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CHAPITRE 8 (part II) : Chronique d’un galeriste...

Suite de la chronique d’Alexandre De La Salle entamée hier...

Alexandre de la Salle – Quand on suit à la trace le parcours d’André Verdet, on tombe sur des petits trésors archéologiques, des livres-objets, des livres-poèmes, avec des matières recherchées, des sérigraphiées… Le « noir » si étrange, mais si bien vu, de « Provence Noire » (1955), on le retrouve dans la publication de la Galerie Apollinaire de Milan, intitulée « disegni pitture e arazzi del poeta A.Verdet » (marzo 1959), prefazioni di San Lazzaro, Magneli, Le Noci, où la photo d’André a été faite par Hans Hartung.
Au dos de la couverture, cette phrase de Pablo Picasso : « J’ai même aimé les dessins de Verdet avant qu’il les fasse. J’ai deviné la maladie qu’il avait en lui ; j’ai été son médecin, son chirurgien, et je l’ai opéré à vif… Aujourd’hui c’est une peinture qui se porte bien » (Pablo Picasso).
Et encore : C’est extrêmement nouveau. Dans cinquante ans, on dira que c’était bien du siècle, et des satellites et des fusées, que tu as vraiment suggéré le monde d’aujourd’hui. Mais en attendant beaucoup de gens ne te pardonneront pas d’être à la fois peintre et poète parce que trop de gens aiment le cloisonnement dans l’art chez un peintre ou un poète » (Pablo Picasso).

André Verdet par Hans Hartung
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Picasso va toujours à la fois en profondeur et avec distance : il a l’œil. C’est formidable qu’il mette l’accent, chez André Verdet, sur le lien entre les temps, le passé et le futur, la tradition, et la science-fiction. Une « science-fiction » que des astronomes de métier, des physiciens, ont trouvée très pertinente, pour ne pas dire vraisemblable. Le poète est un voyant. Et cette proximité à la terre, au ciel, aux étoiles, perçus d’une manière certainement hyperesthésique chez André dans son enfance - ce que Picasso appelle sa maladie – n’a pas ligoté André au ras du sol, mais l’a envoyé dans l’Espace, jusqu’à en ressentir peut-être, une forme de naissance. C’est très drôle que Picasso dise qu’il a été son chirurgien, mais c’est aussi très vrai. Et ce qui est peut-être encore plus vrai, c’est que la poésie d’André sera surtout comprise dans le futur. Etant, comme dit Pablo, celle du monde d’aujourd’hui, mais enracinée. C’est très fort.

Dessin d’André Verdet dans la plaquette de la galerie Appolinaire (fragment)
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Arbre-totem

Dans la plaquette de l’expo chez Guido Le Noci, en 1059, la préface de San Lazzaro annonce de plus comme une réinvention de l’art du paysage par André Verdet :
« Mon cher Verdet. Je dois te confesser que, depuis déjà plusieurs années, je n’arrivais plus à voir le paysage, le paysage dans lequel, pourtant, je me sentais évoluer. Comme un aveugle, je le respirais, je le touchais de la main, je l’écoutais mais je ne le voyais pas.

Dans tes peintures, dans tes gouaches, dans tes dessins, que j’ai été un des premiers à admirer, j’ai retrouvé l’arbre, l’étoile, la lune : enfin, le paysage semblable à celui que voyaient les Anciens, et servant de toile de fond aux belles hanches et aux seins ronds de leurs Vénus endormies sur l’herbe. Je veux dire le paysage mental, participant à la peinture de ces temps heureux. Même si sur ton paysage éclate parfois quelque fusée atomique, mentalement je le préfère à celui de Braque, aux champs de Braque, qui, pour tant que je puisse les aimer, réveillent néanmoins en moi l’obsession physique de la Terre trop dure, trop riche dans sa fécondité, terre de la sueur biblique et du péché originel. Au contraire tes tableaux me disent que l’on ne vit pas seulement de pain, et c’est beau de l’entendre dire de la part d’un peintre qui est aussi poète.

Ton arbre n’est ni celui d’Eve, ni celui de Guido, moins encore ce¬lui, désolé, de Van Gogh. Sous son ombre, la bombe atomique ne me ferait pas plus peur que l’Apocalypse. Tu as rendu l’arbre à la peinture abstraite, cher Verdet, comme le Douanier l’avait rendu, avec toutes ses branches et toutes ses feuilles, aux cubistes.

Tes œuvres plus récentes sont beaucoup plus intéressantes pour la critique. Je sais que les peintres te les envient et que les collectionneurs les arrachent encore humides de tes mains. Mais moi je ne pourrai jamais oublier ces premiers paysages ni surtout l’Arbre Totem que tu as envoyé à l’exposition chez Larcade ( c’était « Le Dessin dans l’Art Magique » Galerie Rive Droite, Octobre Novembre 1958, Paris), beaucoup plus beau, plus ma¬gique que la plupart des autres œuvres exposées, œuvres dues à des maîtres qui finiraient par me détester si je les nommais. Affectueusement. San Lazzaro »

Couverture de « Provence noire » par Picasso
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Dernière de couverture de « Provence noire » par Picasso
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Verdet, deux fois poète de la Provence

Et voici le texte de Guido Le Noci (traduit par Antonio Aniante), tellement intelligent sur la dimension vivante du monde qu’a saisie André, son mouvement, et le mouvement qu’il imprime au lecteur, au regardeur, à l’imaginant qui le lit, à l’acteur-lisant qu’il invite à sa découverte de l’univers… :

« Verdet. Deux fois poète de la Provence. En regardant les dessins de Verdet, si nouveaux, si imprévus, si absurdes, mais combien vrais, si l’être n’éprouve pas cet étonnement mystérieux, transcendantal qu’il nous est parfois donné de ressentir lorsque nous vivons un moment de l’éternel et imprévu mystère de l’univers ambiant, qu’il cesse alors de les regarder ; cela vaut mieux. Parce qu’il ne sait et ne pourra comprendre que les dessins de Verdet ne contiennent rien qui ne soit naturel, rien qui ne soit vrai. Essayez de vous rendre sur les lieux mêmes des dessins de Verdet, plus encore si ces lieux sont ceux de votre naissance, et restez là, contemplez les ... Si seulement un fil d’herbe de votre âme est encore enraciné à la terre, si vous êtes encore conscient d’être une créature de l’univers, même une poussière de créature, à un moment donné vous verrez que la terre, le ciel et la mer se meuvent ; exactement comme notre bouche et nos yeux remuent lorsque nous manifestons nos sentiments ; exactement comme nos gestes lorsque nous dessinons certaines images du subconscient ou de l’intuition visuelle ; exactement encore comme les oiseaux, les poissons, les choses se mouvaient autour de Saint François d’Assise lorsqu’il parlait avec la Nature.
Rien n’est impossible à l’âme humaine pour écouter les voix parcourant les espaces et, avec le radar de l’esprit, entrevoir dans la nuit la ronde des choses et des mondes en une lumière que nul ne pût jamais décrire (dont nul ne peut dire l’essence). C’est grâce aux poètes comme Verdet que nous nous souvenons d’être nous-mêmes parfois, ou des enfants de la Nature comme lui ; lui qui nous offre ces dessins insolites mais tellement réels ! Et Dieu seul sait combien nous avons vu et nous voyons de semblables images passer dans nos esprits et ensuite se dissoudre ainsi que des nuages dans l’immense, pour après se recomposer et de nouveau, peut être, passer sur l’écran d’une autre créature perdue, qui sait où sur la terre.

Mais ceci dit, en regardant les dessins de Verdet, nous nous posons la question : où mettons-nous Verdet avec de tels dessins ? Dans quelle catégorie de peintres devons nous, ou pouvons-nous, le classer ?
Et c’est vraiment le cas de dire que ces dessins ont une dimension autre, tant ils sont neufs et étrangers à la peinture que nous avons coutume de juger sur le plan esthétique et historique. Mais il n’est pas exclu aussi qu’ils puissent être le prélude d’un genre d’art visuel, en rupture totale avec l’ancien, une sorte de « poème vision » qui viendrait côtoyer la peinture que nous connaissons. Qui sait ? Cela ne serait pas étonnant en cette époque merveilleuse qui est la nôtre, où les conquêtes de l’esprit sont parallèles à celles de la science. (Guido Le Noci)

Couverture de la plaquette de la galerie Apollinaire
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Structure réconfortante ?

Et maintenant le texte de Magnelli, dans la même plaquette, qui insiste sur le côté heureux de l’art d’André, et pourquoi pas ? Une force vitale, qui était la sienne, et qui serait le « médicament » décelé par Picasso, ses anticorps à lui, l’hormone du bonheur ? Magnelli insiste aussi sur son « atypisme », qu’André note lui-même une fois de plus dans notre entretien de 1997. Texte de Magnelli :

« André Verdet. Un homme intelligent, mieux encore un homme doué d’une véritable imagination, avec de grandes possibilités vitales, un esprit solide qui a beaucoup de cordes à sa disposition. Naturellement, et malgré cela, il y a celui qui peut s’en servir et savoir les employer savamment. Il y a celui qui voit mais ne peut réaliser, tant avec des mots qu’avec des signes. Il s’est trouvé, et il se trouve encore, des peintres, des sculpteurs qui ont fait de la poésie et même de la magnifique poésie. Il s’est trouvé et il se trouve encore des poètes qui ont fait, ou qui font de l’excellente peinture poétique, et souvent de grande valeur. André Verdet, mon ami, est un poète célèbre dans son monde et qui sait réaliser une peinture jaillissant de la même façon de ses vers et de ses poèmes. Son imagination possède un large éventail, un éventail très varié. Il sait vaquer dans un domaine qui le tient toujours lié à sa poésie. Le voyage qu’il nous fait faire est extrêmement agréable et lo¬gique. Il nous donne à connaître son monde, sous tous ses angles. Il a toujours une forme qui réconforte dans l’expression actuelle d’un vide et faux impressionnisme. Les images d’André Verdet ont une structure réconfortante, qui leur est propre ». (Magnelli)

A suivre...

Retrouvez la première partie de cette chronique.

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