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Chapitre 77 - Part III

Retrouvez la suite de la chronique de France Delville qui présente sa nouvelle saga consacrée à André Verdet et César Carré à la Fondation Maeght.

Chapitre 77 André Verdet et César Carré à la Fondation Maeght (PartIII)

Le samedi 14 juin à 10h, en marge du Festival du Livre de Nice, dans l’auditorium de la Bibliothèque Nucéra… (suite)

Réflexions d’ombres Une certaine approche de l’ombre

La figure occulte de l’ombre traverse et pose notre culture. De la caverne de Platon à l’ombre du style, se font jour de nouveaux rapports qui, d’une interrogation philosophique à des données géométriques, questionnent le monde.

L’histoire de l’ombre est à écrire, formidable témoin à la frontière d’une idée du réel. Inscription fragile mais tenace, elle trace dans ses découpes incertaines la préfiguration de l’homme.

Ainsi, relever l’ombre de son support initial (le sol, la terre) c’est amorcer un processus distanciatoire introduisant le jeu possible de sa révélation. Opérer un glissement de support c’est donner à l’ombre toute son épaisseur mais aussi lui offrir un nouvel angle de réflexion. Le délicat saisissement de son empreinte revient à en faire le seul élément tangible de son irréalité matérielle. C’est dresser un état des ombres et leur donner enfin un nouvel éclairage.

Entre la silhouette et la caricature, l’ombre est pour l’homme une interpellation d’une inquiétante étrangeté : à qui nous rappelle t elle ou à quel désordre nous renvoie t elle ? Car l’ombre existe bien pour l’homme, co substantielle à l’idée d’un autre lieu possible où se jouerait le concert des forces fondant la psyché.

Un nouveau jalon peut être ainsi posé : le stade de l’ombre succède à celui du miroir. A l’ascension jubilatoire de l’enfant réalisant l’unité de son moi, le stade de l’ombre introduit la perspective d’un possible vacillement annonçant la dimension de l’Autre.

L’ombre est porteuse de cette préoccupation essentielle et s’origine en elle la peur liée à un effondrement de ce qui est en train de se constituer. Seul l’homme a peur de son ombre ! (et on ne peut que sourire à l’histoire de cet heureux chanceux qui tire plus vite qu’elle ( Lucky Luke).
Cet insaisissable de l’être est porteur d’une spécificité qui constitue une des bases des particularités ethno-psychiques .

Marchant d’ombres en ombres, je demande toujours l’autorisation de « prendre » l’ombre de la personne : surtout ne pas être un voleur d’ombre ! Cette permission accordée, je procède à quelques relevés. Mes premières ombres sont liées à l’univers de la peinture. Elles font l’objet d’un questionnement qui restitue leurs effets dans une « gamme » entre la silhouette et la caricature.
Dans l’atelier, je repose mes ombres lentement en m’assurant de leur profondeur. Je cherche un point d’accroche pour fixer leur naissance : un rien parfois suffit à cet ancrage : une découpe, une superposition, un collage ...

Voici donc l’ombre de Ben par Jean Mas

Mai, le mois des cerises, le moi de BEN.

Un arbre en était chargé, les branches ployaient.

Il me dit : « Fais vite, j’ai du travail » et de sa main droite il se mit à cueillir les fruits rouges. J’eus l’impression qu’il les arrachait.

« BEN, les cerises ça se cueille avec la queue ! » Il propulsa avec sa bouche le noyau si loin que seule une pratique quotidienne pouvait en garantir le succès. Je photographiais alors son geste de cueilleur : nul doute, nous étions bien à l’aube de l’humanité !

Son ombre témoigne de la position de l’homme debout et son geste est déjà celui qui revendique.

Ombre de Ben (Photo François Fernandez)

Et celle de Claude Gilli

Sur le parvis d’Art Jonction, il était dans son nouveau fauteuil électrique.

Les drapeaux des nations claquaient de concert. Nous dûmes éviter l’ombre des mats qui rayait l’allée centrale.

Il s’amusa de cette chose. Avec son engin, il décrivit de grands cercles puis de plus petits tout autour de moi. J’étais au centre et je pivotais pour le suivre. Des gens s’arrêtaient, intrigués par ce manège d’ombre.

Ombre de Gilli par Jean Mas (Photo François Fernandez)

C’est Claude Fournet qui va au cœur des choses : le jeu, et l’enfance

Cela fut toujours un peu obstrué ; des « cages à mouches » aux « boîtes hommages » en passant par des anatomies de bulles éclatées. Maintenant ce sont des « Ombres portraits » d’artistes importants si possible dont on réanime l’anonymat forcé (par l’ombre évidemment), avec d’étranges petits ajouts, insignifiants d’abord, et qui mènent bientôt à des constats plus ambigus. L’artiste (qui se sent vide) déverse un goutte à goutte minimal sur des « personnes » qui ne sont pas toujours réanimables. Il en sort un théâtre d’ombres dont on aimerait connaître le scénario. Quelques petites phrases s’y emploient, aussi assassines que tendres, sur le fil du rasoir et qui n’épargnent pas l’auteur.
Ces jeux devraient enchanter les enfants : on y saisit (en les dessaisissant d’elles mêmes) des statures négatives, noires ou grises qui se reversent dans la masse oublieuse et nombreuse d’une accumulation noire de son insignifiance. Tout reste à imaginer. L’absence et la cage qui furent le premier rebord se doublent maintenant de portraits en creux que seule l’ombre remplit. Paraphrase de l’art moderne ? Peut être plus qu’on pourrait le croire. Tant ce pouvoir rendu au culte de l’individualité forcenée en matière d’art et même d’Ecoles, est subverti par la foule qui n’est pas seulement nombre mais corps, corps à corps, infinité où les signes se fondent vers la masse, vers le sans nom, prêts à s’écouler dans les fleuves, à former des mers et des océans de plus en plus gonflés. Par ailleurs, on n’oubliera pas que pour l’Islam, animer ou représenter une ombre relève du sacrilège.

Il pourrait demeurer, de cette leçon de morale, l’ombre même de Jean Mas. (Claude Fournet Conservateur en Chef du Patrimoine, Directeur des Musées de Nice).

Et le dernier travail de Jean est impressionnant d’essentialité, la case vide du sens, le jeu absolu, l’enfance de l’art, j’y reviendrai.

Mais tout à coup ce poème d’amour ne rejoint-il pas tous les poèmes d’amour ?

A Catherine

Tu es là dans mes mains et je te cherche.
Je te cherche et tu es là dans mes mains.

Marque les pages
De ce livre
Du bout des doigts
Tu me glisses.
Page à feuilles, feuilles à pages
Tourne et cherche les mots
Chemins qui égarent
Promenades à lire
Je tiens et ça respire
J’ouvre l’ouvrage
Le manège s’éclaire
S’emballe, m’étire.

Tu es là...

(A suivre)

Photo de Une et articles : Bibliothèque Nucéra (Extrait du Film de Laurent Melis)

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Artiste(s)

France DELVILLE

Ecrivain, critique d’art, auteur de monographies, catalogues de musées et galeries, Livres d’arts, Contribution aux revues Go, Kanal, Alias, Caute/Hors,Lieux, Psy Spi (Editions Fiat Lux), Contribution aux journaux Art. Thèmes , Art Jonction Le Journal 1997, Le Patriote, traductrice (Le Nid du (...)

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