Mises en scène par Simone Dibo-Cohen au Château Grimaldi (Haut-de-Cagnes)
Confier la troisième la Biennale de l’UMAM à Cagnes-sur-mer à Simone Dibo-Cohen a été une riche idée, car, du 7 juin au 22 novembre 2014, le public d’ici et d’ailleurs va pouvoir, dans un cadre admirable, prendre contact avec un échantillonnage fort de ce que l’on appelle l’art contemporain, « 65 artistes contemporains du pourtour méditerranéen » (en fait il y en aurait plutôt 75 !) ayant apporté des œuvres diverses, souvent impressionnantes, et qui, c’est évident, reflètent de manière aiguë notre monde en proie à l’inquiétude. « Inquiétude de la pensée » ? Oui, pour ceux qui pensent. Mais il se trouve que ceux que l’on appelle les artistes sont bien dans la cosa mentale selon Vinci, phrase qui, paraît-il, remise dans son contexte, revendiquait, historiquement, que l’art ne soit plus considéré comme de l’artisanat.
Depuis Duchamp peut-être la « peinture » a cessé d’être « picturale », aujourd’hui les pixels ont encore accru l’écart. Une sorte de conceptualisation généralisée s’est emparée de l’art, de tous les arts, est-ce à dire qu’il n’y a – presque - plus d’art que philosophique – même à la manière de Monsieur Jourdain, qui parlait en prose sans le savoir ? -, et même que sociologique ?
Ne serait-ce pas plutôt que les genres ont éclaté – tous les genres - et que tout est permis, pour le meilleur et pour le pire. Ici c’est pour le meilleur grâce à Simone Dibo-Cohen, dont on constate définitivement à quel point elle connaît l’art en train de se faire, et grâce à ses talents de metteur en scène… et grâce à la persévérance qu’il faut pour réunir tant de pièces de toutes tailles et de toutes factures, et pour les mettre à chaque fois en situation infiniment pertinente. Je ne veux pas oublier de parler de sa passion, de son admiration pour les artistes qu’elle présente. J’ai dû extraire 7mn d’une heure d’une interview passionnante durant laquelle elle a eu la gentillesse d’enrichir ma vision de son savoir. Voici sa préface au catalogue :
- Exposition “Mises en scène”, Château Grimaldi, Haut-de-Cagnes
Mises en scène
Cette année encore la ville de Cagnes sur Mer, grâce au soutien de son Sénateur Maire Louis Nègre, s’engage pour les arts plastiques et le patrimoine en soutenant la biennale de l’Union Méditerranéenne pour l’Art Moderne. Ce projet, qui présente des œuvres d’art contemporain dans le château musée Grimaldi du Haut-de-Cagnes, relie la création d’aujourd’hui aux vestiges du passé. Cette démarche artistique de mise en relation de l’œuvre et du lieu de sa présentation s’inscrit dans le projet du musée de s’ouvrir à la création contemporaine, non pas comme un lieu d’exposition parmi d’au¬tres, mais comme un lieu qui inspire et qui permet une position d’interactivité entre les œuvres contemporaines exposées et un monument historique riche de collections plus anciennes.
Dans un monde où les repères sociaux paraissent quelquefois s’étioler, l’art et la culture sont des éléments de résistance à la résignation et à l’indifférence, comme des actes authentiques d’affirmation de notre identité et de notre liberté.
Des grands noms de l’art contemporain sont venus, dans ce site remarquable, créer spécialement pour ces espaces chargés d’histoire dont l’architecture vient servir d’écrin à leurs talents.
En ces années où les mécanismes économiques dictent leurs lois sans concession, la création artistique et l’imaginaire sont de vrais moyens efficaces pour ré-enchanter le monde. Alors laissons nous guider par ces artistes dans ce cheminement, cette déambulation qu’ils ont choisie et qu’ils nous proposent de partager.
- Exposition “Mises en scène”, Château Grimaldi, Haut-de-Cagnes
Plus que jamais, cette biennale est méditerranéenne par les artistes présents qui viennent de tout le pourtour de notre mare nostrum : Grèce, Espagne, Turquie, Tunisie, Algérie, Maroc, Israël, Italie, Iran, Libye, Syrie, Egypte, Istrie et France. D’autres viennent de plus loin encore : États Unis, Venezuela, Belgique, Viêt Nam, Corée du Sud, Chine...
Laissons nous surprendre, une fois encore, par la richesse, la diversité, la maîtrise de ces créateurs qui savent si bien nous accompagner dans notre vie de tous les jours...
La langue reste la même : celle des émotions.
La mise en scène est la préparation d’événements coordonnés avant leur accomplissement effectif. La mise en scène souligne l’aspect d’un événement qui n’est pas spontané. Elle attire l’attention sur les pièces exceptionnelles choisies par votre serviteur afin de faire vibrer le spectateur, guider son parcours, raconter une histoire, donner du sens, matérialiser un espace.
Les œuvres ne sont plus seulement présentées mais réellement mises en scène, dans un cadre qui lui même fait œuvre, de sorte que le spectateur se trouve pleinement immergé dans une proposition environnementale quand bien même la pièce n’est pas une installation.
Chaque parcelle du lieu d’exposition est pensée comme une œuvre.
Construire le parcours du spectateur c’est engager l’exposition dans une perspective bien plus ambitieuse qu’un simple accrochage. C’est la doubler d’une expérience esthétique nouvelle au cœur de laquelle le visiteur vivra à 10 fois la relation à l’œuvre et l’exposition elle même.
La scénographie destinée à accompagner l’itinéraire du spectateur peut être aussi utilisée pour elle même comme objet d’exposition à part entière cela devient un tout !
- Exposition “Mises en scène”, Château Grimaldi, Haut-de-Cagnes
Certains artistes s’amusent à construire de nouveaux environnements perceptifs, en jouant sur les lumières, et visent à émouvoir le spectateur par les sens. Les créateurs contemporains prennent en compte les effets scénographiques et le décor de l’exposition. L’aspect de l’exposition est une matière avec laquelle l’artiste produit. L’aspect peut apparaître à travers la monumentalité de l’œuvre, la complexité de la mise en scène de l’exposition ou la forme pluridisciplinaire ou plurisensorielle de l’installation. Les aspects visuels cherchent à faire ressentir au spectateur une véritable expérience esthétique. Parfois, quelques détails suffisent à raconter une histoire efficace, qui lie en un tout cohérent contenus et contenant, des jeux de lumières poétiques, un jeu de volumes, un graphisme qui fait sens.
La mise en scène dans l’espace est aussi assez proche de la mise en scène de théâtre. Il y a toujours les obsessions, les thèmes de prédilection et la subjectivité du commissaire d’exposition.
J’y vois l’opportunité d’allier à notre patrimoine architectural une mosaïque des moyens d’expression actuels en trouvant un juste milieu entre le respect des artistes, du lieu d’exposition et du public. Ce mariage est toujours efficace. Et comme le disait Elisabeth Couturier : « L’art n’est pas seulement intellectuel, il est aussi là pour que l’on y projette nos pensées, nos fantasmes, notre imagination ». (Simone Dibo Cohen, présidente de l’Union Méditerranéenne pour l’Art Moderne, commissaire de l’exposition)
- Exposition “Mises en scène”, Château Grimaldi, Haut-de-Cagnes
Après nous le déluge
Quelques heures passées dans cette exposition apporteront donc des gerbes d’émotions intéressantes, et le catalogue, trace indispensable, pourra être médité. Entrant dans la Cour d’Honneur, j’ai été très impressionnée par de jolies colonnes lumineusement diaphanes, disposées géométriquement, dont j’ai appris par Simone Dino-Cohen qu’en fait c’étaient celles du château telles qu’elles seraient prises dans une sorte de tremblement de terre, d’apocalypse. Et, au vu du parcours qui suivit, où, je le répète, le souci de la mort, de la solitude, de la catastrophe, de l’absurde, rôde en permanence, sauf exception, je trouve que ces colonnes sont bien les portes du sens de l’expo, leur clé de sol, ou de fa. Et quelle ne fut mon heureuse surprise de découvrir que ces colonnes en suspension, intitulées « Après nous le déluge » (2014, technique mixte, alvéoles, grillage), avaient été réalisées par Héléna Krajewicz et Rob Rowlands…Héléna avec laquelle nous avions, le 27 juin 1998, organisé une manifestation intitulée « Le Groupe Alerte sur le thème de l’autre » (le Groupe Alerte invité par l’ENCAS, chez Bernard Hejblum). Héléna depuis très longtemps, donc, dans le souci de l’éthique autant que de l’esthétique – mais cela communique n’est-ce pas – car elle sait aussi dessiner, peindre, très bien, elle est très douée.
- Exposition “Mises en scène”, Château Grimaldi, Haut-de-Cagnes
Retrouvez les parties I, III, IV et V de la Chronique 76 :
Chapitre : 76 Ultra Violet (Part I)
Chapitre 76 : Simone Dibo-Cohen (Part III)
Chapitre 76 : Simone Dibo-Cohen (Part IV)
Chapitre 76 : Simone Dibo-Cohen (Part V)