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CHAPITRE 44 (part III) : Beau comme un symptôme par Le Quartel

Suite de la chronique entamée mercredi par France Delville...

C’est Kô Hérédia-Schlienger qui s’est chargée de la partie sculpture de l’Installation, et ses objets sont magiques. Car elle sait tout faire, en tant que plasticienne, coloriste publicitaire, fresquiste, dessinatrice etc. Elle a la maîtrise de toutes les techniques… Mais elle est aussi poète, et elle est tombée dans la problématique freudienne avec une intuition époustouflante. Ses poèmes sont déchirants, et en écho parfait avec ces histoires d’enfances racontées par la psychanalyse dans cette exposition :

Hachis d’existence dénudé d’enfance.
Concepts meurtris, gâche sur laquelle on appuie.
Suppriment ainsi toutes possibilités d’envies
et joies de vie, quel gâchis
Kô, Nice le 16.06.05

Dessin de Kô Hérédia-Schlienger
DR

Ode à la raison qui s’efface, lasse de cet environnement de
glace.
Ode à la raison qui se dépasse afin que lentement elle ne
trépasse
Kô, Nice, juillet 05

Dessin de Kô Hérédia-Schlienger
DR

Les mois, les années ont passé, le crucifiant un
peu plus à cette réalité.
Ne pouvant se libérer que très rarement afin
d’exister.
Exister, afin d’échapper à autrui, d’échapper à la vie et
s’envoler.
S’envoler pour pouvoir rejoindre en toute sérénité
« sa vie rêvée »
Rêvée, en grattant jusqu’au sang les strates profondes de
sa déraison, qui lui servent
tour-contre-tour de maison et de prison.
Maison, prison, méprisons !
Kô, 2005

Dessin de Kô Hérédia-Schlienger
DR

Je l’ai interrogée pour le catalogue, et cela a donné ça (extrait) :

France Delville – L’étrangeté de ta production a vraiment bien rencontré l’œuvre fondatrice du Quartel, qui est l’alliance Georges Sammut, vidéaste/ Daniel Cassini, scénariste (et psychanalyste), ils ont maintenant un grand éventail de films tournant autour d’une certaine poésie noire et révoltée, Vaché, Bataille, Lautréamont, Laure Peignot, et beaucoup d’autres, une revendication d’érotisme, de liberté, portée par des assemblages subversifs, inattendus. Le ralliement de Sylvie Osenski s’imposait, elle qui est comme un medium, dévoilant sous son crayon des présences inquiétantes, n’hésitant pas à donner vie aux zones obscures de l’être humain, l’ombre, la solitude, et tu es entrée dans ce monde audacieux avec facilité, semble-t-il, en témoigne la première sculpture que j’ai vue de toi, ce magnifique cœur mécanique, « beau comme la rencontre fortuite de la machine à influencer les schizophrènes de Victor Tausk et la machine à inspirer l’amour d’Alfred Jarry. Connaissais-tu ces auteurs ?

Kô Hérédia-Schlienger - Non, je n’ai pas voulu les connaître avant, j’ai préféré me laisser emporter par les phrases, leur son, leur couleur, et naturellement le cœur est venu.

F.D. – Il est magnifique, on dirait une opération à cœur ouvert, d’un cœur de dentelle, métallique prêt à ce qu’on tourne à nouveau la manivelle, tu as le sens de l’objet, qui raconte toute une histoire rien que d’être là. Une présence de l’objet, assez exceptionnelle. Le « divan », de l’exposition, c’est pareil, c’est comme une radiographie, des éléments essentiels, ressorts, dentelle encore, de la structure, mais graphique, et ensuite, « ça » parle, ça crie, même, comme toutes tes œuvres qui ne seront pas dans l’exposition, mais qui sont déchirées de souffrance, d’abandon, des regards, des torsions, inoubliables. Comment cela a-t-il commencé ?

Kô - Enfant. Quand j’étais petite ça se manifestait sous différentes formes, pâte à modeler, dessin, j’avais tendance à griffonner sur tout ce qui se présentait, c’était en gestation, la terre est venue plus tard, puis des matériaux plus durs, plus improbables... Cela a évolué vers l’utilisation de tous les matériaux possibles, aujourd’hui à mon service, pour exprimer... le symptôme... Il y a maturation, il y a une dizaine d’années j’ai décidé de passer à l’action. Chacun ses symptômes, moi le meilleur matériau que j’ai trouvé c’est la profusion des matériaux, différents, que je m’accorde.

Série de dessins de Kô Hérédia-Schlienger
DR



F.D. - Mais ta formation, et l’exercice de ta pratique première, sont surprenants : drapé, trompe-¬l’œil, publicité, dans des studios parisiens, fresques, Suisse, Italie, et puis tant de décors, décorations, pour la Cité, pour les enfants malades, et des films d’animation... tu as un solide métier, je pense à Fernand Léger qui disait qu’une œuvre devait être décorative, que notre civilisation avait perdu ce sens là, qui était archi précieux. Et tout à coup on te demande de participer, au décor, en quelque sorte, d’une Installation, autour de l’Inconscient, dans un esprit parfois tragique, en tous cas bizarre, puisqu’il s’agit d’illustrer le parcours de Freud, qui a soigné des gens hors du commun, avec des symptômes parfois dignes de films d’horreur...

Kô - Oui, quand Georges et Daniel m’ont parlé de leur travail, et de ce projet, j’ai été emballée par leur univers. Ils m’ont alors proposé de rallier le Quartel, et de créer des sculptures à part entière. Et mon symptôme, mes symptômes, ont rencontré toutes ces histoires, qu’ils ont évoquées, et j’ai pu faire ce que je fais d’habitude : avoir une image qui me traverse l’esprit, et puis chercher des matériaux, au feeling, matériaux improbables, avec lesquels il faut faire quelque chose de probable, tout le délice est là, ça force constamment à ne pas avoir une idée pré définie, aboutie, je ne peux pas me permettre ça puisque j’utilise tout ce qui « tombe » sous la main, ou qui est donné. Le cerveau va se dire « tiens je vais détourner cette pièce, ou je vais carrément la fabriquer ». C’est toujours ce truc d’être autonome, libre.

F.D. - Dans l’ambivalence habituelle, quand l’objet vient, tu es obligée de tenir compte de lui, de l’interpréter, tu es déviée, tu rejoins un peu la dérive situationniste chère à nos deux artistes, Georges et Daniel...

Kô - La liberté est là, de pouvoir dévier, de ne pas s’enfermer soi même, ce n’est pas tant par rapport aux autres, à la société, pas besoin, nous nous mettons en prison nous mêmes : de trop définir une idée, à la base, m’emprisonne. Invariablement le choix de mes matériaux me met sur des rails d’où débouche une liberté, et une contrainte, renouvelées. Je suis constamment obligée de remettre les choses en question, de par certaine difficulté technique, je suis limitée par mon propre savoir, à chaque fois c’est un apprentissage, je suis constamment en évolution, c’est ma liberté.

F.D. - C’est une forme d’industrie ?

Kô - Complètement, à fond. Et c’est cet état d’esprit que j’aime. J’ai un rapport à la machine qui est des plus passionnants. Quand j’allume les machines, quand je les entends, ce n’est pas du bruit, c’est une symphonie. Il y a un rapport de force et de douceur qui s’établit avec l’outil, il faut trouver le parfait équilibre entre lui et moi. Je préfère cela au rapport de force quotidien, avec les êtres humains. C’est donc très thérapeutique.

F.D. - La résistance du réel détournée dans ce champ là, et apprivoisée. Ça a l’air inerte, ça ne l’est pas, parce que c’est contre toi que tu te bats pour trouver l’équilibre, et que cela t’économise les conflits inter humains ?
Kô Oui, c’est un bénéfice immense. Pour moi, ça n’engage que moi, c’est la meilleure façon de transcender mon symptôme. Du choix des matériaux en passant par le choix des outils, les moyens que je vais être capable de mettre en action pour avoir la possibilité de faire, etc.
F.D. Tu as commencé avec la terre ?
Kô Quand l’apprentissage était de tâter de tout, matériaux, techniques, ce qui était le plus à ma portée c’était l’argile, que l’on achète en pain, et d’essayer des formes…Alors j’ai pris le corps l’humain, il n’y avait rien de mieux pour essayer de comprendre comment les choses fonctionnent, l’humain est une mécanique, au même titre que mes mécaniques d’aujourd’hui. J’ai commencé ces personnages en terre à la fin d’une période d’Humanitaire, qui a duré trois ans, en Bosnie Et c’est là que j’ai débuté vraiment, j’ai fait un couple, qui s’appelait « Sara et Jevo », des corps décharnés et écorchés qui représentaient toute la souffrance de ce peuple à ce moment-là.
(à suivre)

Retrouvez la première partie de cette chronique en cliquant ICI

Retrouvez la deuxième partie de cette chronique en cliquant ICI

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