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CHAPITRE 42 (part I) : Aurélie Nemours ou « Le pas du vide »

Aurélie Nemours fait partie des géants dont la route a croisé le parcours artistique des Alpes-Maritimes, dès 1988 à la Galerie Alexandre de la Salle à Saint-Paul, c’est à cette occasion qu’elle a accepté de nous donner une interview filmée dont deux extraits sont présentés ici, puis en 2004 à l’Espace d’art concret de Mouans-Sartoux, où une salle qui lui est consacrée, et la même année, le Centre Pompidou lui organise une Rétrospective...

Aurélie Nemours fait partie des géants dont la route a croisé le parcours artistique des Alpes-Maritimes, dès 1988 à la Galerie Alexandre de la Salle à Saint-Paul, c’est à cette occasion qu’elle a accepté de nous donner une interview filmée dont deux extraits sont présentés ici, puis en 2004 à l’Espace d’art concret de Mouans-Sartoux, où une salle qui lui est consacrée, et la même année, le Centre Pompidou lui organise une Rétrospective. Mais en 1999 l’Espace de l’Art Concret a déjà proposé l’exposition « Silence-Eclat, Aurélie Nemours rencontre Jean Tinguely ».

Aurélie Nemours et Alexandre de la Salle, vernissage « Espace de l’art concret », 27 juin 1999
DR

Pour l’exposition « Rythme Nombre Couleur » de 2004, le Centre Pompidou présente ainsi Aurélie Nemours : « Peintre et poète, Aurélie Nemours, née à Paris en 1910, appartient à la génération des peintres géométriques abstraits actifs après la seconde guerre mondiale. Le Centre Pompidou lui rend hommage en présentant, du 9 juin au 27 septembre 2004, une très importante rétrospective qui rassemble près d’une centaine de peintures majeures, et un ensemble d’une cinquantaine d’œuvres sur papier, inédites pour la plupart. Ces œuvres proviennent de collections publiques et privées françaises et étrangères et d’un don exceptionnel fait récemment par l’artiste aux collections du Musée national d’art moderne. Le parcours de l’exposition permet de retracer les étapes essentielles du travail de Aurélie Nemours. (…) L’œuvre de Aurélie Nemours est résolument engagée dans un constructivisme rigoureux et sensible, fondé sur le rythme exclusif horizontale/verticale qu’elle a privilégié et les formes qui en dérivent. Son utilisation de la couleur, très subtile et audacieuse, en témoigne. « Ce qui est avant la forme, c’est le rythme dont le nombre est le secret » : l’artiste résume ainsi les fondements de son œuvre dont une des séries les plus importantes, s’intitule Rythme du millimètre, 1977-1982, série dont le Centre Pompidou a acquis, cette année, une des œuvres présentées. (…) Aurélie Nemours commence la peinture en 1943. Elle apprend pendant près de 20 ans « tout ce qu’elle doit savoir en peinture » successivement dans les ateliers de Paul Colin, de André Lhote et de Fernand Léger puis, s’engage résolument dans l’abstraction la plus rigoureuse avec une constance qui ne se démentira jamais. Elle se sert d’un vocabulaire plastique réduit au minimum mais universel : la croix, le point, le carré, l’angle droit. Son œuvre, qui à première vue peut paraître austère, est aussi sensuel par le traitement très soigné de la matière picturale. Il est aussi poétique comme le reflètent ses titres : Rythme du Millimètre, Structure du Silence, les Mages, Rosace, Océan... « Chaque centimètre carré de peinture à l’huile étant croisé quatre fois dans les quatre directions » explique-t-elle. Riche d’effets sensoriels, ce procédé donne au travail de l’artiste une présence exceptionnellement forte, voire hallucinatoire. Aurélie Nemours est aussi une grande coloriste, comme on peut le voir dans La Ligne de 1988-90, récemment donnée par la Fondation Scaler au Centre Pompidou. Ne dit-elle pas : « Il faut qu’un tableau flambe et c’est tout » ? (Centre Pompidou, Communiqué de Presse).

Née le 29 octobre 1910, à Paris, entre 1929 et 1931 inscrite à l’Ecole du Louvre elle s’intéresse surtout à l’art égyptien et byzantin. Après trois ans d’études théoriques, elle décide d’entrer dans la pratique de la peinture, en 1936 épouse Seymour Nemours-Auguste (1890-1971), médecin et pionnier de la recherche radiologique française, en 1937 elle s’inscrit à l’atelier du graphiste Paul Colin, pendant trois ans, elle apprend à dessiner mais l’orientation de l’atelier vers les arts appliqués ne l’intéresse pas. En 1941, très impressionnée par le Traité du paysage paru en 1939, elle s’inscrit à l’Académie d’André Lhote et y reste jusqu’à la fin de la guerre. « J’ai appris tout ce qui peut être transmis en matière de peinture chez André Lhote ». Entre 1942 et 1944 elle travaille aussi chez elle et à l’Académie où elle étudie le modèle vivant. « Le rythme qui m’avait frappé, je le trouvais à cette époque dans le modèle ». En 1945, elle débute son activité d’écrivain et de poète qu’elle mène en parallèle à sa peinture. En 1946, elle expose au Salon d’Art Sacré, et y participe jusqu’en 1979. De là, date son intérêt pour le vitrail. En 1948, elle fréquente pendant deux ans l’atelier de Fernand Léger, ouvert à son retour de New York. « Fernand Léger a représenté pour moi une purification. Je l’admirais mais je ne voulais pas le suivre. Je pensais que j’allais pouvoir laver cette désintégration pesante du cubisme : je ne pouvais plus faire de couleur, ni construire de forme, tout était un puzzle. Léger a représenté un contre-poison ». 1949 : « Quand je suis sortie de chez Léger, j’avais enfin trouvé la force de la solitude ». (D’après le Communiqué de Presse du Centre Pompidou).

Aurélie Nemours et Fernand Léger

Le témoignage filmé qu’Aurélie Nemours donne de sa formation avec son maître Fernand Léger est original, car elle a trouvé dans l’œuvre de celui-ci un premier pas du vide, celui qu’elle attribue au surréalisme, et aussi au cubisme, mais Léger ne pouvait accomplir, celui, supplémentaire de l’abstraction. C’était impossible historiquement, explique-t-elle. Et donc Léger était contre l’abstraction, violemment. Et pourtant il a pu lui transmettre sa propre libération, son propre vide, à lui. Il a transmis à Aurélie - ou plutôt Nemours - c’est ainsi qu’à la fin elle souhaitait être appelée, cette vacuité où l’œuvre pourrait exprimer le secret du monde.

D’août à septembre 1988, la Galerie Alexandre de la Salle (Saint-Paul) expose Aurélie Nemours Rythme du millimètre, Idéa, avec présentation du livre Noir demi rose (Editions Paul Bourquin) 7 sérigraphies originales avec 7 poèmes haï-kaï de Hugo Caral, en même temps que Formes galbées 71, et Mobiles 46-52 de Carmelo Arden Quin. Ils s’estimaient beaucoup, ayant été aussi intraitables l’un que l’autre dans leur voie.

Aurélie était aussi poète, et c’est sous forme de poème qu’elle s’adressa à Alexandre de la Salle en 1999 pour l’édition du « Paradoxe d’Alexandre » : Alexandre/l’acte large/l’art l’air/terre/non abandon/riche risque/riposte/contraste/bâtir bénir la Foi/c’est le jour/tranché/passé auréolé/avec racine/sans racine/avec durée/sans durée/mot seul/mot/le mot/libre forme/avec forme/sans forme/pouvoir/distance/sable blanc/Alexandre/notre ami/tu excelles/tu exhausses/Alexandre/très cher Alexandre
(Nemours Décembre 1999)

Aurélie Nemours à la Galerie Alexandre de la Salle

Alexandre de la Salle l’appelait, il n’était pas le seul, la « Grande Dame de la Peinture Française », et écrivit en 1999 : « Aurélie Nemours, qui a jonglé comme un moine cistercien avec l’inépuisable signalétique des points, des lignes, des angles, toujours dans l’orthogonalité : La diagonale me semblait être une promenade sentimentale ! Elle a réalisé pour la galerie un superbe Porte-Folio avec Hugo Caral, Noir demi-rose. Ses écrits ont la densité, la profondeur et la sonorité de la pierre. Un monde métaphysique qui la dit, où elle se dit pour l’essentiel.

Vernissage du 5 août 1988 avec Carmelo Arden Quin, Edith Aromando et Bolivar
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La Galerie Alexandre de la Salle a exposé Aurélie Nemours une dizaine de fois entre 1988 et 1999, deux fois avec Carmelo Arden Quin et souvent avec des groupes d’abstraction géométrique dont Arden Quin était le centre, car, en dehors du Mouvement Madi, il ralliait des artistes qui s’interrogeaient sur ce qu’était la géométrie. Par exemple à Art Jonction en 1989, avec Arden Quin, Garcia Rossi, leppien, Chubac, Decq, Garibbo, Belleudy.

Oeuvres de Nemours dans le stand de la Galerie Alexandre de la Salle à la foire d’Art Jonction 1989
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Et en 1992 « Abstraction géométrique », avec entre autres Blaszko, Decq, Desserprit, Garcia Rossi, Garibbo, Mélé, Leppien, Le Parc etc. Et aussi, en 1993, dans une très belle exposition intitulée « Entre femmes seules », avec Béothy, Brondello, Cahn, Edmée, Garibbo, Jani, Kaiser, Nivèse, Pauït.

« Abstraction géométrique » à la Galerie Alexandre de la Salle, août 1992
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Fin de la première section, vous retrouverez la suite de cette chronique demain...

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