières Instables et les Structures à Lumière Changeante.

Horacio Garcia Rossi devant « Couleur-lumière » (1987).
DR

En 1967-1968 Garcia Rossi prolonge ses expériences précédentes en les enrichissant par l’intervention de nouveaux motifs, l’abécédaire, les chiffres, voire les portraits même des membres du G.R.A.V., qui décide de se dissoudre en tant que groupe au moment de la tourmente de 1968.
Dès lors le travail de Garcia Rossi se caractérise par la volonté de conjuguer l’ensemble de ses recherches formelles aux figures codées proposées par les modèles linguistiques, ainsi Mouvement, de 1964 à 1967, est à la fois le mot lui même et la mise en jeu de sa signification. Au-delà des contradictions qu’il soulève, ce jeu d’aller retour entre différents niveaux de signification ajoute à l’instabilité des codes qu’ils mettent en scène, aux ambiguïtés inhérentes au réel et à ses représentations. Lumières, couleurs, espaces sont autant de mystères qui se voient confrontés au peu de réalité du nommé. Artiste chercheur, Garcia Rossi nous conduit à faire exploser les catégories de l’Imaginaire, ouvrant celui-ci à la logique mathématique comme aux recherches linguistiques sous le feu d’une prise de conscience des effets de la technologie contemporaine ». (Jean-Louis Pradel, Paris, Juillet 1984).

Catalogue exposition « Couleur-Lumière » galerie Alexandre de la salle (1988)
DR

Horacio Garcia Rossi et Carmelo Arden Quin

Il est vrai qu’au moment où j’ai connu Horacio, j’étais depuis longtemps passionné par l’abstraction géométrique, et plus particulièrement par l’œuvre révolutionnaire de Carmelo Arden Quin, né en Uruguay en 1913 mais ayant fondé le Mouvement Madi en 1946 à Buenos Aires. Horacio était argentin (né à Buenos Aires en 1929), et impressionné par le pionnier Arden Quin qui, comme lui, n’avait eu qu’un souhait : venir à Paris.
Après un séjour entre 1950 et 1957 aux Beaux-Arts de Buenos Aires, où il a été élève puis professeur, après avoir participé (entre 1954 et 1958) à des expositions collectives en Argentine et en Amérique latine, Horacio Garcia Rossi vient à Paris en 1959.
En 1960 il est donc co-fondateur du G.R.A.V. avec Julio Le Parc, né en 1928 à Mendoza (Argentine), François Morellet, né en 1926 à Cholet (France), Francisco Sobrino, né en 1932 à Guadalajara (Espagne), Joël Stein, né en 1926 à Saint-Martin Boulogne (France), et Jean-Pierre Vasarely (fils de Victor Vasarely) dit Yvaral, né en 1934 à Paris.

Alexandre de la Salle pendant l’exposition Garcia Rossi (1988)
DR

Dès 1959 Horacio Garcia Rossi participe à la Première Biennale de Paris au Musée d’Art Moderne, ensuite c’est « Art Visuel » à la Galerie Latino-américaine de Bruxelles, « 22 peintres argentins contemporains » à Tel-Aviv… En 1961 « Nouvelle Tendance » au Musée d’Art Moderne de Zagreb et présentation du « Groupe de Recherche d’Art Visuel (G.R.A.V) chez Denise René, Paris. En 1962 « L’instabilité », manifestation du Grav à la Galerie des Beaux Arts », Paris, expositions à Padoue, Milan, New York, en 1963, Salon Comparaison au Musée d’Art Moderne, Paris, et « Esquisse d’un salon », Galerie Denise René. Paris. « L’instabilité », manifestation du Groupe de Recherche d’Art Visuel, au Festival International des Films Expérimentaux, Knokke le Zoute, Belgique, et à Rio de Janeiro. En 1964, « L’instabilité », du G.R.A.V au Museo Nacional de Bellas Artes, Buenos Aires, et à Sâo Paulo, « Mouvement II », Galerie Denise René, Paris, etc. Entre Denise René et les musées d’Amérique latine, et du monde entier, quelque chose s’est ancré, de solide, autour d’Horacio et du G.R.A.V. Et avec les expériences dans la rue, comme en 1966 « Une journée dans la rue », manifestation du Groupe de Recherche d’Art Visuel, Paris. Sans oublier en 1967 « Dix Ans d’Art Vivant », à la Fondation Maeght, Saint Paul de Vence, « Lumière et Mouvement » au Musée d’Art Moderne de Paris, et « De Mondrian au Cinétisme », Galerie Denise René, Paris. C’est un parcours incroyable, et, je le répète, à moi qui étais passionné d’art géométrique, l’œuvre d’Horacio est apparue immédiatement de première importance… »

A suivre...

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