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Chronique 30 : Question de mémoire : César et Jany Carré (Part V)

François Decq

Pour poursuivre l’investigation des articles sur ma galerie dans le magazine « GO ! », la page François Decq est haute en couleurs comme l’est en général (pas toujours, parfois elle est raffinée dans les gris) sa peinture-sculpture, et cette fois, c’est Alain Rime qui a écrit sur lui, un ami très averti, sous le titre « Extrait d’une lettre d’un collectionneur à son peintre ». (« GO ! » n°6)
Tu crées des formes, tu délimites ton espace et tu tailles en pures spatialités des plans précis de couleur franche.
Tu as purifié, nivelé, découpé, organisé la chaude qualité plastique d’un espace intime haussé vers un intouchable absolu formel, et par les découpes originales de l’œuvre et les dégradés illusionnants du « dedans », tu viens te raccorder à l’espace du « dehors », le réel espace qui contient la toile elle-¬même ; notre espace.
Ton travail est dans cette tension entre les deux termes, et naturellement il apparaît tout de suite que l’espace intime est vidé de ses déterminantes affectives, de ses phantasmes et que la pureté de ce travail t’empêche d’y inclure des éléments du réel. Il est « intériorité concentrée » au sens où le définis¬sait Mondrian. Ta peinture a son sens sur le mur blanc, dans le vide, devant cette Méditerranée pendue à ton balcon, toute bleue, et le ciel pur, tout bleu. Elle est dans l’espace comme l’huître dans l’océan ; elle forme une perle de lumière, souvenir de la couleur intérieure avec l’espace extérieur, comme la perle raconte encore dans ses transparences l’union du ciel et de la mer.

Dans GO n°6, page Fernand Michaud

Imagine-t-on une belle perle avec un défaut ? De même ta peinture qui est une quête de perfection. Mais la perle est une tumeur de l’huître ; une défense, par laquelle le corps étranger est enrobé, dissout dans des couches successives. De même tes inquiétudes, tes tensions, tes humeurs, enrobent une réalité composite, vulgaire, dépareillée, et la figent, par des couches successives de rêve et de réflexion, jusqu’à ce qu’elle se métamorphose en cette perle plastique pure, qu’on suspend au mur lisse et vierge. (Alain Rime, avril 85)
L’article mentionnait que les œuvres de François Decq pouvaient être vues à la Galerie Alexandre de la Salle. François a eu chez moi des expositions particulières, il a fait partie d’expositions de groupes, y compris dans des foires, et il était « en permanence » dans ma galerie, c’est un magnifique abstrait.

Dans GO n°6, page François Decq

Fernand Michaud

Mais j’ai moi-même écrit un article dans « GO ! » N°4, sur le grand photographe qu’était Fernand Michaud :
Fernand Michaud a traqué l’humain sur les corps, sur les visages, tout au long de sa vie. Chasseur en quête de vérité, il sait débusquer ce que d’ordinaire l’homme cache, il perce les défenses, passe derrière les masques. Non par plaisir sadique de désarmer, de dénuder un individu, de l’humilier, mais bien au contraire pour lui faire dire ce qu’il ne sait, ne veut pas dire, pour le faire accoucher - comme au terme d’une joute maïeutique - de son abyssale vérité : l’appareil crépite sous le regard impassible de Fernand qui parle sans arrêt, interroge, force votre réponse, et saisit cet insaisissable caché au fond de sa gangue. Pour l’avoir subi, ce feu, je puis l’affirmer, c’est une épreuve dont, guidé par une maîtresse main, on sort bouté hors de soi. Il traite les corps sur le même mode de « mettre quelque chose au monde », de ramener à la surface des chairs ce que, d’ordinaire, elles dissimulent. Point de "beaux" corps, point d’attitudes suggestives. Mais plutôt des instants de parties de ces corps, découpées, séparées du reste pour mieux en saisir le sens. Formes, creux, devenus vallées, dunes, escarpements hercyniens, croupes ou flancs balayés par les invisibles vents de la vie. S’élabore une véritable géographie du corps, où chacune de ses séquences, non contente de se dire, décrit aussi les vicissitudes du temps, et des espaces de la vie, qui se fait en se défaisant. Géologue, analyste de l’anatomie féminine, la seule qui soit monts superbes et vallées profondes, Fernand Michaud nous montre une suite de nus impressionnants, où la matière, à la fois peau et roche, chair et métal, ne fait grâce d’aucune disgrâce, intègre tous les « défauts », toutes les « plaies », pour les transcender en images sereinement refermées sur elles-mêmes, où le paysage humain se mue en monolithes lisses et compacts, devenus, par la force du talent, vision définitive de ce qui ne sera plus. (Alexandre de la Salle, juin 1985)
A propos de photographie, Avida Ripolin a écrit sur Bernard Faucon (exposé chez moi un certain nombre de fois), dans « Go ! » n°5, un texte titré « Un paradoxe » :

Michel Magne avec André Verdet et Arman pendant son exposition à la Galerie Alexandre de la Salle « Objet musicaux, Amas Magnétiques, Musique en Conserve » (1975) (Photo Gomot)

Bernard Faucon

Il y a des microclimats au sein des climats et des civilisations. Autour de Bernard Faucon, comme une station orbitale, c’est une micro civilisation qui circule. Ne cherchons pas ses usines, ses autoroutes, des computeurs. Cette vie là n’en a pas.
Sa différence n’est pas de nature technologique. Son principe, c’est celui du Petit Prince : « L’essentiel est invisible pour les yeux ». Ou alors ses instruments clés sont ceux des mutants, chez Bradbury ou Welles, un papillon, un calice. Ou une certaine conjonction du nombre des allées d’un champ de lavande.
Paradoxe : Bernard Faucon pour qui, manifestement, l’essentiel est au delà du premier regard, est photographe. Et c’est cet au delà qu’il essaie de photographier. Il y réussit d’une manière qui porte au delà du cœur, des sens, de la pensée. Non pas qui étonne ou frappe, mais qui stupéfie, pétrifie. Car quelque chose, tout à coup, est entré et l’on ne sait quoi. Quelque chose qui fait voler des feuilles de papier dans une pièce, et ce n’est pas le vent, quelque chose qui a mis le feu, ou s’est embrasé, quelque chose de très lointain et que fixent, fascinés, de jeunes garçons en costume de marin, quelque chose qui a suivi, ou précédé Marc, Mathieu, Judas et les autres, à moins que ce ne soient leurs doubles, spécifiques de cette saga ci, mais la grâce est toujours dans les parages, on la discerne dans cette lumière, cette phosphorescence. Un OVNI. Objet Non Identifié. Mais nous comprenons, à voir l’effet qu’il produit à l’intérieur de nous, que cet objet est intérieur. Qu’il est un événement, un sentiment, un choc de sensibilité. Une rencontre hypnotique. Dont il reste (de manière visible pour que nos yeux puissent reconstituer, comme l’avion est une pièce à conviction dans le Petit Prince) des vestiges chargés, sacrés : sacs d’oranges et pelures des chambres d’amour à ciel ouvert, pelures d’oranges bouclées, ourlées, qu’ont tenues des doigts fins, dans les chambres d’amour closes, lettres, débris de lettres, débris de photos, détruits, calcinés, moins par le temps (« la vie éternelle ») que par la violence de l’expérience, par l’embrase¬ment. Car tout mène à cet embrasement. D’abord, comme pour un exorcisme, les signes avant coureurs se présentent, et l’espace cesse d’être Euclidien, l’on traverse une frontière invisible, les feuilles volent sans vent, et eux, en face de nous, les AUTRES, ont le regard fixé sur quelque chose que nous, nous ne percevons pas. Et, petit à petit, cela se déchaîne, et plus aucune force ne pourra empêcher l’incendie. Au milieu de l’indifférence, presque, des protagonistes. Parce qu’ils n’y peuvent rien. Que c’est comme si leurs passions brûlaient à l’extérieur d’eux, un feu qui tombe de ce ciel habité, finit par les rejoindre et les consume. Après sur le champ d’action, ne restent que fumerolles et débris qui refroidissent, mais gardent leur radio activité. Dans cette galaxie, rien ne meurt vraiment, on ne meurt pas. Même les mannequins poupées sont vivantes. Vous avez déjà vu un enfant qui croit à la mort, vous ? (Avida Ripolin)

Exposition Marcelle Tannau à la Galerie Alexandre de la Salle

Michel Magne

Il y avait aussi dans « GO ! » une page sur Michel Magne, qui nous a quittés tragiquement comme on dit, et que j’avais exposé dans ma galerie de Saint-Paul (du 5 au 30 juillet 1975), sous le titre « Objet musicaux, Amas Magnétiques, Musique en Conserve », des panneaux où s’embrouillent de manière très esthétique des mètres de pellicule. Dans le « Paradoxe d’Alexandre », en 2000, j’ai écrit sur lui :
« Entre sa vie et sa mort, nous eûmes le temps de présenter, avec un énorme succès, ses Objets Musicaux, musiques qu’il avait mises en boîte, je veux dire sur bande magnétique, pour les faire vivre alors comme par-delà la musique. Il sut adopter, face à un drame familial terrible, une attitude de courage et de dignité. Mais, ébranlé sans doute, peu après il abandonna là son propre parcours de vie. Sa musique devint silence ». Une photo le montre avec Arman et André Verdet. Dommage. Il était si talentueux.

Sérigraphie Claude Belleudy

Retrouvez les parties I, II, III, et IV de la Chronique 30 :
Chronique 30 : Question de mémoire : César et Jany Carré (Part I)
Chronique 30 : Question de mémoire : César et Jany Carré (Part II)
Chronique 30 : Question de mémoire : César et Jany Carré » (Part III)
Chronique 30 : Question de mémoire : César et Jany Carré (Part IV)

Photo de Une : Sculpture de François Decq à la galerie Alexandre de la Salle, Saint-Paul

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