Suite de la préface de Françoise Armengaud à « La nuit n’est pas la nuit » d’André Verdet.
La nuit n’est pas la nuit comporte une réflexion sur les sources du nazisme et du fascisme, et une interrogation tant sur l’avenir des éléments progressistes en Allemagne que sur la vocation du poète dans la société. Au cours de l’hiver, au bloc 48, avec Boulongne et le saxophoniste Marcovitch, Verdet organise une manifestation culturelle clandestine, consacrée à la musique, à la littérature et à la poésie. Le jeune poète parle avec enthousiasme de Villon, de Ronsard, de Chénier, de Verlaine, de Lautréamont, d’Eluard, de René Char, de Robert Desnos. Il expose sa propre conception de la poésie.
Selon lui, le poète « accomplit simplement un métier d’informateur, de témoin, pour le plus grand bien de la collectivité ». Sa responsabilité à l’égard des autres consiste à lutter « sans faiblesse, avec gravité et avec humour » contre tout ce qui tend à emprisonner l’être humain dans une servitude quelconque. La poésie exerce un pouvoir certain de transmutation du réel : sans adopter entièrement l’idéal surréaliste, Verdet estime qu’elle « baigne le quotidien pour le revêtir de son plein sens d’universel ». Enfin elle déborde la subjectivité humaine pour emplir le cosmos, elle « palpite dans la scintillation des étoiles, dans la giration de la terre... ». La complicité amicale des étoiles aura aidé le prisonnier à ne pas désespérer. C’est aussi aux étoiles, aux galaxies comme aux nébuleuses et jusqu’aux « trous noirs » qu’il consacrera les plus beaux, les plus scientifiques de ses poèmes. Les astrophysiciens JeanClaude Pecker, Philippe Delache et JeanPierre Luminet ne s’y sont pas trompés. Edgar Morin, quant à lui, n’atil pas parlé de cosmoverdétologie ?
Et l’écrivain peintre Saint-Paulois n’atil pas décortiqué et « infinisé " dans une toile le fameux E= MC2 d’Albert Einstein ?
Si La nuit n’est pas la nuit représente et demeurera sans doute son seul et unique « roman », n’oublions pas qu’André Verdet, poète, peintre, essayiste, sculpteur, est aujourd’hui l’auteur de plus de cent ouvrages divers parmi lesquels, parus en 1948 également aux Editions du Pré aux Clercs, les Histoires en collaboration avec l’ami Jacques Prévert occupent une place significative quant aux préoccupations de cette époque.
Toutefois ce n’est pas ici le lieu de parler longuement, comme il le faudrait, de l’ensemble considérable de l’œuvre verdétienne.
Contentons nous de rappeler brièvement que le poète de Mondes et soleils, de Provence noire, Le Ciel et son fantôme, de De quel passé pour quel futur ?, de L’Obscur et l’Ouvert, de Détours, de Les Exercices du regard, de Seul l’espace s’éternise, et de Brefs en vrac et dans le désordre, a été l’ami et le confident de quelques-uns des grands peintres de ce temps, de Picasso, Léger, Braque, Miro, Chagall, Atlan, Magnelli, Matisse, Fautrier, avec lesquels il collabora et sur l’œuvre desquels il écrivit maintes études qui continuent à faire autorité. Il est de plus leader d’un groupe de jazz poésie sous le signe astral de Bételgeuse.
« La nuit n’est pas la nuit »... Osons suggérer quelques analogies où se prolonge, croyonsnous, cette conviction d’André Verdet. Tout d’abord dans sa réflexion sur la peinture. La somptuosité des noirs de Braque le touche comme recelant parfois on ne sait quelle sourde lueur d’espérance. Et certains noirs de Matisse vont jusqu’à lui paraître « ruisselants de lumière » ... Puis dans ses investigations de philosophie cosmologique. Là, c’est sur le monde interrogatif que le poète refuse d’acquiescer au pire :
Ce fol espoir inavoué
Que quelque chose subsiste
En dépit de
Et que la lumière passe outre
Le trou noir
D’un bloc les nieraitil
En nous
Enfin, le noir des entrailles de la terre... En effet, à plus de soixantedix ans, il n’a pas hésité à accompagner dans ses aventureuses descentes et explorations son ami et initiateur le bio-spéléologue JeanClaude Giordan. Verdet et lui furent ainsi les « comparses du noir viscéral dans de folles équipées souterraines », les témoins, écrit Giordan, de cette « intensité dramatique qui se dégage de ce domaine où la nuit n’est pas celle du ciel : elle y est faite de vraies ténèbres ». Occasion pour le poète de « méditations dans un noir d’éternité comme s’il attendait la naissance de quelque fragment de lumière sorti de cet endeçà ».
André Verdet, merci à vous d’avoir accompli, en plus de cinquante années d’inspiration ininterrompue, le contrat d’obédience orphique que vous profériez comme à votre insu en cette prémonitoire conférence de Buchenwald sur la poésie. Merci d’avoir, il y a cinquante ans de cela – et nous en fêtons en sorte, avec quelque retard, l’anniversaire « jubilé » - entrepris d’écrire « La nuit n’est pas la nuit » (Françoise Armengaud).
Une Françoise Armengaud si juste quand il s’agit d’André Verdet : elle est vraiment entrée dans son œuvre, pour n’en plus ressortir… Mais, oui, « La nuit n’est pas la nuit » fut salué comme un livre marquant, voici ce qu’en dirent, entre autres) des critiques de l’époque :
René Lacôte (Lettres françaises)
A la question que je me pose : Qu’y atil de nouveau dans la littérature ? La Nuit n’est pas la nuit est l’une des réponses. Ce qui me paraît donner à ce livre tant d’importance, c’est qu’avec cette voix nouvelle tout ce qui s’est fait jour dans les camps puisse aujourd’hui se révéler à un type d’homme qu’est celui d’André Verdet.
Ce roman atteint, je crois, à la grandeur en ce qu’il a su traduire ce sens de la camaraderie dans sa qualité la plus haute, la plus efficace. Il faut enfin en souligner l’unité.
Pierre de Lescure. La Tribune des Nations.
La Nuit n’est pas la nuit d’André Verdet est un livre de notre conquête.
Lettre de Maurice Toesca à André Verdet
Votre romanrécit relève d’un haut lyrisme et par là il se différencie des meilleurs ouvrages qui ont été écrits sur la déportation. Il est des pages dans La Nuit n’est pas la nuit qui ne pourront jamais s’oublier. Merci André Verdet pour cette fidélité inébranlable en la vie, en l’homme.
Jean Ollivier. L’Avant Garde.
Bien des ouvrages ont paru sur les camps de la mort mais celui que son auteur par une poignante ironie a baptisé roman, les dépasse en densité humaine et en extraordinaire simplicité.
Emile Danoeu. Le Soir.
Verdet a fait des eaux fortes hallucinantes d’une sinistre beauté.
?Henri Petit. Le Parisien Libéré.
André Verdet offre à l’éternité de l’histoire un monument humain.
Pierre Fauchery. Action.
André Verdet orchestre cette matière énorme, débordante qu’est la chronique douloureuse des camps.
Jean Rousselot. L’Echo d’Oran.
Le roman du poète André Verdet rend un son nouveau.
Marcel Millet. Quarante-quatre.
C’est un des plus beaux et des plus terribles livres sur ces années que nous n’oublierons pas.
Maurice Nadeau. Combat
La Nuit n’est pas la nuit. A son zénith continue de briller la poésie, et l’air maléfique de Buchenwald résonne des noms de Villon, Nerval, Baudelaire, Eluard. A des bêtes forcées et mourantes, Verdet murmure « Le poète se devra d’écrire des pièces toutes d’inquiète tendresse sur les choses, les objets, familiers, sur la terre nourricière, les plantes, les saisons, les animaux, puis les hommes… Un poète qui se veut délibérément au service de l’oppression ne peut être véridique ». Les fantômes applaudissent. Ils sont redevenus des hommes. Même ceux qui ne reverront plus la liberté et sa lumière songent à sa prochaine gloire.
Edgar Morin. Le Patriote résistant.
C’est par cette générosité de l’inspiration qui se traduit, soit dans une belle familiarité de langage, soit dans des phrases miraculeuses où nous retrouvons la poésie à l’état jaillissant d’Histoires, que La nuit n’est pas la nuit prend sa place parmi les quelque six à sept grands livres déjà inspirés par la concentration.
(A suivre)
Retrouvez les parties I, II, IV, V de la chronique 29 :
Chronique 29 : André Verdet le Résistant (Part I)
Chronique 29 : André Verdet le Résistant (Part II)
Chronique 29 : André Verdet le Résistant (Part IV)
Chronique 29 : André Verdet le Résistant (Part V)