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CHAPITRE 44 (part I) : Beau comme un symptôme par Le Quartel

Il y a des œuvres qui se font au fil des années, sans bruit, et qui, un jour, de par leur consistance, leur sens, apparaissent dans leur incontestable importance et originalité. Ainsi du travail vidéaste de Georges Sammut et Daniel Cassini, qui comporte à ce jour une belle liste de titres...

Les films du début, en Super8, sont également très nombreux. Ce travail a été montré au fil des années en divers lieux, Maisons de la Culture, Galeries, et beaucoup d’autres, mais l’exposition du 27 janvier au 8 avril 2007 au CIAC (Centre International d’Art Contemporain, Château de Carros), intitulée « Beau comme un symptôme », est certainement à marquer d’une pierre blanche, car les films, les vidéos, étaient les éléments d’une Installation qui comportait également du dessin et de la sculpture, et constituait un discours révolutionnaire sur le lien entre l’art et la psychanalyse.

Un spectateur devant un dessin de Sylvie Osinski
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Sculpture de Kô Hérédia-Schlienger.
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Sculpture de Kô Hérédia-Schlienger avec vidéo.
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Sculpture de Kô Hérédia-Schlienger avec vidéo.
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Un discours que l’on pourrait prendre comme paradigmatique, pour signifier que si l’art a un rapport avec la psychanalyse, la psychanalyse à l’inverse est probablement un art. « L’envers de la psychanalyse » est l’un des séminaires de Lacan, mais « la psychanalyse comme envers » est aussi une belle définition. L’année précédant l’exposition, Georges Sammut, Daniel Cassini, Sylvie Osinski, et Kô Hérédia-Schlienger avaient fondé « Le Quartel », et c’est sous cette bannière qu’ils avaient conçu « Beau comme un symptôme », en hommage à la phrase d’Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont : « Beau comme le tremblement des mains dans l’alcoolisme ». Avec l’idée, de Freud, reprise par Lacan, que le délire du « malade », c’est sa parole. L’art n’avait pas attendu un Salvador Dali se voulant paranoïaque pour accepter le délire comme parole, discours, charte du « Sujet », mais il était toujours bon de rappeler que « n’est pas fou qui veut »… Et donc, dans le catalogue de cette exposition, trace d’une merveilleuse aventure, le Quartel était ainsi décrit par Daniel Cassini, psychanalyste, et Geoges Sammut, vidéaste :

Le Quartel (1996)

LE QUARTEL, institué en 1996 à Nice, fédéra une réflexion autour du cinéma, de la musique, du chant, de la poésie, des arts plastiques, de la psychanalyse, dont l’application prit la forme de films vidéos projetés notamment au Festival de Turin, à la Faculté d’Architecture de Turin, au Musée d’Art Moderne et Contemporain de Nice, à la Faculté des Lettres de Nice, aux troisièmes Rencontres cinéma et vidéo de Nice, lors du Festival « Que peut le cinéma ? » de l’Espace Magnan à Nice, au Centre International d’Art Contemporain de Carros, dans divers Séminaires de Psychanalyse, au Collectif des Diables Bleus à Nice et dans des Galeries, notamment la Galerie de la Salle, Saint Paul-de-Vence, la Galerie « Le Centre du Monde », Nice, etc.
Pour citer quelques-uns de ces films :
« Mon nom mon ombre sont des loups » (26’10. 1996) : le cas de « L’homme aux Loups » de Freud.
« L. ou la sainte de l’abîme » (51’ 30.1998) : sur les « Ecrits de LAURE »
« Mémoires d’ombres » (46’ 40. 1998) : autour de la fondation de l’Internationale Situationniste
« Les goûts de la langue » (24’40. 1999) : sur trois poèmes de Ghérasim LUCA
« Love in progress » (36’10.1999) : le discours amoureux à partir des quatre discours de Jacques Lacan
« L’excès » (30’ 00. 2001 : d’après « Le Mort » de Georges Bataille
« Jacques Vaché. L’éclaireur indocile » (40’ 00. 2003) : d’après Les « Lettres de guerre » de Jacques Vaché
« Traversée de Maldoror » (47’ 30. 2004) : sur quelques fragments des Chants de Maldoror
« Giacinto Scelsi. Le passeur de sons » (22’ 00. 2005) : voyage dans l’univers musical de Scelsi

« Beau comme un symptôme » comme renversement de perspective

Daniel Cassini présentait l’événement par un très long texte qu’il est bien sûr nécessaire de couper, et dont voici des extraits : « L’exposition « Beau comme un symptôme » propose une suite d’Installations qui emprunte sa thématique au vaste continent de la psychanalyse. Le groupe d’artistes constituant le Quartel opère avec humour et le plus grand sérieux un renversement de perspective : ce n’est plus Freud qui s’intéresse à un célèbre tableau de Léonard de Vinci ou au Moïse de Michel-Ange mais l’œuvre d’art elle-même qui met en scène, en Autre Scène, le corpus analytique. Le Quartel privilégie le support contemporain du vidéo art, mais pas seulement, pour exposer une collection d’œuvres qui offre une relecture détournée de l’Histoire de la peinture. Chaque salle, dans un style différent, raconte une variation autour d’une même histoire – la séance analytique – conçue comme une mise en scène d’images, de sons, de dessins et de sculptures. Tout au long d’une déambulation ludique et interactive, le visiteur est invité à découvrir et à participer à une aventure originale entre rêve et poésie. A priori, aucune connaissance particulière de la psychanalyse n’est requise, mais simplement le désir de s’ouvrir, le temps d’une visite, à la rencontre de l’analyse. Est-ce l’inconscient qui génère l’art ou l’art qui manifeste l’inconscient ?

Série d’images extraites du clip vidéo
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Beau comme un symptôme : Quid ?

Les recherches et les travaux du Quartel portent plus spécifiquement sur un traitement de l’image-interprétation s’opposant au mode dominant et aliénant de l’image qui décervelle. Que l’on se souvienne ici de Jacques Vaché écrivant le 29 avril 1917 à Théodore Fraenkel : « La machine à décerveler marche à grand bruit ». Ce groupe d’artistes qui estime que « la vérité peut se voir aussi dans les images » se propose désormais d’explorer le domaine de l’art vidéo avec un projet intitulé : « Beau comme un symptôme, soit 19 Variations d’Interprétations ». Autant de Malséances qui mettent la psychanalyse au service de l’art à travers un parcours singulier proposant une traversée du champ analytique, effrontément détourné sur son versant esthétique. Le QUARTEL relève, avec ce projet d’Installations, le propos d’un LACAN déclarant dans une boutade que « la psychanalyse n’avait même pas été fichue d’inventer une nouvelle perversion ». A moins qu’il ne s’agisse au contraire, avec ces Variations, d’en relever un autre tout aussi exaltant : faire la démonstration qu’en art il est possible de se passer du Père à condition de savoir s’en (sans) servir. Ici, n’en déplaise aux gardiens du sérail, la psychanalyse sera considérée comme un des Beaux-Arts.

Beau comme un symptôme : pourquoi ?

« La science de l’esthétique étudie les conditions dans lesquelles on ressent le beau mais elle n’a pu apporter aucun éclaircissement sur la nature et l’origine de la beauté… Malheureusement c’est sur la beauté que la psychanalyse a le moins à nous dire ». (Sigmund Freud. Malaise dans la civilisation).
« L’analyse est quelque chose qui nous indique qu’il n’y a que le nœud du symptôme pour lequel il faut évidemment en suer un coup pour arriver à le tenir, à l’isoler ; il faut tellement en suer un coup qu’on peut même s’en faire un nom, comme on dit, de ce suage. C’est ce qui aboutit dans certains cas au comble du mieux de ce qu’on peut faire : une œuvre d’art ». (Jacques Lacan. Le plaisir et la règle fondamentale). Avec ses Variations d’Interprétations, le QUARTEL entend poursuivre et amplifier la série inaugurée il y a plus d’un siècle par l’auguste Comte de Lautréamont dans les Chants de Maldoror. « Beau comme un symptôme » s’inscrit ainsi dans la continuité du « beau comme le tremblement des mains dans l’alcoolisme » (chant V) ou du « beau comme le vice de conformation congénital des organes sexuels » (Chant VI)… Dans un style qui en assure la singularité, le QUARTEL a décidé d’élever le symptôme, ordinairement voué à l’avilissant diagnostic médical, à la dignité incomparable de la sublimation. Voilà ainsi, par exemple, reconstituée la rencontre fortuite de la fameuse machine à influencer les schizophrènes telle que rapportée par Victor Tausk, et de la machine à inspirer l’amour d’Alfred Jarry : « La machine la plus insolite des temps modernes, la machine qui n’était pas destinée à produire des effets physiques, mais à influencer des forces considérées jusqu’à ce jour comme insaisissables ». N’hésitant pas à réhabiliter le symptôme que traite la psychanalyse dont le corpus théorique est également ici convoqué et détourné, ce groupe d’artistes le fait figurer dans un parcours d’Installations vidéo. Le visiteur trouvera ainsi, de salle en salle, un encouragement à accorder à ses propres symptômes toute l’attention et la valeur insigne qu’ils méritent. Au lieu de continuer à les appréhender, selon l’usage courant, comme autant d’embarras honteux dont il convient par conséquent de se débarrasser parce que l’on en souffre alors que l’on en jouit, et qu’ici l’on en joue. En son temps, Marcel Duchamp avait nommé art un vulgaire porte-bouteilles. Plus près de nous, Andy Warhol a tiré d’inoubliables sérigraphies d’un paquet de lessive ou d’une boîte de soupe en conserve, autant de dérisoires objets de consommation ennoblis par le geste de l’artiste. Depuis Fluxus, chacun peut, à moindres frais, se dire un artiste, ce qui dans les faits n’engage pas à grand-chose. Avec le QUARTEL, et après avoir découvert ces Variations, n’importe quel amateur d’art sera véritablement à même de signer avec son propre symptôme une œuvre unique relevant d’un réel irréductible devant lequel toutes critiques et cotations s’arrêtent médusées »

A suivre...

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