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Chronique 33 Jean-Pierre Giovanelli (Part III)

Quelques fragments du parcours de Jean-Pierre Giovanelli…
De cette profusion de travaux et d’exégèses, et de travaux sur les exégèses, il faut bien extraire des fragments, et l’ouvrage réalisé avec la Villa Tamaris Pacha - livre dédié à Paul Virilio – y aide beaucoup. Prenons d’abord quelques textes, un extrait par exemple de celui de John Rajchman, philosophe écrivain, historien, critique d’art, ses travaux s’inscrivent dans les domaines de l’histoire de l’art, l’architecture et la philosophie continentale, et il enseigne à l’université Columbia à New York, il a introduit ou participé à la diffusion de nombreux penseurs français contemporains, tels que Paul Virilio, Michel Foucault, Gilles Deleuze ou encore Jacques Lacan aux Etats-Unis….

“Carmina Sensus” (Biella, Gênes, Nice, 2007)

Comment ré-esthétiser la pensée
Comment pouvons-nous ré-esthétiser la pensée dans l’art d’aujourd’hui, depuis que nous l’avons, semble-t-il, dé-esthétisé avec les démarches de l’Art conceptuel (qui tourne à une simple information), ou avec les attitudes ironiques du postmodernisme qui traite la réalité comme un mouvement brownien de simulacres, ou encore suite au diagnostic de Virilio, qui fait le constat d’une grave perte de sens et de vision dans un art contemporain qui vire à un vide invasif et multimédia ? Jean-Pierre Giovanelli nous propose une issue. Il est moins un artiste contemporain qu’un artiste qui travaille avec les paramètres contemporains. Se tenant un peu à distance des folies commerciales des foires mondialistes de l’art et de leurs rituels, il préfère garder ses racines méditerranéennes dans ses attitudes et le choix de ses matériaux, avec une approche amicale de la pensée de Paul Virilio ou de Baudrillard, ou encore de l’architecture de Yona Friedman.
Comment peut-il alors user d’une installation comme d’une manière de voir, d’avoir des idées, comme nous le proposaient jadis les images de la peinture ou les espaces de l’architecture qui ont connu un si grand destin dans le bassin méditerranéen ? (John Rajchman)

“Conflictus” , Galerie des Ponchettes (2002)

Jean-Pierre Giovanelli par Frank Popper
Frank Popper, historien, qui fait partie de l’Institut d’Esthétique, est fondateur du département Art de l’université de Paris VIII – Vincennes, où il dirige le département Arts plastiques de 1970 à 1983. Il écrit :
Jean-Pierre Giovanelli n’est pas seulement un artiste qui est intervenu et a participé à différents mouvements artistiques, il est également un architecte d’installations multimédia. Depuis 1977, il est l’auteur de plusieurs Interventions fondées sur son engagement en tant que membre de deux mouvements collectifs : l’art sociologique et les groupes d’esthétique de la communication.
En 1978, Giovanelli entreprit (réalisa) une intervention (un processus d’) sur la critique d’art au musée des Beaux-Arts de Nice, France, suivi d’une attaque critique se tous les mythes structuraux tels l’authenticité, l’identité et la célébrité.
A partir de 1985, le système d’intervention de Giovanelli se rapproche du domaine spécifique des réseaux de communication. C’est alors que l’opérateur sociologique s’est transformé en un artiste et un architecte de la communication et de l’installation. Sa première œuvre environne-mentale importante s’intitule « SOS Tiers Monde », elle fut présentée à Nice en 1994. Du sable s’écoule sur un écran de télévision sur lequel défilent des images satellites de notre monde de technologie avancée, le spectateur doit sans cesse repousser ce sable. Giovanelli nous invite à partager la pensée que la prolifération d’images satellites projetées sur les écrans de télévision devrait légitimement donner une saisie et une compréhension directe de la réalité qui est sujette à une investigation fiévreuse et une accumulation d’information. En 1996, Giovanelli crée une installation intitulée IO (moi en français) qui fut présentée à Gênes. Elle pourrait être considérée comme une matérialisation technologique d’une métaphore dans laquelle l’image d’une goutte d’eau qui tombe de façon continue est projetée sur une surface huileuse et sombre surplombée d’un gros rocher tandis que sur cette même surface la réflexion d’une bouche lit les textes sages de la philosophie du Tao de Lao Tseu. Selon Mario Costa, trois niveaux de signification et d’interprétation peuvent être établis en ce qui concerne cette installation : un niveau sociologique, un niveau psychologique et un niveau métaphysique. Sociologiquement on peut supposer que IO fait allusion à la logique binaire de l’univers digital qui est en train de se substituer à l’univers humain… (…) Deux ans plus tard, Giovanelli présentait son installation multimédia « MA » : sur Lait, Mère et Mort, en Italie, à Turin. Cet événement vidéo eut lieu dans une pièce sombre de forme cubique dans laquelle furent projetées du haut en bas des visages d’hommes vieux saisi dans un mouvement giratoire de lait contenu dans un bac à demi visible. Sur le sol, des traces de lumière formaient une sorte de collier de perles. Le mouvement circulaire du collier se liait au mouvement du lait tandis que l’on pouvait entendre des babillages d’enfants à travers des haut-parleurs cachés. MA était une installation qui faisait appel non seulement à la vision mais aussi à l’écoute et au goût. (Frank Popper, extraits)

“Conflictus” , Galerie des Ponchettes (2002)

Et deux petits exemples d’« Interventions »…
… celle de 1977 : INTERVENTION SUR « LE MESSAGE » (NICE Bocal Aux Sculptures)
Jean-Paul Thénot signe le projet (extrait) :
Le public n’est pas voyeur ou spectateur passif. Il est directement impliqué dans l’action à laquelle il participe, et qui n’existe qu’avec lui, par lui. L’artiste n’est pas le seul à s’engager et à avoir une responsabilité créatrice vis-à-vis de la société.
Cette ŒUVRE COLLECTIVE est ouverte et les critiques traditionnels de jugements de valeur s’écroulent. Elle existe. (Jean-Paul Thenot, 4 octobre 1977).
Jean Paul Thénot qui a développé dès les années 1970 une pratique artistique articulée autour de la communication. Co-fondateur du Collectif d’Art Sociologique (Hervé Fischer, Fred Forest, Jean-Paul Thenot), en 1974, il a participé à des manifestations internationales dans des musées, des galeries et des institutions. Il a représenté la France à la 37° Biennale de Venise. Docteur en psychologie clinique et psychothérapeute, il a mis au point une méthode thérapeutique utilisant la vidéo, et publié articles et ouvrages, dont « Vidéothérapie : l’image qui fait renaître » (1989), « Les sorciers face à la science, le paranormal, faits et preuves » (2004) et « Cent Lectures de Marcel Duchamp » (2006) et « Una poetica dell’essere », sur Jean-Pierre Giovanelli, (2006).

“IO” , galerie V Idea Gênes et Centre Culturel Galliera (1996)

Et, en 1978 : « Nous sommes tous des écrivains » (Nice- Festival International du Livre)
Extraits de la charte :
1-Dans la rue des affiches rouges titrent en blanc « Nous sommes tous des écrivains. Vous avez la possibilité de venir écrire votre livre, le dédicacer et l’emporter au stand 532, situé dans le Palais des Expositions au Festival International du Livre ». Provocation, Affirmation, Questionnement ?
2-A l’intérieur du Festival, sur un espace aménagé pour la circonstance et où se trouvent tables, chaises, crayons et papiers, chaque personne a la possibilité d’écrire ce qu’elle a envie et ce qui lui convient ; sans aucune censure. Au fur et à mesure, les textes écrits sur place et pendant la durée du Festival (c’est la règle du jeu) sont composés et imprimés.
3-Jean-Pierre GIOVANELLI et Jean-Paul THÉNOT proposent aux visiteurs d’être les co-auteurs et les co-propriétaires d’un livre écrit, imprimé et dédicacé sur place pendant la durée du Festival International du Livre. Ce projet recrée toutes les étapes d’un livre : conception, écriture, matérialisation, production et dédicace...
6 - Parallèlement au travail d’écriture (mot) un autre livre des interviews à la vidéo (image) s’écrit également, auprès des écrivains de métier présents dans le Festival pour signer et dédicacer leurs livres. Nous leur demandons de se situer par rapport à notre travail.

Global Jackpot “Black & White” Gênes, octobre 2000

Citons en vrac : Alain Decaux, Jean Hédern Allier, Michel Droit, Ionesco, Lucien Bodard, Michel Poniatowski, Robert Merle, Jean Marais, La Duchesse de Bedford, Bernard Pivot, Vilem Flusser, Pierre Cochereau, Patrick Poivre d’Arvor, Jean d’Ormesson, Bernard Gavoty, Abraham Moles, Jean Médecin, Françoise d’Eaubonne, Bernard Henry Lévy, Jacques Faisant, Pierre Miguel, François Chalais, Jacques Chancel ..........
7- Certains écrivains sont co-auteurs du livre :
Ionesco, Lucien Bodard, Patrick Poivre d’Arvor, Pierre Miguel, Lucien Bodard, Bernard Pivot, Marie Cardinal, des dessinateurs également : Greg , Wiaz, Redon, Fred.
8-Ce stand est le seul endroit du Festival du livre où l’on écrit.
12 - Le processus joue le rôle de stimulant de communication. Beaucoup de choses nous échappent. Les dédicaces que les co-auteurs se sont faites, leurs discussions, les rencontres suscitées par les dédicaces, la page blanche à la fin du livre, proposée par Françoise Chauveau, et qui laisse cet ouvrage définitivement inachevé...........
13- En 1450 Gutemberg inventa l’imprimerie et les caractères mobiles......
14- L’écriture des co-auteurs n’est plus manuscrite mais objectivée, « imprimée ». Ce n’est pas encore une distanciation très importante (ce n’est pas très « dur » : frappe (BM) mais c’est déjà du mécanique.
15- Mac Luhan a-t-il tué Gutemberg ? En fait il semble que la pénétration visuelle de notre époque soit quasi inexistante... il y a une certaine incapacité à déchiffrer, analyser, interpréter l’image, et cela est d’autant plus surprenant que nous sommes censés être en un siècle où le visuel est prétendu avoir supplanté (?) l’écrit... Saturation d’images (TV...) avalées sans être mâchées...
16- A la toile succède le TISSU SOCIAL, au broyage des couleurs et à la mise en tension sur un châssis, succèdent l’expérimentation avec un groupe de personnes, un échantillon représentatif et une vidéo... A la représentation du réel succède la mise en question de ce réel social et de son mode de fonctionnement.
17- La subjectivité géniale de l’artiste fait place à l’INTERSUBJECTIVITÉ ET A LA COMMUNICATION.
Le mythe de l’artiste se dissous dans une œuvre collective. L’art n’est plus un objet de spéculation mais une production mentale, une intervention sociale, une mise en question ...
18- Une rupture est actuellement en cours. L’intervention « Nous sommes tous des écrivains » la visualise et montre à la fois le lien épistémologique entretenu avec les sciences sociales et la distance, par le détournement institué au niveau des méthodes et des objectifs.

Retrouvez les parties I, II,IV et V de la Chronique 33 :
Chronique 33 : Jean-Pierre Giovanelli (Part I)
Chronique 33 Jean-Pierre Giovanelli (Part II)
Chronique 33 Jean-Pierre Giovanelli (Part IV)
Chronique 33 Jean-Pierre Giovanelli (Part V)

Photo en une : “Carmina Sensus” (Biella, Gênes, Nice, 2007)

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