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Chronique 30 : Question de mémoire : César et Jany Carré » (Part III)

Journaliste indépendant…

De manière étonnante, dans « Le vrai devient réalité », Yves Klein écrit : « Ce qu’il faut à un artiste, c’est un tempérament de reporter, de journaliste, mais dans le grand sens de ces mots, peut-être oubliés aujourd’hui ».
Le grand sens de ces mots, n’est-ce pas que toute œuvre n’est qu’un « journal », un « journal intime » ? …Et j’ai un peu le sentiment que César Carré n’a jamais fait que désirer – inconsciemment ? – faire partager ses propres « petites madeleines », ce à quoi il lui a été donné de goûter dans l’enfance, un monde si ouvert qu’il lui aurait ouvert le monde ?… et ne serait-ce pas ce que le rédacteur en chef Robert Fiess a écrit dans son éditorial du « Géo » n°15 de mai 1980 pour annoncer le très long article de César Carré sur ces haras nationaux qui « étendent leur tutelle à l’ensemble du territoire et gèrent un capital génétique qui vaut des milliards ? Il écrit :
Journaliste indépendant, César Carré a eu la bonne idée de nous proposer un reportage sur les haras français. « Combien de nos compatriotes qui jouent au tiercé le dimanche, ou même de ceux qui pratiquent l’équitation, sont ils avertis du rôle important qu’ils jouent, encore aujourd’hui, dans la vie du cheval en France ? » remarque-t-il. Ces haras, nationaux ou privés, Carré les connaît depuis son enfance. Fils d’un industriel qui fut propriétaire d’une écurie de courses, il est né, dit il, « dans les chevaux ». Il montait avant de faire du vélo, a fait ses classes équestres avec l’entraîneur du « cadre noir », pour réussir par la suite une très belle carrière sportive de « gentleman rider ». Près de quarante ans se sont écoulés depuis sa première visite au haras du Pin.

Dans Géo n°15 (1980), reportage de César Carré
photos Jean-Paul Ferrero
César Carré dans Géo n°15 (1980)

En y retournant pour GÉO, avec le photographe Jean Paul Ferrero, Carré a pu constater qu’entre ses bâtiments à la Mansart et ses jardins à la Le Nôtre, le Pin comme la plupart des haras continue à témoigner d’une époque où l’homme considérait le cheval comme sa plus belle conquête. Et bâtissait villes et châteaux à l’image de sa noblesse. (Robert Fiess). Et son reportage commence ainsi, positionnant le « sujet qui parle » :

Au volant de ma voiture…

Au volant de ma voiture, je débouche de l’allée Louis XIV, entre les arbres vénérables, pour m’arrêter dans la cour d’honneur du château. Quel dépaysement pour qui arrive directement de Paris et pénètre dans l’enceinte du haras national du Pin ! Impressionné par la majesté des bâtiments à la Mansart et des jardins à la Le Nôtre, on se trouve projeté dans une époque où l’homme et le cheval étaient encore inséparables. Mais ce n’est pas ce bond en arrière de plusieurs siècles qui me fait rêver dès mon arrivée, c’est un retour sur moi même à quelque trente ans d’intervalle. Je revois d’un trait toute ma carrière d’équitant.
Avec les yeux de l’enfance, je regarde s’ébranler gaillardement dans le parc une grande carriole tirée par quatre superbes étalons. Le cocher porte une casquette rouge galonnée. Un adjudant chef. La vieille tradition des haras nationaux est donc bien vivante. On attelle les chevaux lourds pour tous les trans¬ports qui ont lieu sur le domaine. Ils portent la litière et la nourriture de tous les pensionnaires : paille, foin, avoine. Il n’y a pas si longtemps encore, la direction du Pin faisait quérir en voiture hippomobile tous les visiteurs. Un équipage qu’un garçon de dix ans n’oublie pas. C’était en 1950. Un jeune officier des haras, François Charpy, était venu accueillir mon père à la gare d’Argentan. Un attelage nous attendait pour nous conduire au château.
J’y étais arrivé au petit trot de quatre percherons d’une noble vigueur. Des étalons ! Plus tard, en accompagnant une jument de mon père (celui ci avait un élevage privé de chevaux de course) dans la station de monte des Bréviaires, près de Rambouillet un autre dépôt des haras nationaux , j’avais parfaitement compris le sens des propos échangés entre mon père et le directeur du Pin, lors de ma première visite : « Vous, les éleveurs privés, vous dirigez des maternités. Nous, les haras nationaux, nous sommes un pensionnat de garçons que vos filles viennent visiter périodiquement ». Image empruntée au langage d’écolier, mais dont je ne pouvais apprécier toute la justesse avant de parfaire, aux côtés de mon père, mon expérience encore succincte d’homme de cheval. A l’opposé du haras privé, le haras de l’Etat est un rassemblement d’étalons sans juments. La mixité n’est qu’intermittente, le temps des saillies reproductrices.
C’est cette répartition des tâches qui permet à mon ami Patrick Chédeville junior, gérant du haras du Petit Tellier, de soutenir, non sans malice, que le terme générique de sa profession a la même étymologie que le mot arabe « harem ». Personnellement, bien que ce rapprochement réponde à l’activité privilégiée des étalons, j’incline à croire que « haras » vient plutôt de cet autre mot arabe « fara », qui veut dire cheval. D’autant plus qu’en espagnol, on retrouve « alfaraz » (cheval de cavalerie chez les Maures) et en basque, « fara » (cheval de race).
Quand je suis à l’étranger et que je songe à la « douce France », je ne puis m’empêcher d’associer quelques images évocatrices des berceaux de l’élevage du cheval : le Pin, Saint-Lô, Compiègne, Pompadour... Il faut dire qu’à cinq ans, j’étais déjà « mis en selle ». A sept, je montais une jument pur sang. Rien à voir avec un cheval bien manégé et qui... se ménage. A dix huit ans, j’ai commencé une carrière de « gentleman rider ». J’ai su ce que c’était que de perdre d’une courte tête. De gagner aussi. Après douze ans sur les galopeurs, j’ai rejoint mon père, qui était un grand gentleman du trot, et j’ai couru sur sulky jusqu’à ce que je prenne de l’âge. Dans quelques années, je participe¬rai à la course des vétérans. En attendant, moi qui ai vu naître chez des amis éleveurs et courir dans les hippodromes bien des champions du « steeple » et du plat, j’ai voulu faire une sorte de pèlerinage aux sources, dans ces fameux berceaux du cheval français, ces haras nationaux qui me rappelaient d’agréables mais trop furtifs souvenirs d’enfance. Sur l’activité desquels, d’ailleurs, je n’avais encore qu’une connaissance partielle, quelques notions, quelques lueurs ; juste ce qu’il faut pour ne pas démériter sur les champs de courses. Après trente ans de pratique du cheval, il restait au cavalier bien des secrets à découvrir dans ces respectables pensionnats d’étalons. Tous ceux qui regardent, de près ou de loin, les concours hippiques et même ceux qui font le dimanche leur petit tiercé sur le papier, sans avoir jamais caressé un cheval de chair et de sang, ni s’être fait marcher sur le pied, ne manqueront pas de partager le plaisir de mes découvertes. (César carré, extrait).
Sans passer du coq à l’âne, si l’on pouvait ici montrer in extenso un film de France Delville sur Claude Belleudy, on pourrait voir longuement Claude le poète, peintre et sculpteur parler avec son cheval dans sa magnifique « campagne » de Saint-Pons. Il parle aussi à son coq et à son chien. Et le magazine « Go » lui a plusieurs fois ouvert ses pages, cela paraît logique.

Dans « Les Dieux du Nil », Akhenaton le Dieu Pharaon maudit
Dans « Les Dieux du Nil », Pierre de Rosette (Londres)

Pèlerinage aux sources

Mais pour revenir à la notion de « pèlerinage aux sources » - y compris bien sûr étymologiques » César Carré en accomplit un de fondamental avec son « Histoire apocryphe du voyage d’Hérodote et de Clio aux pays d’Egypte et de Mésopotamie » (Les Dieux du Nil, éditions AIM2/ARHA), une enquête qui se lit comme un policier, où César a eu besoin d’inventer quatre mains (celles de César Carré et de Caïus de Meurdrac) pour pouvoir déplacer sa caméra comme il se doit selon les prises de vues des paysages, personnages, sites de fouilles… Et pouvoir (re)nommer Monsieur Hérodote « journaliste indépendant ». C’est à la fois savant et familier, et une tentative de revisiter le récit fondateur de notre civilisation. Retrouver les sources du mythe.

Dans « Les Dieux du Nil » Agriculteurs au travail

Jany Carré nous en donne un avant-goût dans son avant-propos :
Parti de la vérité archéologique de l’histoire de cet îlot Afro Asiatique des débuts, nos auteurs retracent l’existence du mythique « Livre », le pourquoi et le comment, et rétablit la vérité historique. Pour étayer leur thèse, ils se sont appuyés sur les travaux d’archéologues et égyptologues, experts en la matière, sur des textes scientifiques, attestés et incontournables, même pour un récit teinté de fiction dans sa forme dialoguée. L’Histoire ne s’invente pas, elle s’interprète ! Pour atteindre son objectif sur les origines du monde, des Dieux et de celui de la naissance du monothéisme, ils entreprennent ainsi un voyage virtuel aux pays d’Egypte et de Mésopotamie jusqu’en Perse, pour arriver, plus tard aux Antipolis de l’autre partie du monde... Le livre, divisé en plateaux, s’échelonne sur trois époques. Chaque plateau se compose d’une dizaine d’actes ou chapitres, subdivisés en scènes ou tableaux. Le premier plateau comprend une introduction, présentation des personnages de fiction du livre et un prologue, rappel de la « Pré Humanité ». Dix actes survolent l’histoire égyptienne depuis la protohistoire. Suivent ensuite une chronologie dynastique, une chronique de la vie quotidienne, des coutumes, des rois, reines et femmes d’Egypte, de l’enfance et de l’éducation, de la caste des prêtres et des temples, des dieux, dont l’épisode atonien, sa chute pour arriver à l’exil de son peuple dans le désert, jusqu’aux Ramissides. Il se termine par un aperçu sur la civilisation du « Grand Fleuve », le Tigre et l’Euphrate, pour assurer la transition avec le plateau suivant.
Le deuxième est consacré à la Mésopotamie, Sumer et Akkad et ses liens avec l’Egypte.
Le troisième concerne l’Exode des « Yahouds et du petit peuple d’Akhet Aton », de la convergence entre la mythique histoire biblique et l’histoire attestée d’Egypte et Mésopotamienne, jusqu’au retour des dits exilés en terre de Canaan.
L’épilogue conduira le lecteur aux religions dites « du Livre », depuis l’Antiquité gréco romaine à l’époque moderne, en passant par Athènes, Rome et Médine...

Dans « Les Dieux du Nil », Allée des sphinx

Les auteurs sont journalistes multimedia, navigateurs, grand reporters, scénaristes et réalisateurs de courts et moyens métrages. Féru d’Histoire, ils ont construit leur sujet après cinq années d’études et de recherches documentaires. Ajoutons, pour la petite histoire, que l’un deux s’intéresse à l’Egypte depuis l’âge de sept ans... In fine, ils n’ont pas cherché, ici, à « faire de la littérature » ni écrire un roman, mais à mener à bien une enquête cartésienne et un récit, inspirée par celle d’Hérodote. De facto, c’est un docu drama historique. Les Américains pourraient dire qu’il s’agit d’un « digest ». Leur livre est écrit au présent, dans un style direct. Les dialogues sont entrecoupés de constantes interjections et de nombreuses « analepses » qui mènent l’histoire vers l’épilogue.
Le style et l’écriture rendent souvent le sujet étrangement d’actualité et permettent de poser la question : L’Homme a t il vraiment changé depuis dix mille ans ? En s’émancipant de ses origines d’homo animalis, n’est-il pas passé d’un état sauvage à un autre ? (J.C.H, Secrétaire Générale du Club arHa, co éditeur)

(A suivre)

Retrouvez les parties I, II, IV et V de la Chronique 30 :
Chronique 30 : Question de mémoire : César et Jany Carré (Part I)
Chronique 30 : Question de mémoire : César et Jany Carré (Part II)
Chronique 30 : Question de mémoire : César et Jany Carré (Part IV)
Chronique 30 : Question de mémoire : César et Jany Carré (Part V)

Photo de Une : Dans « Les Dieux du Nil », Allée des sphinx

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