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CHAPITRE 8 (part I) : Chronique d’un galeriste

Retrouvez cette semaine la chronique d’Alexandre De La Salle, sur les bons soins de France Delville...

Alexandre de la Salle – Pour poursuivre l’histoire de ma galerie par l’époque de l’exposition « Ecole de Nice ? » en 1967 - époque très riche puisqu’elle concerne toute une constellation d’artistes - après Chubac et son amour d’une simplicité tellurique, importée de la Grèce, de l’Egypte, du Moyen-Orient, j’ai eu envie de continuer par un autre tellurisme, celui d’André Verdet, celui-là non importé, l’amour d’André Verdet pour la Provence, celle où il est né, mais dans l’entretien filmé que nous avons eu chez moi à Saint-Paul en 1997, la Haute-Provence l’a marqué, qui, dans son intégrité plus préservée, lui a donné des émotions métaphysiques. Il dit, de ses raisons d’être devenu peintre : « J’allais souvent ma promener dans la Haute Provence, parce que les montagnes ont des courbures planétaires. Le Haut Pays, Forcalquier, Sisteron…les hauts-lieux… j’étais fasciné par cela. J’en parlais souvent à Picasso. J’avais écrit un livre d’enfant. Je le lui apporte, illustré par une dame, et il me dit : pourquoi ne fais-tu pas un dessin, moi je te fais toujours des dessins dans les livres que tu m’apportes…fais-moi un petit dessin… il m’apporte des crayons de couleur. Je faisais déjà des petits dessins. Tous mes petits dessins ont été montrés au Musée Picasso à Paris, il y a deux ans tout ce que j’avais envoyé à Picasso, mes premiers dessins, il les avait gardés, ça m’a bouleversé. Il se place derrière moi, je me lance, et je fais un personnage qui oggre un bouquet stellaire à mon cher ami Pablo Picasso…Et il me dit : et bien tu vois, ça y est ! Et bien tu vas partir en Provence, tu me parles toujours de ces montagnes-là, qui te fascinent… alors, va au-devant d’elles, et travaille devant elles, mais pas seulement devant elles, avec elles, et à l’intérieur d’elles… voilà comment je suis devenu peintre, c’est très simple, et il faut le dire avec beaucoup de modestie… j’ai fait des choses naïves, fraîches… et quand j’ai eu ma première exposition chez Bénézit, j’ai été patronné par Picasso et en 48h j’ai presque tout vendu. J’étais parti en Provence, mais avant il y avait eu « Provence noire », avec des photos de Gilles Ehrmann, et une couverture de Picasso… »

Claude Belleudy, Jani, Alexandre de la Salle, Michel Magne, André Verdet, Gérard Eppelé
DR

Il a raison de mentionner ce chef-d’œuvre, dont je parlerai plus tard. Et à un autre moment il parle de Matisse qui, dessinant un oiseau, est capable, d’un trait de crayon, de faire danser les formes de la vie. A propos des dessins de Verdet à Picasso, on pense à Saint-Exupéry, qui avait griffonné le Petit Prince dans les marges de ses lettres, et un jour s’était emparé du « personnage » pour le mettre au centre d’une histoire. Dans l’extrait de vidéo choisi pour faire le clip qui accompagne ce chapitre, André convient qu’il peut être à la fois peintre, sculpteur, dessinateur, poète, essayiste, critique d’art, sans se spécialiser, alors que dans l’Ecole de Nice il y aura eu des « appropriations » parfois uniques, avec une exploitation à vie. Cela se défend, j’aime aussi la diversité. Et André déclare qu’il a toujours été et restera un marginal. C’est intéressant, car il se peut que ce qu’on appelle « L’Ecole de Nice » ne soit jamais qu’un regroupement à éclipses de marginaux. Non pas par rapport à l’Histoire de l’Art, mais entre eux, chacun étant le centre et la marge de l’autre. Car il n’y a pas eu de vrai centre, et c’est formidable. Il y a eu des locomotives, ce qui a permis à d’autres, des poètes, plus détachés, de se relier au Mouvement, tout en faisant des œuvres majeures. Chubac, Gilli, Chacallis, Nivèse… sont peut-être des poètes-plasticiens… Quant à Jean Mas, Verdet dit que c’est un perturbateur, et qu’il clôt la liste de l’Ecole de Nice, qu’après lui on tire le rideau. Et que, puisqu’on est en 1997, il faut mettre le point final, comme je le fais avec cette exposition.

Arman, Michel Magne, André Verdet, vernissage Michel Magne Galerie de la Salle (1975) Photo Jacques Gomot
DR

C’est très drôle, parce que depuis le début, l’un ou l’autre veut clore l’Ecole de Nice au moment qui lui paraît adéquat. Et elle est toujours là, comme une bouée, insubmersible… Dans la Baie des Anges ? la baie des requins, à ce qu’il paraît. D’autres disent « la baie des anchois », que mangeaient les requins, d’autres encore « la baie des dauphins », ça me paraît trop gentil…Mais C’est bon signe, chacun a son Ecole de Nice, son concept, sa définition, elle est vraiment un poème, elle aussi, avec tous ses détours. Moi je voulais lui mettre un point final en 1997, et puis l’invitation de Philippe et Mireille Rétif en 2010 a fait que ces « Cinquante ans de l’Ecole de Nice » ont pu devenir une manière de faire le point. Pour ceux qui ont voulu y réfléchir, bien sûr.

Frédéric Altmann – Mais André Verdet n’était plus là… Après avoir fêté ses soixante-dix ans à Saint-Paul, dans une grande fête publique, en dansant frénétiquement toute la nuit… On avait dit une dernière fois des poèmes ensemble, je regrette ces moments magiques où il était en transes…

André Verdet avec Farhi, Klasen, Arman, Nivèse (Photo Frédéric Altmann)
DR

Alexandre de la Salle – Oui, mais à l’anniversaire de sa disparition, deux ans après, nous avons fait une « Célébration cosmique » au Col de Vence, avec son éditeur Luciano Melis et tout un groupe de gens qui avaient eu envie de grimper au Col de Vence, de marcher jusqu’au Champ des Idoles, de lire du Verdet juchés sur des rochers, de cueillir du houx, de ramasser des cailloux en forme d’idoles… André Verdet est inoubliable dès que le ciel est étoilé, que c’est la saison des lavandes… Mais il était aussi très présent aux humains, se souvenant de tout. Par exemple de la présence de César à mon vernissage de mars 67. Il y a une photo de lui et Nadine Vivier place Godeau, un jour de vernissage, c’est très sympathique.

André Verdet, artiste-Protée

Dans « Le Paradoxe d’Alexandre », j’ai écrit : « André Verdet. Artiste-Protée, sans transition il passe du poème au tableau, du tableau-poème aux sculptures, du papier à la pierre, du métal à la céramique. Il est ici le survivant d’un pays, de tous ses grands amis peintres et poètes (Picasso, Léger, Prévert, Chagall, Kijno, César, Baldwin, et tant d’autres), et, du haut de St-Paul, il est comme une balise qui sonde les hautes mers ».
Et encore : « André Verdet. Il a tout tenté, tout engagé, et d’aucuns le pensent, tout amené à floraison : peintre, sculpteur, poète, écrivain, et même directeur de son orchestre, le groupe Beltégeuse. Et critique d’art n’hésitant pas à engager sa plume pour un artiste même inconnu. Il a aimé son pays, sa terre, ses rocs déments, sa sublime végétation, les rythmes chancelants de ses saisons, et, au loin, sa mer presque invisible à force d’être étincelante. Ses premières peintures, ses premiers écrits sont une saga qui inscrivent sa Grand-Terre parmi les Hauts-Lieux du monde. Puis son œuvre s’est réinventée, soumise à d’autres exigences, s’est fertilisée à nouveau au contact des artistes du Temps, et il le leur a bien rendu. Il part, au galop sans fin, vers d’improbables ailleurs, fait reculer les bornes de son imperium, attise encore sa plume, ses pinceaux, son regard. Toujours jeune homme ? Jani lui a consacré un très joli livre : L’homme à la crinière d’étoiles. (Alexandre de la Salle)

André Verdet présent (au fond) au vernissage « Les Cageots » de Ben, galerie de la Salle, Saint-Paul (1976) Photo Jacques Gomot
DR

Il était présent dans toutes mes expositions « Ecole de Nice », y compris celle de 1974, et je lui ai fait une expo individuelle en 1977 (5 juillet-4 août) intitulée « Le ciel et son fantôme ».
Jean-Claude Pecker, Directeur des Recherches d’Astrophysique à l’Observatoire de Paris, avait écrit : « Rien dans le ciel de Verdet qui puisse être contesté par le physicien ou le mathématicien. Un enrichissement de nos cosmogonies, un éclair sous les routes du ciel, et l’astronome, arrêté un instant, repart sur sa propre route, avec un regard un peu neuf - avec le regard bleu d’André Verdet sur le ciel sombre des Provences ».

J’en reparlerai. En 1999, pour le catalogue du « Paradoxe d’Alexandre », il m’a écrit ceci : « Après des avancées d’art contemporain dans sa petite galerie vençoise Place Godeau, Alexandre de la Salle aura su remplir dignement sa mission de montreur d’art dans le nouveau lieu qu’il avait érigé à Saint-Paul-de Vence, Route des Gardettes. Sa galerie, vaste, claire, aux cimaises superbes, a présenté au long de maintes années un choix d’œuvres variées et de belle facture. Alexandre a particularisé ses salles par la présentation décennale des artistes dits de l’Ecole de Nice... Mais il a aussi accroché des œuvres de peintres contemporains français et étrangers, renommés ou en instance de l’être, d’une qualité émergente, dont les œuvres continueront longtemps à satisfaire de nombreux collectionneurs... Ciao, Ciao, Alex, et a presto ! (André Verdet)

A suivre...

Page André Verdet (à côté de Bernar Venet) dans le catalogue (Ecole de Nice ? » (1967)
DR

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